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Irak: la rue hausse le ton face au pouvoir en plein marasme

AFP | 22/12/19 15:12

Irak: la rue hausse le ton face au pouvoir en plein marasme

Après une accalmie, les manifestants haussent le ton dimanche en Irak face au marasme des politiciens incapables de s’accorder sur un nouveau Premier ministre et à l’intransigeance du voisin iranien qui refuse de céder du terrain.

Depuis mardi, le président de la République Barham Saleh et le chef du Parlement Mohammed al-Halboussi n’ont cessé de repousser l’échéance. Mais dimanche, ils doivent proposer le nom du nouveau Premier ministre.

Avant même qu’ils ne se soient prononcés, les manifestants -pour beaucoup des étudiants- sont déjà redescendus par milliers sur la place Tahrir de Bagdad et dans le sud du pays. “Halboussi, Barham, votre tour est venu !”, scandent-ils désormais, accusant les deux hommes de “procrastiner”.

Alors que la classe politique en plein marasme se renvoie la balle, la Cour suprême a ajouté à la confusion en annonçant que toutes les options étaient ouvertes pour la “plus grande coalition” au Parlement –la seule censée nommer le Premier ministre–, titre que tous les grands partis revendiquent depuis les législatives de 2018.

Au-delà des arrangements avec les formules et les délais constitutionnels, habituels en Irak, les protestataires qui dénoncent la mainmise de l’Iran à Bagdad redoutent que Qoussaï al-Souheil, ministre démissionnaire de l’Enseignement supérieur, présenté comme l’homme de Téhéran, ne l’emporte.

Les partis pro-Iran au Parlement font pression pour qu’il passe, assurent de nombreux responsables politiques.

“Mais c’est justement ça qu’on refuse : le contrôle iranien sur notre pays, que Qassem Soleimani gère tout”, s’emporte sur Tahrir Houeida, étudiante de 24 ans.

Car régulièrement en Irak, quand des décisions majeures doivent être prises, c’est le puissant général iranien Qassem Soleimani qui est aux commandes.

Un homme “intègre”

Pour la formation du gouvernement, l’émissaire de Téhéran s’est adjoint les services d’un dignitaire du Hezbollah libanais pour négocier avec les partis sunnites et kurdes, nécessaires aux chiites –auxquels revient de fait le poste de chef de gouvernement– pour obtenir la majorité au Parlement.

M. Halboussi, un sunnite, discutait d’ailleurs dimanche à Erbil “de la succession de M. Abdel Mahdi”, selon la présidence du Kurdistan autonome.

S’adressant sur Twitter à M. Saleh, un député de l’opposition sunnite l’a appelé à “violer la Constitution plutôt qu’à plonger le pays dans le chaos sanglant en choisissant une personnalité que le peuple a déjà refusée”.

A l’Assemblée, la plus éclatée de l’histoire récente de l’Irak, certains plaident pour que le président fasse jouer l’article 81 de la Constitution qui l’autorise à décréter le poste de Premier ministre vacant et à l’occuper de fait.

“Des centaines de martyrs sont tombés et ils ne tiennent toujours pas compte de nos revendications”, abonde Mouataz, étudiant de 21 ans sur Tahrir. “On veut un Premier ministre intègre, mais ils nous ramènent un corrompu comme eux qui va les laisser continuer à nous voler”. Depuis 2003, la corruption a englouti plus de la moitié des revenus du pétrole du pays, deuxième producteur de l’Opep.

Après près de trois mois d’une révolte inédite parce que spontanée, près de 460 morts, 25.000 blessés, des militants assassinés et des dizaines d’autres enlevés par des “milices” selon l’ONU, “la révolution continue”, lance un manifestant à Diwaniya.

“Pays en travaux”

Dans cette ville du sud, les protestataires ont fermé les administrations, y installant des banderoles “Le pays est en travaux : veuillez excuser cette perturbation”.

Après des semaines de désobéissance civile qui ont paralysé le sud du pays avant de faiblir, les fermetures “sur ordre du peuple” des écoles et autres directions administratives ont repris dès samedi soir.

Des pneus en feu bloquent les autoroutes, notamment celle menant au port d’Oum Qasr –vital pour les importations– près de Bassora, et des ponts sur l’Euphrate, alors que des banderoles barrent l’entrée des écoles.

Pour les manifestants, dont beaucoup de jeunes n’ayant connu que l’Irak post-Saddam Hussein, renversé en 2003 par l’invasion américaine, le système politique désormais noyauté par Téhéran a porté au pouvoir des “corrompus” et des “incompétents”.

Ils veulent désormais le scrutin uninominal, alors que l’actuel système alambiqué mêlant proportionnelle et scrutin de listes favorise les grands partis et leurs têtes de liste, inchangées depuis 16 ans. Mais le Parlement discute toujours la réforme électorale –seule réforme qu’il a lancée.

Preuve que la pression de la rue est inédite : le grand ayatollah Ali Sistani, qui passe pour avoir fait et défait tous les Premiers ministres depuis 2003, se tient à l’écart.

Car plus rien n’arrête la rue, prévient Houeida: “il faut que l’Irak redevienne irakien et si le président ne nous aide pas, on le dégagera lui aussi”.