Ali Ait Djoudi, Président de Riposte internationale : « nous avons remis un rapport sur l'Algérie au rapporteur de l’ONU » - Radio M

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Ali Ait Djoudi, Président de Riposte internationale : « nous avons remis un rapport sur l’Algérie au rapporteur de l’ONU »

Lynda Abbou | 06/10/22 06:10

Ali Ait Djoudi, Président de Riposte internationale : « nous avons remis un rapport sur l’Algérie au rapporteur de l’ONU »

Ancien syndicaliste et membre de la Ligue algérienne pour La Défense des droits de l’homme (LADDH) depuis 1989, militant associatif et politique, Ali Ait Djoudi est président de l’ONG Riposte Internationale (RI). Créée en 2017, cette ONG œuvre pour la défense des droits de l’homme et de la promotion de la démocratie et de la citoyenneté. Récemment, elle a remis un rapport au rapporteur spécial de l’ONU qui devait se rendre en Algérie mais dont la visite a été reportée. Dans cette entretien, Ail Ait Djoudi dresse un constat de la situation des libertés en Algérie et les actions de RI pour défendre les détenus.

Propos recueillis par Lynda Abbou:

Radio M : 34 ans après les événements d’Octobre 88, comment évaluez-vous la situation en Algérie ?

Ali Ait Djoudi :   la réponse à cette question requiert de revenir au contexte de l’époque qui éclaire les enjeux d’alors et leurs liens avec aujourd’hui. En effet, après 30 ans de parti unique, la jeunesse algérienne a, en l’espace de quelques heures, investi les rues d’Alger et d’autres villes d’Algérie pour réclamer une ouverture démocratique et un Etat de droit auxquels elle aspirait tant.

Ces manifestations d’octobre 88 ont malheureusement baigné dans le sang : plus de 500 jeunes tués par l’armée algérienne. Cette armée qui se présentait comme l’héritière de l’ALN qui a libéré le pays, a tiré sur les siens. Cet épisode douloureux de l’histoire algérienne comme tant d’autres épisodes n’a pas donné lieu à des enquêtes ou mener à des jugements et des condamnations. Les responsabilités n’ont pas été établies et les responsables n’ont pas été inquiétés à ce jour.

Cette date du 5 octobre, qui reste à jamais gravée dans nos mémoires, a néanmoins permis une ouverture démocratique qui nous a mené à un pluralisme politique et un intermède démocratique des plus extraordinaire dans la vie politique algérienne. Mais le suffrage qui a consacré l’élection du FIS a suscité des divisions importantes dans la société algérienne, particulièrement visée par le discours de haine et de menace du FIS. S’en est suivi l’arrêt du processus électoral venu rebattre les cartes. Il a remis au centre la gestion militaire du pays et l’état d’urgence et la violence des groupes armés a plongé le pays dans la terreur. 

Peut-on considérer aujourd’hui que les acquis arrachés par le soulèvement populaire d’octobre 88 sont perdus?

Aujourd’hui, les partis politiques sont menacés dans leur existence même. Les chefs de partis sont menacés de prison, et certains sont d’ores et déjà mis sous contrôle judiciaire. Les manifestations sont interdites, l’espace associatif devient quasiment inexistant, la liberté d’expression est réprimée et toutes les libertés individuelles et collectives sont de plus en plus en danger. Les autorités interviennent dans les réunions des partis, menacent, interpellent et emprisonnent. En somme, la vie politique et la vie même des partis politiques est suspendue au bon vouloir du prince. Il n’y a pas aujourd’hui en Algérie une indépendance et une existence démocratique digne de ce nom. Le simple fait d’organiser un café littéraire, un débat, une conférence, publier un article ou un post sur les réseaux sociaux, peut mener quiconque en prison. Mais, je ne dirai pas que ces acquis sont perdus. Les Algériens continuent de se battre pour les maintenir, et perpétuer les idéaux de 88 au prix même de leur détention et de leur existence. 

Aujourd’hui, de nombreux détenus d’opinion croupissent en prison sans jugement. De quoi cela est-il le signe, selon vous ?

Le nombre de détenus politiques et détenus d’opinion dénote de la fuite en avant d’un régime qui ne peut plus gérer le pays et les mutations de la société algérienne et du monde. La baisse des revenus des hydrocarbures pendant la pandémie et la propagation de la pandémie en Algérie, ont montré les limites de la gestion corrompue et sans perspective des tenants du pouvoir. La présence d’autant de personnes pacifiques, responsables, engagées dans de nobles causes en prison, est le signe que le pouvoir a peur de ces militants, hirakistes, journalistes et simples citoyens . En les emprisonnant, il cherche à terroriser le reste de la population et réduire au silence les voix qui peuvent s’élever ou influencer par leurs messages le reste de la population.

Le Hirak a démontré sa capacité à rassembler et à fédérer autour d’un idéal démocratique pacifique, malgré la violence exercée contre les manifestants et les poursuites judiciaires à leur encontre ainsi que les poursuites qui ont ciblé d’autres militants ou journalistes. Le pouvoir a davantage peur de ces manifestants pacifiques et militants qui inscrivent leur combat dans la démocratie et par des moyens pacifiques.  Parce que le recours à la violence, à l’émeute, aurait justifié le recours à la répression. Les Algériens ont tiré des leçons de la violence passée, ils connaissent son coût humain et ne souhaitent pas la reproduire.

