Cinq “fourssane” pour une élection destinée à neutraliser l’article 7 - Radio M

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Cinq “fourssane” pour une élection destinée à neutraliser l’article 7

Ghada Hamrouche | 03/12/19 12:12

Cinq “fourssane” pour une élection destinée à neutraliser l’article 7

La liste des candidats annoncée par l’Autorité électorale démontre par elle-même l’impossibilité d’un changement politique sans démantèlement du régime. C’est une réponse pour de nombreuses personnes qui n’ont pas compris cette règle en raison de la désinformation médiatique, de leur positionnement idéologique ou de leur flagornerie à l’égard du pouvoir de fait.  

Si l’on crédite l’Autorité électorale de bonne intention, on est  contraint de trouver une explication objective au fait que ces cinq personnes, et elles seules, parviennent à passer l’obstacle de la collecte des signatures. La réponse est claire: ils se sont appuyés sur d’anciens réseaux déjà prêts. Cela signifie que la mission était d’emblée impossible à quiconque venant d’en dehors du système.  

Tebboune, candidat “indépendant” comme Bouteflika

Hormis l’annonce de sa candidature pour les élections du 12 décembre, la dernière déclaration de Abdelmadjid Tebboune, ministre de Bouteflika durant de longues années et son Premier ministre pendant 80 jours, remonte à janvier 2019.  Dans cette déclaration, il niait toute intention de concurrencer Bouteflika et proclamait clairement son soutien au cinquième mandat. Tebboune a rassemblé les signatures sans aucune peine. Il devient ainsi le “candidat indépendant”, comme l’a été Bouteflika en 1999 et lors des trois élections suivantes. Tebboune est organiquement lié au  FLN qui n’a présenté de candidat en son nom propre qu’une seule fois, (2004), entraînant une vive division au sein de sa direction.

Au lieu de présenter son candidat, le FLN apportait son soutien au “candidat indépendant” qui est comptabilisé parmi les siens. C’est le cas de Bouteflika qui disait qu’il était du FLN de par sa relation avec lui mais qu’il ne lui était pas lié de manière organique (la situation a changé après que le FLN eut annoncé durant le 4eme mandat que Bouteflika était devenu le président du parti). Les informations disponibles indiquent que les soutiens de Bouteflika se sont ralliés de façon précoce à Tebboune en tant que candidat du pouvoir. 

Le paradoxe du RND

L’autre parti du pouvoir, le RND, a réussi à faire passer son candidat, Azzedine Mihoubi, qui assure le secrétariat général du parti par intérim en se basant sur sa machine électorale.  Les députés et les élus locaux et les bases du parti ont été chargées de la collecte des signatures. Cela donne un résultat très paradoxal: le RND dont le secrétaire général est en prison et exclu du dialogue par l’Instance du dialogue de Karim Younes, dispose d’un candidat à la Présidence, prêt à  assumer la mission de construire le nouvel Etat national (mission fixée dans le discours du chef d’état-major et du chef de l’Etat pour le prochain président).

Ce constat est sans doute plus important à souligner que de revenir sur le passé de Azzeddine Mihoubi, un homme qui a justifié toutes les politiques qui ont conduit le pays au désastre durant les deux dernières décennies. Sans oublier qu’il a été un des fondateurs du RND et de ceux qui doivent assumer son histoire honteuse de parti de la fraude.

Benflis, “l’expérimenté” , Belaïd, la nouvelle génération de clients

Ali Benflis a une expérience des élections. Il a été candidat en 2004 et 2014 et dispose d’un parti avec des militants et des sympathisants qui ont joué un rôle dans la collecte des signatures. Il convient de rappeler que Benflis s’est porté candidat, la première fois en 2004, avec le soutien du commandement de l’état-major. Il s’est porté candidat une seconde fois en 2014, encouragé par une aile du pouvoir dans un contexte de lutte autour du quatrième mandat. 

Pour Benflis, les élections constituent une occasion de réaliser son ambition présidentielle et de prendre sa revanche sur ses deux précédentes défaites. Il n’est pas nécessaire de rappeler que Benflis n’était pas dans la rue et qu’il n’en n’était pas proche. Parmi ceux gèrent sa campagne, certains  ont commencé de manière précoce à théoriser sur “l’infiltration” du Hirak et à expliquer les évènements par une lutte entre le Commandement de l’armée et “’l’État profond”. 

Un autre candidat était ministre sous Bouteflika et parmi ses fermes soutien. Entré en dissidence avec le MSP, il a créé Harakat al-Bina qui concurrence le MSP sur l’héritage de Mahfoud Nahnah. Son parti n’a aucun poids à l’APN, mais un de ses membres s’est vu confier la présidence de la deuxième chambre du parlement. Une attribution qui s’est faite dans le cadre d’un accord parrainé par le pouvoir dans le cadre de mesures destinées à améliorer la façade du régime après le début de la révolution pacifique. Aujourd’hui, il s’exprime avec une grande confiance pour dire qu’il sera le prochain président du pays.

Abdelaziz Belaid a grandi dans les langes du régime, il représente la nouvelle génération de clientèles. Il était parmi les soutiens de Benflis en 2004 et de ceux qui l’ont fortement soutenus dans son aventure électorale. Dix ans plus tard, il est devenu un instrument aux mains de Bouteflika pour contrecarrer Benflis chez lui et disperser ses partisans. Il a été généreusement récompensé lors des législatives et a été imposé comme un acteur politique “jeune” à travers lequel le régime tente de restaurer sa façade décrépie. 

Une liste du régime et seulement lui

Dans la liste, il n’y a que le régime. Même ceux qui ont essayé de donner le sentiment que l’élection était ouverte ont fini par se retirer ou bien ont déposé des dossiers incomplets. Le même sort aurait été réservé à tout candidat hors du système. Cela nous amène à la question la plus importante: comment parler de changement par les élections dès lors que la société est empêchée de découvrir de nouvelles forces politiques ou des figures autres que celle qui sont vendues depuis deux décennies ? 

La réponse est simple: cela n’est pas possible si les libertés ne sont pas préalablement établies pour permettre l’émergence de nouvelles forces politiques; et pour que cette majorité qui sort dans la rue depuis le 22 février puisse s’organiser et participer efficacement à la vie politique à travers des élections véritables qui seront le couronnement d’un passage vers un nouvel ordre. Dans le monde entier, on appelle cela une “transition démocratique”. Le pouvoir et ses instruments de propagande cherchent à la diaboliser en la présentant sous l’appellation de “période de transition” synonyme de “vide”, selon eux. 

Peu importe qui pourrait gagner des élections de ce genre, le résultat est le même: la continuité du régime avec un nouveau président. Spéculer sur qui sera le futur président est un sujet ignoré par une rue qui persiste à vouloir mettre fin à l’ère de la transformation des élections en instrument de confiscation de la volonté du peuple.