𝑳𝒆 𝒄𝒉𝒂𝒓𝒅𝒐𝒏𝒏𝒆𝒓𝒆𝒕 é𝒍é𝒈𝒂𝒏𝒕 𝒆𝒕 𝒍𝒆𝒔 𝒐𝒊𝒔𝒆𝒍𝒆𝒖𝒓𝒔 - Radio M

Radio M

𝑳𝒆 𝒄𝒉𝒂𝒓𝒅𝒐𝒏𝒏𝒆𝒓𝒆𝒕 é𝒍é𝒈𝒂𝒏𝒕 𝒆𝒕 𝒍𝒆𝒔 𝒐𝒊𝒔𝒆𝒍𝒆𝒖𝒓𝒔

Zoheïr Aberkane | 29/10/22 18:10

𝑳𝒆 𝒄𝒉𝒂𝒓𝒅𝒐𝒏𝒏𝒆𝒓𝒆𝒕 é𝒍é𝒈𝒂𝒏𝒕 𝒆𝒕 𝒍𝒆𝒔 𝒐𝒊𝒔𝒆𝒍𝒆𝒖𝒓𝒔

Une chronique de Zoheïr Aberkane

Elon Musk rachète Twitter. « L’oiseau est libéré ! » a-t-il twitté. Avant-hier, jeudi, à Sidi M’hamed un bel oiseau a été mis en cage. Mohamed Tadjadit, poète du Hirak. Son seul tort, c’est de continuer à représenter, malgré lui, une menace pour le système en place. Un pouvoir qui a peur des mots, ne peut se maintenir que par le silence. Et l’emprisonnement.

Dans la liste des griefs retenus contre lui, outre les accusations standards, spéciales Hirak, on découvre que Tadjadit propagerait un « discours de la haine et de la discrimination ». J’ai beau parcourir son mur, écouter sa poésie, me souvenir de ses prises de parole, je n’y découvre qu’amour pour ce pays et une grande vénération pour ses héros et son histoire. Une idylle posthume pour Hassiba et un fort engagement doublé d’une immense colère contre l’injustice et la hogra.

Trois ans après le 22 février 2019, Mohamed Tadjadit a passé près de 2 ans en prison. Avec ce mandat de dépôt, il en sera à son quatrième séjour carcéral. Il en sortira certainement avec des « Poèmes de prison » plus forts encore, plus denses, plus intenses. Le chardonneret élégant continue de chanter. Même quand il est mis en cage.

Dans le collimateur des services de police depuis sa libération le 7 août dernier, la tentation de bâillonner cet électron libre était trop forte à la veille du 1er novembre de cette année, doublement symbolique pour le pouvoir en place, prenant toujours appui sur une légitimité historique et en quête incessante d’une légitimité régionale et internationale grâce à la caution d’un sommet arabe dont la base, la ligue des Etats Arabes, n’a jamais eu depuis sa création au Moyen-Orient en 1945 – avec la bénédiction des britanniques – d’impact réel sur les développements géopolitiques dans la région, encore moins à l’émergence d’une force régionale conséquente.

En 1948, naissait dans le sang et dans l’exode, l’Etat d’Israël. Soit deux années après le somment de création de la Ligue Arabe à Beyrouth. Le premier sommet n’aura lieu que 7 années plus tard, au Caire, en 1956. Mais ceci est une autre histoire. Restons avec les oiseleurs du moment.

Une semaine aux antipodes de celle qui l’a précédée. Avec la libération de Mouloudj et de ses camarades dans un dossier MAK d’un côté, et Lassouli et ses compagnons d’infortune dans un dossier à connotation Rachad de l’autre, d’aucuns pensaient qu’à l’acharnement habituel, le pouvoir a préféré l’apaisement. Loin s’en faut. Le Tribunal de Dar El Beida a pourtant suffisamment démontré son « intransigeance » à sévir dans des dossiers sensibles comme ceux de Benhalima, Mohamed Abdallah, Abdou Semmar ou encore des personnes figurant sur la « liste des terroristes », consacrés comme tels.

Le temps d’un week-end, le pouvoir a certainement oublié que l’Algérie venait d’être élu au Conseil des Droits Humains de l’Onu, pour se livrer à autant d’interpellations et de gardes à vue.

Et la relaxe de Hamadi Farouk qui ressort libre à l’issue d’une comparution immédiate, est-ce la justice qui désavoue la police ou serait-ce plutôt une sorte de division du travail ? La justice met Soheib Debaghi sous contrôle judiciaire, mais envoie en mandat de dépôt, Ahmed Oussaidane et Mohamed Tadjadit. Plutôt, ce sont Karim Mokhtiche et Amir Soufiane de faire les frais de la détention provisoire à Boufarik.

Pendant ce temps, certains s’improvisent fossoyeurs et sont en quête de la dépouille du Hirak à brandir tel un trophée. Dans la mythologie grecque, Jason partait à la recherche de la toison d’Or. Sur Facebook, jasant à longueur de posts sur Facebook, ils donnent le Hirak pour mort, alors que le régime en place, lui-même ne serait pas de cet avis. Autrement, Tadjadit n’irait pas en prison et les plus de 260 détenus d’opinion seraient tous libres.

Tuer définitivement le Hirak n’a pour seul but que celui de mettre en branle une politique de « mise à niveau » avec le pouvoir et de s’inscrire dans les jeux électoralistes à venir. Que celui qui veut trahir les idéaux du Hirak le fasse sans la bénédiction de celles et ceux qui ont cru et qui croient en les nobles idées du Hirak.

Il est toujours utile de rappeler que le Hirak n’a jamais été une fin en soi. Même si en vérité, c’est une faim de Soi. De liberté et de bien-être.

Une dynamique de lutte née d’un mouvement populaire pour le changement du système. On ne peut lui appliquer ni les caractéristiques d’un parti ou d’un front, encore moins l’affubler du vocable de révolution, même si par beaucoup d’aspects il s’inscrit dans un processus révolutionnaire indéniable.

Le Hirak n’a rien promis pour que l’on dise qu’il a échoué. L’aboutissement naturel du Hirak aurait été une Constituante mais, pour des raisons de matérialité et de conditions historiques, cela ne s’est pas produit. Ce qui explique aussi pourquoi il n’y a pas eu de représentants du Hirak…

Le Hirak a, cependant, gagner sa place dans l’histoire et les cœurs. Plus rien ne sera jamais comme avant. Le paradigme Hirak est une donne profondément ancrée dans l’esprit de beaucoup d’Algériennes et d’Algériens, face à l’archétype systémique. Il relève désormais de la dialectique.

Quant à son avenir, il est désormais semblable à la tectonique des plaques. Même si le pouvoir s’acharne à mettre en place des mécanismes juridiques pour empêcher qu’un 22 février ne se reproduise, une sorte d’arsenal parasismique, personne ne pourra dire ou prédire quand reviendra ou se produira le Hirak. Avec ou sans nous, sa sismicité est définitivement acquise. A l’image des bouleversements sociaux et politiques qui secouent le monde chaque décennie, parfois moins.

Il en est ainsi du cycle inéluctable de l’Histoire, des peuples et des chardonnerets libérés qui, d’un chant aux trilles puissants annoncent la fin des oiseleurs et des cages…

Z. A