Radio M, un média innovant dont la mise à mort est devenue le « cœur de métier » de Amar Belhimer - Radio M

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Radio M, un média innovant dont la mise à mort est devenue le « cœur de métier » de Amar Belhimer

Radio M | 23/05/21 19:05

Radio M, un média innovant dont la mise à mort est devenue le « cœur de métier » de Amar Belhimer

Par Ihsane El Kadi

Rarement par temps de paix civile, un pouvoir politique ne s’est autant acharné sur un média. Pourquoi ? Comment ?

Radio M existe sur le web depuis septembre 2013. Le projet est né au sein de Interface Médias SPA dans le but de lancer une radio privée sur la bande FM conformément à la loi de 2012 qui préparait l’ouverture de l’audiovisuel, un acquis indirect des révolutions arabes.

La grille de la web radio a toujours tendu au généralisme même si son traitement de l’actualité économique était le plus important, notamment à cause de la spécialisation de Maghreb Emergent, l’autre média édité par IM SPA.

Une émission politique, le CPP,  lancée début 2014 avec la campagne pour les présidentielles d’avril est devenue au fil des années, la marque premium de la radio.  Cette notoriété du CPP a sans doute masqué le fait que la Radio produit 12 formats différents dont des magazines de société, des entretiens très diversifiés dans le monde des arts et des idées, et bien sur une batterie d’émissions d’économie et de business. 

Durant les trois années (mai 2014-mai 2017) ou Hamid Grine a dirigé le ministère de la  communication, il a promis à plusieurs reprises devant des publics restreints, de fermer Radio M. Sa priorité était cependant de travailler à mettre au pas les derniers journaux papiers qui avaient relayé la campagne contre le 4e mandat de Abdelaziz Bouteflika et couvert le processus de l’unification de l’opposition à l’hôtel Mazafran.

Le régime de Bouteflika a finalement toléré cet espace de liberté patiemment bâti, année après année, par une équipe de journalistes professionnels. Le sort de Radio M a cependant chancelé en septembre-octobre 2015 après l’entretien évènement du général à la retraite Hocine Benhadid. 

Une plainte déposée par Ali Haddad alors puissant président du FCE, incriminé dans l’entretien, a été retirée après que Hocine Benhadid ait été jeté en prison par le chef d’Etat major, le général Ahmed Gaïd Salah. La procédure judiciaire n’a finalement pas impliqué Radio M, en dépit de la proposition, transmise publiquement et par les avocats, de son directeur d’être cité comme témoin dans le dossier. 

Radio M a donc pu poursuivre son développement jusqu’au 22 février 2019, date à laquelle elle avait déjà dépassée les 20 millions de vues sur ses plus de mille contenus professionnels diffusés depuis son lancement sur sa chaine You Tube, en plus de sa diffusion en direct audio sur sa propre plateforme.

Inédit depuis le retour à la paix civile

Radio M aurait pu totalement perdre « son avantage comparatif » vis à vis du reste de la presse nationale après le 22 février 2019. Tous les médias audiovisuels, les sites électroniques et la presse papier pouvaient subitement produire des contenus, organiser des débats et rapporter des informations aussi librement que dans le style qui a fait le modeste succès de Radio M parmi les publics connectés.

Radio M rentrait de fait dans le rang de la déferlante libertaire du Hirak naissant. Cette parenthèse s’est rapidement refermée, d’abord avec les médias publics, puis les télévisions privées, enfin avec la presse papier puis les journaux électroniques.

Parmi la population, encore engagée, des médias qui ont poursuivi, en 2020 sous Abdelmadjid Tebboune, leur couverture de l’actualité du Hirak  à travers la situation des détenus et les initiatives politique de l’opposition, Radio M et son site d’information en ligne se sont retrouvés très tôt particulièrement ciblés.

L’emprisonnement de son présentateur vedette Khaled Drareni en mars 2020, la censure des deux sites d’information de IM SPA le 09 avril 2020, et les attaques publiques contre Radio M à cette période ont ouvert un front inédit qui n’avait jamais existé sous cette forme agressive y compris pendant les sept mois ou le pays était directement dirigé par Ahmed Gaïd Salah en guerre ouverte contre le mouvement populaire à partir du mois de juin 2019.

Ce cours clairement répressif a connu des modulations depuis un an –détention de six heures à la caserne Antar de la DGSI de Ihsane El kadi en juin 2020,  libération de Khaled Drareni en février 2021, suspension des procédures judiciaires contre Ihsane El Kadi en octobre 2020 et en mars 2021 –  avant de revenir à travers l’escalade la plus brutale durant les quinze derniers jours.

