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Oraisons funèbres déplacées (BLOG)

Ghada Hamrouche | 14/01/20 13:01

Oraisons funèbres déplacées (BLOG)

1. Les médias, locaux ou étrangers, sont, ces jours-ci, parsemés d’oraisons funèbres à propos de la mort prochaine du «hirak». Ces oraisons savantes, extralucides, jouent parfaitement leur rôle, tel qu’assigné par le régime qui possède, dans la panoplie des divisions qu’il s’efforce de provoquer, celle qui existerait entre un «bon hirak» et un «mauvais hirak».

2. Dans les éléments de langage du régime, le «bon hirak» est celui qui aurait permis de faire partir la «bande à Bouteflika», et le «mauvais», celui qui persiste à vouloir le départ du régime. En conséquence, ces voix médiatiques demandent aux millions d’Algériens engagés dans le mouvement populaire de se satisfaire des premiers succès du «hirak» et de rentrer chez eux.

3. Ces journalistes, professeurs, et autres intellectuels du régime, entretiennent la confusion qui existe dans certains esprits, y compris chez certaines personnes bien intentionnées, sur la nature des enjeux, à commencer par le sens des mots. Il en est ainsi de l’usage, souvent abusif, du terme «hirak». «Hirak», qui est un mot qui a les apparences de la simplicité et de l’évidence, désigne en fait le «mouvement» dans son sens générique. C’est une notion qui couvre une large palette de sens et d’interprétations possibles, y compris d’interprétations péjoratives, lorsqu’elles désignent le hirak comme un mouvement brownien, le mouvement d’une population animée de pulsions contradictoires, qui ne sait pas où elle va.

4. Or, en réalité, ce à quoi nous assistons depuis le 22 févier 19, ce n’est pas un «hirak», mais bel et bien une révolution populaire démocratique pacifique. Une révolution, parce qu’elle remet en cause dans son principe même le régime en place depuis 62. Une révolution populaire, dans tous les sens du terme. Une révolution démocratique, car son objectif est l’exercice par le peuple de sa souveraineté. Pacifique, par choix tactique et stratégique, absolument judicieux, car il est le seul à même d’éviter la dislocation du pays.

5. La révolution actuelle ne peut être réduite, et ne se mesure pas uniquement au nombre de citoyennes et de citoyens qui marchent chaque semaine à travers le pays. La révolution est une sublime déflagration de la conscience et de l’intelligence de millions d’Algériennes et d’Algériens. Elle a libéré les esprits, redonné droit de cité à la politique, redonné confiance en eux aux Algériennes et aux Algériens. Elle libère la pensée et la parole. Elle a entrepris de libérer l’espace public, en commençant par la rue hebdomadaire. Elle donne un horizon et un cap à notre jeunesse qui dorénavant sait qu’elle peut choisir un chemin de dignité et de liberté et construire elle-même son avenir.

6. C’est cette révolution qui, pas à pas, fait reculer le régime. Un régime qui refuse encore d’abdiquer, mais qui ne peut pas compter sur une suite de victoires à la Pyrrhus pour se maintenir encore très longtemps, car il n’a désormais rien à offrir de positif. Ses ressources politiques ou financières sont de plus en plus faibles. Il n’a pas de vision d’avenir, ou même de démarche de «sortie de la crise». En effet, la répression et la distribution des miettes de la rente ne peuvent constituer une alternative.

7. La force de la révolution en cours, et de son mouvement populaire, réside précisément dans le fait qu’elle pose, lucidement et raisonnablement, les vrais problèmes du pays, et à leur origine, un régime rentier, autoritariste et corrompu, et qu’elle préconise, de façon claire et déterminée, les vraies solutions : la transition pacifique et ordonnée du régime actuel vers un régime démocratique engagé dans l’édification de l’Etat de droit. De façon encore plus fondamentale, la force vitale de la révolution, c’est d’incarner la seule possibilité d’une Algérie unie, souveraine, en développement réel. Une Algérie harmonieuse, forte et pérenne.