Arrêt du processus electoral : avons-nous soldé les conséquences 30 ans après ? - Radio M

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Arrêt du processus electoral : avons-nous soldé les conséquences 30 ans après ?

Lynda Abbou | 12/01/22 16:01

Arrêt du processus electoral : avons-nous soldé les conséquences 30 ans après ?

Ce 12 janvier 2022 correspond au 30e anniversaire de l’arrêt du processus électorale en 1992. Une annulation qui a provoqué de « graves conséquences » sur plusieurs plans en Algérie, notamment sur la vie politique. Trente ans après cet évènement important de la vie politique algérienne, avons-nous tourné la page ? Avons-nous soldé les conséquences ?  Pour répondre à toutes ces questions et bien d’autres, Radio M a reçu, sur son plateau Cinq sur cinq, la politologue Louisa Dris Ait Hamadouche, le journaliste Ihsane El Kadi et le représentant du parti du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Mourad Biatour.

Le Haut conseil de sécurité (HCS) a décidé, le 12 janvier 1992, d’annuler le second tour des élections législatives prévu pour le 16 janvier de la même année, à la suite de la victoire, au premier tour, le 26 décembre 1991, des islamistes du Front islamique du salut (FIS).  

Une partie de la classe politique, regroupant des membres du régime et certains partis d’opposition, soutient cette décision tandis que le FIS et certains autres opposants voient en elle « un coup d’État ». Le pays s’enfonce dans une crise profonde, prélude à une longue décennie sanglante.

La politologue décrit ce qui s’est passé en cette date et les conséquences qui l’ont suivi « comme une blessure qui n’a pas été soignée ». Pour elle, l’arrêt du processus électoral est un tournant important pour les Algériens et cela, sur plusieurs plans.

 « Ce tournant a fait perdre à l’Algérie l’opportunité de guider le monde arabe vers un processus démocratique. Les autres pays cherchent à éviter notre expérience au lieu de la suivre », développe Louisa Dris.

« La blessure demeure présente car nous n’avons pas traité ce qui s’est passé froidement et calmement.  Pire encore, nous ne pouvons pas s’arrêter sur ça pour des raisons juridiques. La charte de réconciliation nationale est un obstacle devant les recherches liées à cette problématique », assure l’universitaire.

Pour elle, les conséquences idéologiques et le choc des années 90 impacte toujours l’opposition traditionnelle en Algérie. Elle a d’ailleurs expliqué que pendant le Hirak « nous avons constaté qu’il y a eu deux générations.  Une première génération politique qui porte le fardeau des années 90 et une seconde génération qui veut imposer son droit de ne pas porter ce poids ».

En revanche, elle met en avant le point positif de cette étape. Il s’agit des Algériens qui  ont « développé leur méthode d’assimiler les idéaux politiques notamment les contradictions idéologiques ».

 Pour elle, les Algériens sont « immunisés » aujourd’hui. « Ils ne tombent plus dans polarisation idéologique comme cela a été le cas pendant les années 90 » a-t-elle souligné. Elle cite d’ailleurs, l’exemple de la révolution de 22 février où de « grandes inquiétudes ont été enregistrées chez les autorités algériennes par rapport aux mouvements qui se démarquaient de la polarisation idéologique au sein du Hirak ». « En 2022, les Algériens veulent construire quelque chose de nouveau qui n’est pas prisonnière des années 90 », affirme Louisa Dris Ait Hamadouche.

« La politique du système ces eux dernières années, laisse comprendre qu’il pense qu’utiliser les mêmes stratégies aboutiront aux mêmes résultats. À cet effet, nous avons, constaté l’inattendu retour des autorités au discours de lutte contre le terrorisme.  Le pouvoir, qui n’arrête pas de répéter qu’il a vaincu le terrorisme, revient 20 ans après pour dire que l’Algérie est menacée non seulement par une organisation terroriste mais par deux organisations », analyse la politologue.

Mais il faut, selon elle, noter que « contrairement aux années 1990, où chaque décision illégale du pouvoir avait un soutien d’une partie de la classe politique est d’une partie de la société, aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les deux conditions sont absentes chose qui rend la tâche difficile au pouvoir.  Les Algériens savent que soutenir un discours radical ne peut que faciliter la tâche au pouvoir qui cherche un ennemi intérieur », souligne l’enseigante.

Pour Mourad Biatour, le problème n’est pas l’arrêt du processus électoral en lui-même, mais ce qui est venu après. Il pense que «  la classe politique doit comprendre les changements qui ont lieu après le 22 février 2019 et s’éloigner des préjugés pour pouvoir tourner la page et avancer ».  « La classe politique doit suivre le changement en changeant ses discours et pratiques car le pouvoir a réussi à inculquer la philosophie du rejet de l’autre dans la classe politique et dans la société, et c’est une chose qui a été visible dans le lancement des initiatives du Hirak », soutient le jeune cadre du RCD.

D’après lui, « l’enjeu aujourd’hui est de construire un terrain de concurrence politique ».  « Se jeter dans des conflits que nous pouvons éviter au moment où nous avons besoin de nous rassembler, fera de nous des acteurs de l’échec. Nous allons rater encore une fois l’opportunité de construire une nouvelle ère basée sur des piliers démocratique », avance-t-il.

De son côté, le journaliste Ihsane El Kadi aborde le sujet de l’islamisme politique et du courant islamiste en Algérie depuis les années 1990 jusqu’à la révolution du 22 février 2019.  Pour lui, l’interdiction des sondages est une « manière de faire peur ». « C’est une manière de nous faire croire que si des élections démocratiques sont organisées, nous aurons inévitablement une majorité islamiste. Non, nous ne savons pas qui aura la majorité si des élections libres ont lieu », martelle-t-il.

« Nous avons cru que le Hirak a réglé le problème des années 1990, mais nous avons constaté que ce n’est pas le cas chez les élites politiques. Il y a eu une réserve quant à l’assemblée constituante.  Certain avaient peur d’une constitution islamiste et le pouvoir a investi dans ces inquiétudes », souligne Ihsane El Kadi.

Dans le même sillage, il s’interroge sur le point de vue qui craint l’arrivé d’un courant fasciste au pouvoir en Algérie, mais qui salue le rôle des institutions puissantes et démocratiques qui jouent leur rôle dans d’autres pays où un fasciste est au pouvoir, comme ça a été le cas aux USA.

Il signale, que ces personnes font confiance à ces institutions installées ailleurs dans le monde, mais refusent la même expérience pour l’Algérie car, selon eux, « nous n’avons pas de tradition démocratiques ». « Quand est-ce que nous les commençons ces traditions démocratiques ? » s’interroge-t-il.

Une analyse profonde a été développé par les invités de Cinq sur cinq. L’intégralité de l’analyse est disponible dans le lien ci-dessous. Cliquez.