Le front de l’attaque s’est, cette fois ci, élargi aux actionnaires de Interface Médias avec l’incarcération, le 09 mai dernier, d’un membre de son conseil d’administration, Nabil Mellah, directeur de Merinal, 2e  laboratoire pharmaceutique algérien, sponsor du CPP, pour une abracadabrante « affaire » de vente à perte. L’interpellation brutale de Kenza Khatto le vendredi 14 mai durant sa couverture du Hirak a pris un tournant judicaire aussitôt qu’elle s’est présentée comme journaliste de Radio M. Les 98 heures de garde à vue qui lui ont été infligées et qui ont conduit à son grave état d’épuisement durant sa comparution immédiate, sont le pire traitement par la police d’une journaliste professionnelle. 

Pour finir, la plainte déposée contre Ihsane El Kadi pour un article publié le 23 mars dernier a été réactivée simultanément avec la garde à vue de Kenza Khatto et a débouché sur la mise sous contrôle judiciaire du directeur de Radio M.  Il est difficile de retrouver un épisode de répression aussi brutal  contre un média algérien depuis le retour de la paix civile au début des années 2000  et l’épisode de l’incarcération de Mohamed Benchicou en 2004 avec l’arrêt du quotidien Le Matin.

Belhimer en mode « hard power »

L’escalade actuelle dans la répression de Radio M s’intègre bien sûr dans la volonté, désormais affichée, d’empêcher la poursuite de la couverture médiatique des marches populaires du Hirak en vue de les interdire par la force.

Un homme a réussi, au sein du gouvernement et auprès de la présidence, à faire de Radio M une cible privilégiée de cette campagne contre les médias qui sont restés sur le terrain depuis deux ans.

Amar Belhimer, ministre de la communication, a été, dans sa croisade contre Radio M, très au-delà de Hamid Grine contre les derniers journaux indépendants héritage de l’ouverture d’après 1988.  Il y a consacré une énergie considérable depuis seize mois qu’il est en poste. Il a multiplié les déclarations hostiles citant Radio M et Maghreb Emergent. Il a évoqué de manière diffamatoire des financements extérieurs à la source de la création de la web Radio. Il a sollicité la censure des deux sites pour le public en Algérie et justifié son acte publiquement. Il a déposé deux plaintes en justice contre Ihsane El Kadi le directeur de la plateforme. Il a tenté plus d’une fois de justifier la scandaleuse condamnation de Khaled Drareni en affirmant qu’il ne détenait pas une carte de presse. Il a même usurpé, dans la dernière affaire, la place du ministère public, seule partie civile reconnue par la loi sur la réconciliation nationale de 2005, pour donner une dimension plus dramatique aux sanctions prévues dans sa plainte.

Ammar Belhimer a fait du harcèlement contre  Radio M et son directeur son cœur de métier depuis qu’il est ministre. Il n’existe pas dans l’histoire de la république un investissement personnel aussi agressif et aussi constant d’un ministre de la communication contre un acteur de son secteur. Lorsque le ministre bat en retraite, parce qu’il n’est pas suivi par les autorités du pays dans son obsession à faire taire Radio M, ce n’est que pour revenir à l’assaut lorsque la conjoncture politique lui paraît redevenir opportune, comme c’est le cas ces derniers jours avec la décision du haut conseil de sécurité de réprimer le Hirak et de classer le MAK et Rachad organisations terroristes, ou quand il apprend que la DGSN a décidé de placer en garde à vue une journaliste – Kenza Khatto- de Radio M. 

Le régime de Tebboune projette de cacher le Hirak au reste du monde, le ministre de la communication rêve de switcher le bouton de Radio M sur off. Peu importent les moyens. L’accusation de financement extérieur a coincé, l’attaque contre l’actionnariat de l’éditeur devient un recours.

Dans l’affaire Nabil Mellah, le mode opératoire est une copie de celui utilisé contre Ihsane El Kadi. C’est le ministre de tutelle – en l’occurrence Lotfi Benbahmed ministre de l’industrie pharmaceutique, qui porte plainte au pénal– pour une affaire de vente à perte qui n’existe pas – contre un acteur majeur de la filière dont il est supposé promouvoir le développement.

