Libérez Ihsane El Kadi ! (Blog de Thierry Leclère) - Radio M

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Libérez Ihsane El Kadi ! (Blog de Thierry Leclère)

Radio M | 30/03/23 16:03

Libérez Ihsane El Kadi ! (Blog de Thierry Leclère)

Nous sommes nombreux à aimer l’Algérie, nombreux à être tristes de la voir bâillonner ses derniers esprits libres, les uns après les autres. Comme le journaliste Ihsane El Kadi, détenu arbitrairement depuis trois mois à la prison d’El Harrach, dans la banlieue d’Alger.


Libérez Ihsane El Kadi !

Nous sommes nombreux à aimer l’Algérie, nombreux à être tristes de la voir bâillonner ses derniers esprits libres, les uns après les autres, avec un tel cynisme et une telle détermination obtuse qu’on cherche en vain une logique, sinon celle de la fuite en avant, celle de l’éternel partage privatisé de la rente pétrolière, gazière, en guise de vision : militants des droits humains, avocats, associatifs, journalistes…Tous y passent. Toute voix qui s’élève contre la nébuleuse autoritaire du président Tebboune est renvoyée au palais de justice ou à la case prison. Prison d’El-Harrach, dans la banlieue d’Alger, pour le journaliste Ihsane El Kadi, l’un des pionniers de la presse indépendante, le fondateur du site Maghreb Emergent et, sur le Net aussi,  de  Radio M. Un professionnel courageux, intègre, arrêté chez lui, en toute illégalité, dans la nuit du 23 au 24 décembre dernier, comme un dangereux brigand, par des éléments de la Direction générale de la sécurité intérieure.

Déjà trois mois d’emprisonnement et, dimanche 26 mars, un coup de massue en guise de procès avec un procureur réclamant cinq ans de prison ferme, des amendes de dizaines de milliers d’euros, la confiscation des biens de l’entreprise de presse, l’interdiction d’exercer. Bref la volonté de faire taire. De museler. D’étouffer. De censurer toute cette équipe de Radio M, de Maghreb Emergent et son patron, des professionnels, critiques du pouvoir, qui ont notamment accompagné pendant des mois et des mois cette formidable espérance du Hirak, ce mouvement de contestation populaire qui avait jailli début 2019 : on se souvient des débats du Café Presse Politique de Radio M, une bouffée d’oxygène dans le paysage médiatique algérien.  

Le verdict sera rendu le 2 avril. Ihsane tient tête. Droit debout. Celui qui le fera plier n’est pas encore né. Pendant l’audience, il a protesté contre l’absence de procès équitable. Que lui reproche-t-on exactement ? L’accusation de « financement étranger » est un placebo d’accusation. Rengaine de l’ennemi de l’intérieur : « financement étranger devant servir à des actions de propagande pouvant porter atteinte aux intérêts du pays ».

 Autour de cette procédure entachée de multiples violations du droit, l’avocate Zoubida Assoul n’a pas de mal à expliquer que les sommes d’argent reçues (28 000 euros) provenaient d’Angleterre, mais plus précisément de la propre fille de Ihsane El Kadi, brillante doctorante à Londres, et par ailleurs actionnaire de l’entreprise de presse de son père. Les sommes ont été transférées en différentes tranches pour payer les salaires des journalistes et employés de la société éditrice.

Le réquisitoire du procureur réquisitoire « n’a strictement aucun sens, sinon celui d’une férocité judiciaire contre un homme coupable d’avoir un esprit libre »  a twitté aussitôt Christophe Deloire, le secrétaire général de Reporters sans frontières

Ihsane El Kadi nous en voudrait si nous personnalisions à outrance son combat. Certes, une pétition de plus de 12 000 signataires (vous pouvez la signer ici : https://rsf.org/fr/petition-freeihsaneelkadi ) et de directeurs de journaux du monde entier ont réagi sur son nom. Mais il est malheureusement un parmi d’autres. Un journaliste parmi d’autres, emprisonnés, sous le coup de procédures judiciaires ou condamnés à des amendes. Et bien plus encore de militants pour la démocratie embastillés.

En prison, gageons qu’Ihsane garde sa boussole de toujours : la mémoire de son père, militant nationaliste de la première heure, combattant pour l’Algérie indépendante. Une Algérie libre qu’il chérit comme des millions de citoyens privés de leur destin.

 C’est dans les prisons, disait Jean Cocteau, que l’idée de liberté prend le plus de force, ceux qui enferment les autres dedans risquent de s’enfermer dehors.

 Thierry Leclère

Journaliste

Ce Texte de Blog de  Thierry Leclère, qui affiche le soutien de la corporation des journalistes avec leur confrère Ihsane El Kadi, a été publié initialement le 29 mars 2023 dans “Le Club de Mediapart”.