Procès du militant Mebarki : l'affaire qui révèle l'absence de "la liberté de conscience" dans la nouvelle Constitution - Radio M

Radio M

Procès du militant Mebarki : l’affaire qui révèle l’absence de “la liberté de conscience” dans la nouvelle Constitution

Lynda Abbou | 27/10/20 21:10

Procès du militant Mebarki : l’affaire qui révèle l’absence de “la liberté de conscience” dans la nouvelle Constitution

Le procès en appel du militant Yacine Mebarki, condamné à 10 ans de prison ferme et une amende record de 10 millions de dinars, aura lieu ce mercredi 28 octobre au Tribunal de Khenchla.

Cette affaire, liée aux convictions religieuses, a mis en exergue la Constitution qui ne cite pas “la liberté de conscience” dans sa nouvelle version, soumise au référendum le 1er novembre prochain.

Le dossier de Yacine Mebarki, a suscité beaucoup d’indignations, notamment de la part des militants des droits humains et défenseurs des libertés collectives et individuelles qui, sur les réseaux sociaux et à travers la presse, ont exprimé leur étonnement. Ils se disent “choqués par la lourdeur du verdict contre un citoyen qui n’a fait qu’exprimer son opinion sur les réseaux sociaux » !

En effet, Yacine Mebarki est connu pour son engagement pour la cause Amazigh mais aussi pour son implication dans le mouvement populaire que connait l’Algérie depuis le 22 février 2019.  Sa peine est la plus lourde qui n’a jamais été prononcée contre une personnalité du Hirak.

Yacine est inculpé pour « incitation à l’athéisme », « offense ou dénigrement du dogme ou des préceptes de l’Islam » et aussi pour « possession d’armes », (pour cette dernière accusation, il s’agit de deux balles vides utilisées pour la décoration de sa maison) et enfin, il est poursuivi notamment pour « atteinte à l’unité nationale », comme c’est le cas de la majorité des détenus du Hirak, .

“La plus lourde peine prononcée contre un militant de la contestation”

Contactée par Radio M, la journaliste et militante des droits humains, Lila Mokri, a estimé que la peine prononcée contre le militant est en effet “la plus lourde peine prononcée contre un militant de la contestation depuis le début, du soulèvement populaire pacifique en 2019”.

« Nous avons l’habitude de voir des peines associées à « l’atteinte au moral de l’armée » depuis le début du Hirak, et on découvre ces peines liées à « l’incitation à l’athéisme » et « offense à l’islam », suite à des publications sur les réseaux sociaux”, a-t-elle expliqué.

“Je pense que le problème est ailleurs. Le régime qui se dit « différent » de ce qu’il a été jadis, poursuit ses méthodes drastiques pour museler la liberté d’expression et d’opinion en infligeant des peines encore plus lourdes. C’est une autre façon de contrôler la pensée » a-t-elle ajouté.

La militante a rappelé également que « le mufti des salafistes », Abou-Ishak El Houweini était au centre du procès de Yacine Mebarki. « Cela signifierait -il que nous n’avons plus le droit de critiquer les mouvances salafistes ? », s’est-elle interrogé. « C’est indigne d’un Etat qui se dit défenseur de la liberté du culte »,a martelé Lila Mokri.

De son côté, le militant Oussama Azizi, qui est proche du détenu, a écrit lors de l’incarcération de son ami ; “après avoir vécu la phase d’interdiction de manifester et de parler nous voilà témoigner l’ère de ne pas penser ni chercher à comprendre”.

La nouvelle Constitution ne cite pas la liberté de conscience

Cette affaire a fait réagir des juristes qui ont alerté que la liberté de conscience n’a pas été cité dans la nouvelle constitution qui sera soumise au référendum le premier novembre prochain.  

L’article 41 de la Constitution algérienne de 2016 stipule que « La liberté de conscience et la liberté d’opinion sont inviolables. La liberté d’exercice du culte est garantie dans le respect de la loi ». Or l’article 51 du projet de la Constitution publié sur le journal officiel n° 54 du 16 septembre 2020, stipule que « La liberté d’opinion est inviolable. La liberté d’exercice des cultes est garantie, elle s’exerce dans le respect de la loi. L’Etat assure la protection des lieux de cultes de toute influence politique ou idéologique ».

L’article 51 ne cite visiblement pas “la liberté de conscience”. Des militants et des juristes pensent que « les autorités pourraient et pour n’importe quelle raison, notamment pour une différence idéologique, poursuivre en justice des individus pour des croyances qui ne concernent que leurs personnes » !

“La liberté de conscience est la mère de toutes les libertés

Dans une réaction à Radio M, le vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), Saïd Salhi, a noté que « dans la nouvelle Constitution la liberté de conscience a été remplacé par la liberté d’opinion, or la liberté de conscience est la mère de toutes les libertés ».

« Toutes les libertés découlent d’elle » a-t-il martelé.  Il considère que le fait de ne pas avoir cité la liberté de conscience dans la nouvelle Constitution « est une régression très grave pour les libertés individuelles ». Il a rappelé d’ailleurs, que ça fait partie des raisons pour lesquelles il rejette ledit projet de la Constitution.

Le constitutionnalise Reda Deghbar, quant à lui, n’est pas intrigué par l’absence de la liberté de conscience dans le nouveau texte, car selon lui cette liberté est garantie dans l’article 2 de la Constitution qui stipule que « L’Islam est la religion de l’Etat », et dans l’article 1 du Code civil qui stipule que “La loi régit toutes les matières auxquelles se rapporte la lettre ou l’esprit de l’une de ses dispositions. En l’absence d’une disposition légale, le juge se prononce selon les principes du droit musulman et à défaut selon la coutume. Le cas échéant et la recours au droit naturel et aux règles de l’équité ».

En revanche, Said Salhi a signalé que la LADDH travaille sur le sujet de la liberté de conscience depuis plus de dix ans avec les deux dossiers des non jeûneurs et des Ahmadites.

« En 2008, des non jeûneurs ont assumé pour la première fois devant le juge au tribunal d’Akbou dans la wilaya de Bejaia leur choix de ne pas jeûner et ils ont été tous acquittés. Les avocats se sont basé ce jour-là sur la Constitution qui précise que la liberté de conscience est inviolable » a argumenté le vice-président de la LADDH. Un exemple qui démontre l’importance de garantir la liberté de conscience dans la Constitution.    

Par LYNDA ABBOU