Demi-finales : Comment Belmadi en a rêvé et pourquoi Regragui l’a fait - Radio M

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Demi-finales : Comment Belmadi en a rêvé et pourquoi Regragui l’a fait

Radio M | 11/12/22 09:12

Demi-finales : Comment Belmadi en a rêvé et pourquoi Regragui l’a fait

Le parcours du sélectionneur marocain arrivé en demi-finale de coupe du monde  inspire forcément le parallèle avec celui de Djamel Belmadi gourou de la CAN 2019.

Walid Regragui, le sélectionneur marocain de 47 ans n’a pas eu le temps de communiquer beaucoup sur ses rêves  au Mondial de Qatar. Il avait 90 jours pour reprendre en main un groupe en perte de repères sous la férule de Vahid Hallilodzic en échec, une fois de plus, dans la préservation de la dynamique de son groupe. Ce qu’il vient de réaliser, qualifier pour la première fois une nation africaine au dernier carré d’une coupe du Monde, ressemble furieusement au rêve de quelqu’un d’autre. 

Djamel Belmadi a, lui, beaucoup parlé – sur les plateaux français – de ses ambitions pour la coupe du Monde 2022 au Qatar. Il a même dit, un brin chambreur, qu’il y irait pour la gagner, ajoutant tout de même- un peu pour la forme – qu’il fallait d’abord se qualifier. C’était avant 2021 et la déconvenue de la CAN au Cameroun. Belmadi a souhaité bonne chance à Regragui et au Maroc avant le début de la compétition. Sans doute de bon cœur. Beaucoup de choses réunissent les deux sélectionneurs.

Nés tous les deux en Ile-de-France à six mois près, ils font des carrières professionnelles à la même période, se croisent sur les terrains y compris en sélection nationale (quart de finale de la CAN 2004), ont connu Roland Courbis comme coach – et sans doute inspirateur – et ont fait décoller leur carrière d’entraineur au Qatar. Djamel Belmadi a connu, le premier, le succès comme coach probablement parce qu’il est venu un peu plus tôt sur les bancs. Les deux hommes ont le même souci de la rigueur et du détail. Ils ont une passion pour le jeu, pour ses évolutions tactiques, et savent entrainer leur vestiaire vers des objectifs transcendants.  

Avec le sénégalais Aliou Cissé, cette génération de footballeurs professionnels de la diaspora disposant d’un vécu en sélection est arrivée à fédérer dans son coaching les joueurs aux itinéraires, et parfois aux repères sociaux, différents. Belmadi l’a réussi chez les verts en s’appuyant sur 5 titulaires (Attal, Bensebaini, Belamri, Belaili, Bounedjah) issus de la formation algérienne lors de sa conquête de juillet 2019. Walid Regragui a emmené en avril dernier le WA Casablanca au titre de champion d’Afrique. Il sait parler avec les joueurs locaux autant qu’avec les stars du PSG (Hakimi) ou de Chelsea (Zyech).

 Des quasi-jumeaux jusque dans la vision

 Les traits qui rapprochent les deux hommes vont jusqu’au domaine tactique. Belmadi évoque beaucoup la possession comme base de son jeu, cherche à soigner ses sorties de balles, mais sait recourir en réalité autant aux blocs bas et aux transitions rapides, lorsque l’adversité le demande.

Un choix subit par le Maroc de Regragui  face à de gros collectifs (Croatie, Espagne, Portugal). Merveilleusement exécuté tout en discipline tactique et en solidarité. L’assise défensive solide recherchée chez les deux techniciens – le Maroc détient la meilleure défense de la coupe du monde avec un seul but encaissé-  les poussent à exiger beaucoup de courses de replis de leurs joueurs offensifs. Personne ne peut tricher dans leur équipe lorsqu’il s’agit de fermer les espaces ou d’aller presser haut pour récupérer plus vite le ballon. C’était le cas bien sûr avec Vahid au Brésil en 2014.