Dans cette démarche obsessionnelle, l’essentiel et le circonstanciel s’inversent. Les 120 millions d’euros d’exportation de Mérinal ne comptent plus devant la volonté compulsive de mettre au pas un média.  La première plainte contre El Kadi Ihsane à propos de l’article sur les 100 jours de Abdelmadjid Tebboune est restée sans suite, la seconde sur la diabolisation de Rachad redevient opportune.

Tout doit être tenté pour parachever à temps l’œuvre de démolition entamée dès les premiers jours de son arrivée au ministère. Ammar Belhimer aime à évoquer le soft power occidental – qu’il connaît très bien ayant lui-même émargé à de nombreuses consultations d’ONG internationales basées en Algérie –qu’il considère maintenant comme hostile à l’Algérie.

Qu’a-t-il fait pour construire une image avenante de son pays, pourtant monté, en 2019, au firmament de la bienveillance grâce à la Silmya du Hirak ?  Il aura surtout diffusé à temps plein du « soft power » parmi « les autorités civiles et militaires » pour faire en moins d’un an d’un petit média innovant, Radio M, et de ses journalistes  un acteur majeur de « complot médiatique ». Ce que n’avait pas osé le règne décadent des Bouteflika de 2013 à 2019. 

Le sort de Radio M, un marqueur des libertés

L’avenir de Radio M est aujourd’hui en pointillé. En mode survie. L’entreprise éditrice négocie avec l’administration des impôts un  calendrier de paiement des redressements sur les derniers exercices dont l’issue va sans doute décider de l’avenir de IM SPA.

Les actionnaires de la SPA ont bien sur les moyens financiers de soutenir l’activité, mais la pression est devenue désormais tellement forte qu’ils sont bien obligés de prudemment considérer leur engagement sur le moyen terme. En particulier après le sort fait à Nabil Mellah.

La plateforme digitale  RadioM- Maghreb Emergent, associée à une agence RP, combinant tous les métiers de la filière, détient tous les moyens potentiels de s’en sortir en reconstituant des fonds propres et un bon chiffre d’affaires. Pas avec un gouvernement, une présidence et des sécuritaires convaincus qu’il faut éliminer ce que les années Bouteflika et Gaid Salah ont toléré. 

Une levée de fonds est à l’étude auprès des nombreux publics fidèles à Radio M et soucieux de défendre la liberté de la presse. Dans le contexte actuel d’état de siège non déclaré, elle serait empêchée, et même, sans doute, au-delà de ce contexte si l’étau sécuritaire venait à se desserrer avec l’avènement d’un nouveau gouvernement après les législatives. Elle reste une piste sérieuse à envisager pour son aspect innovant,  transparent et démocratique.

L’assemblée générale extraordinaire (AGEX) des actionnaires en parlera à l’occasion de la réunion annuelle – AGO- ce mois de juin. C’est un moment clé du destin des libertés qui se joue dans le quinquennat de Abdelmadjid Tebboune.

Le sort de Radio M en est devenu un des marqueurs importants. « Grace » largement à l’acharnement personnel  du ministre de la communication.  En attendant, les équipes de la web radio vont poursuivre leur travail comme elles savent le faire sur tous les fronts de l’actualité. C’est l’exigence de l’heure.  Le média aura à couvrir le procès de Kenza Khatto ce mardi 25 mai, suivre l’instruction de Ihsane El Kadi et celle de Nabil Mellah. Il continuera de suivre les procédures judiciaires lancées contre des dizaines d’Algériens depuis début avril dernier, parmi les autres actualités de la vie politique du pays supposé en campagne pour les législatives. 

Les contenus économiques, les magazines sociaux, les formats dédiés au Maghreb et aux tendances des réseaux sociaux, les couvertures d’évènements continueront à souligner la diversité et l’ouverture de ses programmes. 

Radio M va résister à la tentative de diabolisation qu’elle subit et continuer à ouvrir ses antennes à toutes les sensibilités et à tous les profils d’idées, y compris, comme d’habitude, les partisans à la participation au vote du 12 juin prochain, les chefs d’entreprises proches du gouvernement, et les hommes politiques qui ont exercé le pouvoir et qui sont redevenus libres de leur paroles.

La vérité, est que le nouveau modèle économique des médias électroniques innovants est à portée de main de la plateforme RadioM- Maghreb Emergent. Il peut servir d’exemple à toute la filière des nouveaux médias aujourd’hui étranglée par les gérontocrates autoritaires.

Il réussira un jour, et portera demain le soft power de l’Algérie dans le monde, avec les mêmes valeurs humanistes, pacifiques et tolérantes que les Algériens montrent depuis février 2019.