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Quand le Hirak continue à hanter le pouvoir

Radio M | 21/02/24 18:02

Quand le Hirak continue à hanter le pouvoir

Malgré la suspension de manière musclée des marches populaires, le Hirak, cinq ans après son irruption, continue à susciter les craintes et les appréhensions chez les autorités. Sinon, comment expliquer cette vague d’arrestations qui a touché de nombreux activistes à la veille du cinquième anniversaire du mouvement populaire ?

Selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), plusieurs activistes ont été arrêtés ces derniers jours. Des mandats de dépôt, des perquisitions de domicile et des PV ont été établis à leur encontre. C’est le cas notamment de l’activiste Khadija Dahmani qui a été relâchée, après avoir été arrêtée et conduite à la sûreté de la wilaya de Chlef. Son domicile familial a été perquisitionné et son téléphone portable a été également confisqué, selon le CNLD. A Jijel, la maison familiale de l’activiste, récemment libéré, Yasser Rouibah a été perquisitionnée et son oncle Hamza Rouibah a été arrêté. Le même scénario s’est reproduit avec des militants à Bejaia, Alger, El Tarf, Bouira, Mostaghanem et dans plusieurs autres wilayas.

Ces arrestations s’ajoutent à des dizaines d’autres détenus qui croupissent en prison depuis plusieurs mois. Certains ont été condamnés, tandis que d’autres attendent toujours leur procès. Alors que d’autres encore subissent un harcèlement permanent et inexplicable. A titre d’exemple, une des figures connues du Hirak, le jeune Mohamed Tadjadit a été de nouveau placé dernièrement sous mandat de dépôt. Comme pour les fois précédentes lorsqu’il a été arrêté, les autorités judiciaires lui reprochent ses propos exprimés sur les réseaux sociaux. Sa récente vidéo sur l’équipe nationale, après son élimination, l’a conduit en prison.

Autre exemple : alors qu’il devait quitter la prison le mois de novembre 2023 après avoir purgé les condamnations liées à deux dossiers différents, le journaliste, Mustapha Bendjama, à la surprise générale dont celle de ses avocats, est maintenu en détention. « Les six mois de prison ferme qu’il a purgés sont couverts par la période de détention provisoire de huit mois de son premier dossier.  Nous allons entamer les procédures légales et nécessaires pour que la loi soit appliquée et que Bendjama retrouve sa liberté », avaient affirmé ses avocats.  

Visiblement sur sollicitation des autorités algériennes ou par solidarité avec le pouvoir, les autorités françaises ont interdit les marches qui devaient avoir lieu à Paris pour célébrer l’anniversaire du Hirak. Officiellement, l’interdiction est justifiée par les craintes de débordement. « En raison de risques de troubles graves à l’ordre public, le préfet de police interdit l’ensemble des manifestations prévues demain dimanche 18 février en commémoration du Chahid d’une part et en lien avec le Hirak d’autre part », avait indiqué la préfecture de police de Paris. Mais beaucoup d’observateurs estiment que c’est plutôt son éventuel impact sur l’opinion algérienne, à quelques jours de la célébration de l’anniversaire du Hirak, qui est redouté. Car malgré un calme apparent et la répression qui ne fléchit pas, l’esprit du Hirak ne semble pas avoir totalement déserté la conscience des algériens, y compris au sein de la diaspora. D’autant que la situation autant économique que politique s’est aggravée depuis au moins deux ans. Un contexte qui alimente la colère et la contestation.

Pour l’opposant Karim Tabbou, « cette interdiction n’est en réalité qu’un cadeau politique offert pour rassurer Alger du soutien politique de Paris ». « La Françalgérie n’est nullement une vue d’esprit, c’est une réalité politico-militaire voire même un contrat de complicité scellé entre les deux parties depuis belle lurette », a estimé le militant sur son compte Facebook.

La répression comme seule réponse

Alors que les partis politiques de l’opposition peinent à activer, en raison de contraintes politico-administratives, les autorités ont dissous la plus ancienne organisation de défense des droits humains en Algérie, la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH), ainsi qu’une association de premier plan, le Rassemblement Action Jeunesse (RAJ). Au moins deux partis, à savoir, le Parti Socialiste des Travailleurs (PST) et le Mouvement Démocratique et Social (MDS) –   politiques ont vu leurs activités suspendues.