Mais l’animation offensive, une fois le ballon récupéré, est définitivement mieux travaillée avec cette nouvelle génération de coach de la diaspora. Sans doute aussi bénéficient-t-ils de plus de joueurs de talent qu’avant dans leurs sélections. L’identité de jeu du Maroc de Regragui s’est affirmée très vite. Proche de Rudi Garcia, l’un des meilleurs techniciens français, qui a contribué à sa formation d’entraineur, Walid Regragui est « moderne » par son souci de la verticalité. Il a régulièrement cherché à transpercer les lignes, encore en quart de finale face au Portugal avec la surprise du latéral gauche, Attiyat-Allah, en mode percussion pour sa première sélection. Une culture tactique qui se démocratise chez les jeunes techniciens  avec le passage du paradigme Catalan de la possession transversale, à celui de Liverpool de l’intensité verticale.  

Le leadership naturel des deux sélectionneurs s’exprime cependant différemment. Walid Regragui n’est pas un sanguin. Trait de caractère qui peut moins aider que desservir le sélectionneur algérien.  Là où celle de Belmadi s’est abimée ces derniers mois, l’image, plutôt lisse,  du héros africain de la coupe du monde du Qatar, quoiqu’il arrive désormais, s’est entourée d’une aura.  Au Maroc, les gens l’appellent « Ras l’avocat ». Il a, c’est vrai, le look d’un avocat qui vous veut du bien. Là aussi le parallèle est frappant. Djamel Belmadi tout aussi populaire il y’a encore un an, était nommé ministre du bonheur. Il a, malheureusement pour lui, laissé glisser son image vers celle du procureur en se mettant à dos les journalistes dans des conférences de presse à haute tension. Le rêve aliéné de briller dans une coupe du monde n’y explique pas tout. 

Regragui rend service au profil Belmadi

Toutefois en souhaitant « bonne chance » à son alter égo Marocain, Djamel Belmadi ne pouvait pas imaginer qu’elle le porte aussi loin. Regragui aura donc réalisé par procuration le rêve assumé de son faux jumeau Algérien.  

La frustration peut en devenir encore plus grande pour Djamel Belmadi. Avec un groupe au complet il y avait bien finalement un coup à jouer pour les Verts au Qatar cet automne 2022.  Le sélectionneur algérien peut se consoler d’avoir eu raison. Il n’était pas fou d’envisager un parcours sensationnel pour une sélection maghrébine. L’exploit, hors dimension, du Maroc s’il place Walid Regragui sur un piédestal, consolide in fine les profils techniques comme celui de Djamel Belmadi : Naissance dans la diaspora, attachement au pays, formation d’excellence généralement en France, carrière professionnelle en Europe, vécu d’international avec le pays, itinéraire à succès comme coach en clubs ou ailleurs en sélection – Belmadi à la tête de Qatar a battu la très redoutée Algérie de Gourcuff en 2015 –  les lignes d’un CV gagnant pour faire entrer les sélections africaines régulièrement dans les derniers carrés du Mondial se précisent.  Ce profil n’est pas canonique.

Le Français Bruno Metsu, aujourd’hui disparu, avait réussi une alchimie quasi équivalente avec le Sénégal en 2002. Le fait est que Walid Regragui rend un énorme service au football africain et Maghrebin. Désormais les meilleurs talents formés sur le continent européen hésiteront moins à opter pour le pays d’origine de leurs parents.  La formation des footballeurs, indispensable dans le pays, ne suffira pas seule. Les Belmadi, Cissé et Regragui apportent souvent avec eux la formule gagnante qui résout l’équation locale-diaspora. Personne ne sait vraiment plus où peu s’arrêter le succès de cette formule.

Le Maroc arrive diminué en demi-finales avec deux prolongations de plus dans les jambes que son adversaire, la France champion en titre. La procuration pour le rêve de Belmadi n’a pas de limite. Et Walid Regragui le devine maintenant.  

Samy Injar