Le pouvoir se discrédite aux yeux des Algériens qui sont solidaires des détenus  par leur coeur et par leurs actes . Il discrédite la justice algérienne qui confirme qu’elle est aux ordres du pouvoir.Ce pouvoir se discrédite aux yeux de ses citoyens qui s’exilent en quittant le pays avec des moyens de fortune, des embarcations qui risquent à tout moment d’échouer dans la Méditerranée alors que le Hirak avait donné l’espoir aux jeunes et n’avait pas enregistré de départs en mer.  L’Algérie se discrédite en tant que nation aux yeux de la communauté internationale. Les classements internationaux de la liberté de la presse et des libertés démocratiques et des droits humains la relèguent à un rang bien éloigné des pays de référence.

La guerre en Ukraine et la crise des hydrocarbures orchestrées par Poutine apparaissent comme une aubaine pour le pouvoir actuel. Cette remontée des prix des hydrocarbures contribue à renflouer les caisses de l’État pour l’instant. Mais ces circonstances et cette conjoncture ne peuvent constituer une politique en soi et un pari sur le futur. Cet état de fait est propice au pouvoir aujourd’hui, mais il ne saurait être une politique digne de ce nom. Demain tout peut basculer, et comment fera-t-il face à une nouvelle crise financière ? Ou en cas d’une autre pandémie, quels seront les moyens pour la gérer?  Les dirigeants vont-ils continuer à se faire soigner à l’étranger et déclarer que les hôpitaux algériens sont les meilleurs d’Afrique ? Quelle crédibilité peut-il encore avoir auprès des citoyens ?

La démocratie est le seul système qui permet d’avoir un regard et un droit de critique des gouvernants. C’est le seul système qui pourrait garantir une gestion équitable et non corrompue des biens des Algériens. La présence d’autant de détenus d’opinion en prison est un indicateur du refus des tenants du pouvoir de gérer la manne des hydrocarbures de la manière la plus honnête possible, claire et transparente.

Quelles sont les actions entreprises par Riposte Internationale pour les soutenir ? 

Riposte internationale est une ONG qui oeuvre pour la défense des droits humains.  Notre combat s’inscrit dans une perspective pacifique, désintéressée et non partisane. Nous soutenons tous les détenus d’opinion à la condition qu’ils n’aient pas versé dans la violence. Nous nous battons également pour le respect des conditions de vie carcérales respectueuses de la dignité humaine.

Notre engagement consiste à enquêter, informer et dénoncer les atteintes aux droits humains. Notre démarche de plaidoyer passe  par l’élaboration de rapports que l’on destine en priorité aux instances internationales soucieuses de faire respecter les droits humains telles que les Nations Unis et les instances de l’Union Européenne. Nous rendons public nos rapports et ce de façon régulière. 

Par ailleurs, nous participons à des manifestations et des sit-in avec d’autres ONG et associations avec lesquelles nous partageons notre combat pacifique pour la défense des droits humains. Nous signons des déclarations avec nos partenaires avec le même objectif : dénoncer les abus des droits humains. En moins de cinq ans d’existence, nous avons produit pas moins de 23 rapports dénonçant les atteintes aux droits humains, libertés de la presse et les libertés démocratiques.

Où en êtes-vous dans cette démarche ? 

Nous venons de remettre un rapport au rapporteur spécial de l’ONU qui devait se rendre en Algérie et dont la visite a été reportée par l’Algérie pour la huitième fois. Il nous semblait important de l’en informer. Nous poursuivons notre action d’informer sur la situation des conditions carcérales rendues difficiles pour les détenus et des jugements lourds qui pèsent sur eux. Et nous ne cessons pas d’interpeller les instances internationales pour qu’elles se positionnent contre ces abus et  qu’elles prennent des sanctions à l’encontre du pouvoir algérien. 

Nous avons le sentiment qu’il y a un silence international sur la situation des droits humains en Algérie. Qu’est-ce que vous en pensez ?

La pandémie a eu des effets très néfastes sur le Hirak et la santé des Algériens. L’Algérie a eu un nombre élevé de décès -et les chiffres officiels sont à majorer nettement-et souffre encore des conséquences de la pandémie. Le nombre de décès, l’absence de vaccins pendant les premières vagues n’a pas arrangé les choses. Tous les pays sont sortis fragilisés de cette pandémie et la santé économique s’en est ressentie. 

La guerre en Ukraine s’est greffée sur les conséquences désastreuses de la pandémie et de la crise économique. Le silence n’est donc pas un silence indifférent de prime abord. 

En revanche, on peut dire  qu’aujourd’hui  la production des hydrocarbures place l’Algérie dans une position de partenaire économique privilégié eu égard à la privation des européens de la production Ukrainienne et Russe par Poutine. C’est un silence de circonstance dicté par les besoins économiques. Remarquons que le même silence est observé pour l’Égypte, la Libye  par exemple, y compris avant la crise de la Covid 19.

Récemment, des sénateurs américains ont relancé le Congrès sur la nécessité de faire appliquer un acte pris à l’encontre de toute personne qui se rendrait complice du régime de Poutine. Des sanctions ont été demandées contre l’Algérie qui entretient un partenariat économique privilégié avec la Russie par  l’achat d’armes Russes y compris un avion de chasse non commercialisé préalablement par la Russie . L’Algérie n’est pas à l’abri de payer son parti pris pour la Russie.