Infiltrée dans l’univers décadent de la jeunesse dorée algérienne : Minuit à Alger de Nihed El-Alia - Radio M

Radio M

Infiltrée dans l’univers décadent de la jeunesse dorée algérienne : Minuit à Alger de Nihed El-Alia

Radio M | 26/07/22 13:07

Infiltrée dans l’univers décadent de la jeunesse dorée algérienne : Minuit à Alger de Nihed El-Alia

Dans ce roman paru chez Barzakh en mars, l’autrice qui ecrit sous le pseudonyme de Nihed El-Alia veut bousculer et montrer une facette qu’on lit encore peu dans la littérature algérienne, celle de la jeunesse algéroise, riche, snob et privilégiée.

 Le récit se construit comme un journal de bord, celui de S., une jeune fille, étudiante en Angleterre qui revient à Alger pendant un été. S. a grandi dans cette ville avec laquelle, on décèle au fil des pages, elle entretient une relation d’amour-haine. Elle aime profondément Alger, avec ses défauts, avec sa beauté, que seul un œil aguerri et bienveillant peut sincèrement reconnaître et aimer. On suit S. dans ses aventures nocturnes, ses excès, ses soirées, ses rencontres et ses rails de coke.

L’intrigue provoque par l’omniprésence du haram ; alcool, sexe, drogue. L’autrice n’a pas peur de montrer la réalité d’une partie de la société algérienne qui demeure dans sa tour d’ivoire, loin des injonctions d’une société conservatrice. D’autant plus que tout cela est raconté de l’intérieur, par une femme. S. dérange, elle le sait et le clame haut et fort. S. fréquente le Pacha, déjeune au California, va à Club des pins. S prend de la coke, sort en état d’ébriété et n’a jamais peur des conséquences. Peut-être, justement, qu’elle sait qu’il n’y en aura pas, qu’elle fait partie des gens qui peuvent se permettre de vivre en toute impunité. Scandaleuse mais pas inconsciente, à travers ce journal raconté à la première personne, on découvre que c’est aussi une fille qui vit pour le regard des autres, qu’elle le sait et qu’elle l’assume pleinement. Elle veut être vue et elle aime être vue. C’est également un personnage qui se pose beaucoup de questions, qui, malgré cette opulence, vit dans un inconfort existentiel.

S. est en fait un personnage que l’on peut trouver désagréable à lire. Les questions qui triturent son esprit semblent vaines. Son obsession pour M., un homme brièvement rencontré dans l’incipit du roman, est exagérée et mal décrite pour être compréhensible et sensée. Beaucoup d’éléments dans ce roman rebutent malgré le sujet et l’essence du roman qui initialement attire. Le fait que le personnage dont on suit le cheminement et les pensées paraît insupportable ne facilite pas l’absorption du reste de l’intrigue. S. vit pour les autres, elle le revendique, mais son désir de provoquer est enraciné dans une envie de montrer, à qui la regarde, qu’elle n’est pas comme eux. Elle revendique son goût pour l’alcool, son amour de la nuit algéroise. Elle aime être la fille insoumise, mais pas réellement pour renverser un conservatisme, mais plutôt pour être celle que les autres filles envient. Elle recherche cette jalousie dans le regard des autres, et le regard des femmes particulièrement. Ce manque de sororité est frappant et dégrade l’image de S.

L’état mental de S. est également un facteur qui accentue l’image du sombre du roman. Sans poser de diagnostic, S. semble bipolaire, tantôt dépressive, se lamentant sur sa condition et celle de la société, tantôt se perdant dans les limbes d’Alger by night. S. est crasseuse par endroit, brillante et fière parfois, à l’image de la ville qui est la scène de l’histoire. Seulement, elle se place comme une figure plus complexe qu’elle ne l’est, un esprit troublé, incompris, mais dont les réflexions sont souvent vides, ou souvent indécentes car elles proviennent d’une vision très privilégiée mais qui manque cruellement d’esprit critique. S. n’est alors qu’une sophiste à la Bukowski.

Finalement, j’en ai attendu beaucoup de ce roman en le voyant en librairie. Peut-être trop. J’y voyais le renouveau d’une littérature algérienne qui me semblait passionnant, j’y voyais un livre que j’aurais dévoré en quelques heures tellement l’intrigue aurait été prenante, absurde, scandaleuse mais intelligente, concise et juste. J’ai été déçue par l’écriture de Nihed El-Alia pour ce manque de profondeur donné au personnage principal. Toutefois, je pense qu’en tant que premier roman, c’est assez prometteur, tant dans la description d’Alger, qui est presque en concurrence avec S. pour le rôle du personnage principal, que dans le sujet même du roman, novateur.

Par Mahieddine Noor