L'Algérie face à la poudrière libyenne: contre Haftar sans être dans des alliances? - Radio M

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L’Algérie face à la poudrière libyenne: contre Haftar sans être dans des alliances?

Said Djaafer | 02/01/20 10:01

L’Algérie face à la poudrière libyenne: contre Haftar sans être dans des alliances?

Avec une frontière commune de 982 km, l’intérêt de l’Algérie pour la Libye est imposé directement par la géographie. La diplomatie algérienne étant devenue sous l’ère Bouteflika un gestion de profil très bas, il est devenu malaisé de comprendre ce que “pense” Alger du grand jeu en cours en Libye. La réunion du Haut Conseil de sécurité, le 26 décembre dernier, a bien évoqué le sujet mais en des termes très généraux alors que la situation en Libye risque de basculer en affrontement direct entre plusieurs axes.

Haftar chouchou autoritaire de puissances étrangères

Le soutien apporté par la Turquie de Tayyip Erdogan au gouvernement de Tripoli reconnu par la communauté internationale n’est que le dernier épisode de la partie qui se joue en Libye. Les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite, l’Egypte, la Russie, la France ont apporté un soutien massif en armes au général Khalifa Haftar. Moscou a même envoyé des mercenaires compagnie privée de sécurité Wagner – en général des anciens de l’armée russe et du FSB – pour soutenir les troupes du général Haftar dans son action contre la capitale Tripoli.

Une ingérence directe pour soutenir un autocrate dont l’offensive sur Tripoli a été bloquée par une résistance des troupes et milices qui soutiennent le Gouvernement d’union nationale (GNA) sous la direction du Faiz al-Sarraj. Le choix de ce dernier d’accepter le secours proposé par Erdogan est une question de survie face au soutien des puissances étrangères dont bénéficie Khalifa Haftar.

Sans surprise, même si l’Algérie est dans le “profil bas”, la position d’Alger est scrutée. Il faut d’emblée évacuer les tentatives de faire de la situation libyenne un argument anxiogène de politique interne. Ainsi que le note Akram Kharief, directeur du site Mena-Défense spécialisé dans les questions militaires, “Ni la Turquie, ni Haftar, ni Sarraj, ni même les combattants turkmènes ne représentent une menace pour la sécurité nationale de l’Algérie. Leurs objectifs en Libye sont loin de nos frontières, lesquelles sont fortement fournies en hommes et en armes. Aucune faction terroriste n’oserait traverser 2 000 kilomètres sans couverture aérienne pour intimider un État avec une armée comme la nôtre. Tout le reste n’est qu’intimidation et stupidité politique et baltaga médiatique”.

Exit donc les tentatives d’instrumentalisation de la situation libyenne que certaines pseudo-analystes ont effrontément tenté sur les plateaux des TV offshore pour s’attaquer au Hirak. Reste donc à comprendre le positionnement de l’Algérie dans ce “grand jeu” qui se déroule dans le voisinage.

La dernière communication officielle, celle du Haut conseil de sécurité (HCS), n’aide pas beaucoup à le savoir. Le communiqué indique le HCS “a examiné la situation dans la région, notamment au niveau des frontières avec la Libye et le Mali” et qu’il “a décidé d’une batterie de mesures à prendre pour la protection de nos frontières et notre territoire national et la redynamisation du rôle de l’Algérie au plan international, particulièrement en ce qui concerne ces deux dossiers, et de manière générale dans le Sahel, la région saharienne et l’Afrique”.

L’agence APS comme porte-voix officieux

Tellement vague que les médias internationaux se rabattent sur un article de l’agence de presse APS où il est question de “l’arrogance” du général Haftar qui est rendu pleinement responsable de la dégradation de la situation. Le texte de l’agence de presse n’est pas un communiqué – contrairement à ce que certains médias étrangers ont avancé – et il n’exprime pas de ce fait une position officielle. Mais il correspond clairement à la méfiance de l’Algérie à l’égard de Khalifa Haftar dont l’action guerrière soutenue par l’Egypte du maréchal Sissi a détruit les tentatives de solution politique. Dans le voisinage de la Libye, Alger et Tunis se sont retrouvés dans des démarches divergentes avec le Caire qui a clairement opté pour une solution militaire avec Haftar dans le rôle de “l’éradicateur” des islamistes.

Ce qui pourrait expliquer d’ailleurs pourquoi Alger s’abstient de prendre position publiquement sur la volonté affichée d’Erdogan d’intervenir en Turquie. Le parlement turc doit examiner, à l’ouverture de ses travaux le 7 janvier prochain, un projet de loi sur l’envoi de troupes en Libye à l’invitation du gouvernement de Tripoli. Formellement, la démarche turque à l’apparence de la légalité. Mais au-delà, pourquoi l’Algérie pointerait-elle l’activisme turc – qui reste encore du discours – et se tairait sur les ingérences concrètes et directes – et illégales au regard du droit international – des autres puissances étrangères en faveur de Haftar. On peut ajouter que la Tunisie et l’Algérie, pourtant voisins directs , n’ont pas été invités à la Conférence de Berlin sur la Libye prévue en février alors que la Turquie, même si cela relève de la rhétorique justificatrice, exige leur présence.

Alger n’acceptera pas de s’engager dans une coalition avec la Turquie car, a souligné Abdelaziz Rahabi, la position de principe de l’Algérie “privilégie les solutions internes, n’a jamais fait partie de pacte ou coalition militaires et rejette toute forme de présence militaire à ses frontières”. Il n’en reste pas moins que pour Alger ce qui arrive en Libye est d’abord un effet de l’encouragement et du soutien international aux options guerrières du général Haftar et que l’action turque n’en est qu’une conséquence. De ce point, le texte de l’APS situe clairement le responsable du désastre: le général Haftar et ses soutiens.