Au chapitre économique, le pouvoir d’achat des algériens s’est dégradé de façon vertigineuse ces dernières années. Non seulement à cause des répercussions de la crise économique mondiale, conséquence de la crise sanitaire, mais aussi faute, selon les observateurs, d’une stratégie économique délivrée de la culture rentière et dépendante des hydrocarbures. Selon la plateforme serbe Numbeo, qui avait fait état des pays où vivre revient le plus cher au monde, en prenant en considération plusieurs facteurs, dont le pouvoir d’achat, le salaire moyen ainsi que les différents couts associés à la vie quotidienne (loyer, nourriture, charges…), l’Algérie est classée 15ᵉ parmi les nations africaines où le coût de la vie est le plus élevé en 2023.

Autre signe du marasme et du malaise : de nombreux étudiants et autres médecins ont quitté le pays ces derniers années. Chaque année, ils sont plusieurs centaines de médecins spécialistes et généralistes, anciens ou nouveaux diplômés, à quitter l’Algérie pour s’installer à l’étranger. Il y aurait plus de 15 000 médecins formés en Algérie qui exercent actuellement en France. En février 2022, sur 2.000 médecins étrangers retenus à l’issue de l’examen de validation des diplômes, 1.200 étaient des Algériens.

Il y’a aussi le phénomène harraga qui a repris après son extinction durant le Hirak même si la presse verrouillée ne fait pas état de son existence. En 2023, la France a expulsé plus de 17.000 étrangers sans-papiers, dont 2.562 Algériens, nationalité qui arrive en tête du classement. Selon le rapport annuel du ministère de l’Intérieur français, le nombre d’expulsions d’Algériens a augmenté de 36 % depuis 2022, passant de 1.882 à 2.562. 

En maintenant la stratégie de répression, le pouvoir donne l’impression de redouter une résurrection du mouvement quand bien même celui-ci souffre d’un manque d’organisation. Entamée avec l’interdiction des marches et aidé par l’épidémie du covid, le pouvoir a, dès 2021, accentué sa répression à travers l’élaboration de nouvelles lois coercitives. C’est le cas des articles 79 et 87 bis du Code pénal, relatifs à l’atteinte à l’intégrité du territoire national et à la lutte contre le terrorisme qui sont abusivement employés pour emprisonner des militants. Il en va de même de l’Interdiction de sortie du territoire national (ISTN) qui est aujourd’hui utilisée de manière punitive pour restreindre les déplacements des défenseurs des droits humains en Algérie.

Parallèlement, une traque des activistes est menée sur les réseaux sociaux alors que les médias qui donnaient encore la parole à l’opposition ont été carrément fermés, comme Radio M dont le directeur, Ihsane El Kadi, est emprisonné depuis décembre 2022. Le journaliste a payé sa liberté de parole et son engagement en faveur de la démocratie et de la liberté de la presse au prix fort.  Lors de son procès en appel, le 18 juin 2023, il a été condamné à sept ans de prison dont cinq ferme. Il s’agit de la plus lourde peine jamais infligée à un journaliste dans le pays.

Mais jusqu’à quand les autorités, qui de l’avis de tous n’ont pas encore répondu aux exigences du Hirak malgré les déclarations des responsables officiels, continueront dans cette démarche de verrouillage tous azimuts alors que le pays, à la veille d’un rendez-vous électoral crucial, est confronté à de nombreux défis? Si pour l’heure aucun indice d’ouverture n’est perceptible, il reste que l’esprit du Hirak continue à imprégner la vie nationale malgré ceux qui ont décrété sa mort.

« Le Hirak n’a pas échoué» , soutient l’ex-gouverneur de la Banque d’Algérie, Abderrahmane Hadj Nacer. Pour lui, le « Hirak n’a pas échoué » parce que le pouvoir « n’a toujours pas de légitimité populaire » avait déclaré à TSA.