Pourquoi Tebboune de 2022 ne peut pas être Chadli de 1989 (Blog) - Radio M

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Pourquoi Tebboune de 2022 ne peut pas être Chadli de 1989 (Blog)

Radio M | 24/05/22 17:05

Pourquoi Tebboune de 2022 ne peut pas être Chadli de 1989 (Blog)

Des commentaires ont – timidement – laissé entendre que le président de la république est prêt à renoncer au cours répressif et engager une ouverture. Improbable. Explication en 3 raisons.

Le contenu de l’opération « main tendue » et rassemblement fédératif (Lem Echeml), lancés par une dépêche de l’APS demeure toujours illisible dans sa vraie portée politique. L’opération paraît combiner un dialogue avec des partis politiques, des mesures de grâces et des réhabilitations de dissidents algériens dans la diaspora issu du Hirak ou des années Bouteflika. Le tout agencé autour de la commémoration, le 05 juillet prochain, du 60e anniversaire de l’indépendance. Elle a reçu cette semaine le renfort toujours encombrant  du chef d’Etat major Saïd Chengriha. Rien n’indique qu’il s’agisse d’un tournant majeur vers une autre feuille de route politique, rétablissant les libertés et prenant en compte de la volonté des Algériens exprimée à travers le Hirak de changer le mode de gouvernement de leur pays.

La dernière fois qu’un tel cours a été engagée, remonte à la fin de l’année 1988-début de l’année 1989, lorsque le président Chadli, après la répression sanglante (du 5 au 10 octobre) de l’explosion populaire, a engagé un processus d’ouverture démocratique, le premier d’une telle radicalité dans le monde arabe. Abdelmadjid Tebboune, n’a montré a aucun moment durant ses 29 mois au palais d’El Mouradia l’ombre du soupçon d’une volonté d’ouverture comparable à celle qui a amené à la constitution de février 1989, puis au pluralisme politique et à l’exercice de nombreuses libertés publiques. Le logiciel de la transition démocratique est absent des prises de parole publique du chef de l’Etat.

Mais à supposer que Abdelmadjid Tebboune ait, pour des raisons mystiques, politiques ou éthiques, décidé de changer de cap. Qu’il ait choisi, à la faveur d’un constat d’échec et d’une date anniversaire marquante,  d’abandonner l’option répressive sécuritaire et judiciaire pour revenir à une feuille de route d’ouverture politique. A supposer donc ce scénario hypothétique, effleuré en creux dans les supputations autour de sa « Moubadara », de la « repentance » , dans le style de la posture de Chadli Bendjedid éploré le soir de son allocution historique du 10 octobre, annonçant des réformes politiques pour le pays.  Abdelmadjid Tebboune de 2022 ne peut rien engager de semblable à ce qu’à entrepris Chadli Bendjedid de 1988-89.

Il n’est pas le patron de l’armée

Lorsque Chadli Bendjedid engage au soir de la fusillade de Bab El Oued un processus d’ouverture politique au bout de 5 jours d’émeutes populaires, il n’a pas besoin de consulter largement autour de lui. Il est depuis 10 ans le président de la république par la grâce de l’armée dont il est devenu le chef après le départ de ses pairs du conseil de la Révolution.

Chadli Bendjedid est contesté par les Algériens pour ce qu’il incarne, une impasse dans le développement de l’économie algérienne combinée à une accélération de la stratification sociale. Il reste cependant l’homme fort du pouvoir et les militaires lui obéissent comme à un vrai chef issu des rangs de l’ALN.

Abdelmadjid Tebboune ne détient pas ces attributs. Il n’a pas l’autorité d’un haut officier sorti du rang ou d’un homme politique devenant populaire (Bouteflika avec la concorde civile). Il ne peut pas engager, si la volonté survenait pour cela, un cours politique différent de celui sur lequel il a été coopté avant les élections de décembre 2019. Le challenge serait d’autant plus périlleux que la lecture historique du processus de 1989-1992 est négative au sein d’une partie de l’armée et des services.

L’ouverture de l’après octobre 1988 est, aujourd’hui, jugée en bonne partie comme une erreur aventureuse. A ne surtout pas reproduire. Il faudrait, pour un virtuel président réformateur en politique, devoir affronter, en 2022, cette frange de la haute hiérarchie de l’ANP fidèle à la feuille de route « restaurationniste » de Ahmed Gaïd Salah et convaincue qu’il ne faut non seulement rien céder au mouvement populaire, mais s’emparer du contexte pour remettre en cause de «préjudiciables concessions » héritées de l’épisode d’octobre 1988.

L’opération « Lem Echeml » en cours à laquelle vient d’apporter son soutien le chef d’Etat major, est plus proche d’une  opération « Rahma civique » -en référence à celle adressée aux terroristes au temps de Lamine Zeroual- que d’un changement de cap politique comme celui de 1988-1989 inaugurant une nouvelle époque institutionnelle.

Il n’est pas staffé pour le changement

La seconde raison pour laquelle un scénario Tebboune 2022 comparable à celui de Chadli en 1988-89 est inenvisageable est liée à la capacité de la présidence à conduire un processus ambitieux de rétablissement des libertés et de transformation de la gouvernance vers un modèle institutionnel démocratique.

Lorsque les émeutes populaires de octobre 88 ont éclaté, le projet en faveur de réformes économiques de marché avançait déjà depuis trois ans à la présidence autour de Mouloud Hamrouche. Il avait donné naissance à un réseau de personnes ressources en mesure de les conceptualiser et, le moment venu, de les mettre en œuvre. Il manquait bien sur l’étage politique, essentiel dans ce changement de paradigme de développement, les réformes marchandes étant rarement efficaces sans modernisation politique synonyme de concurrence des projets en mode ouvert.

C’est ce même staff en réseau qui a contribué à produire une armature conceptuelle et juridique à l’ouverture politique lorsque le sacrifice des jeunes des quartiers populaires du pays l’a rendu opportune et salvatrice.

Dans le scénario de l’opération « Lem Echaml » il n’existe aucun texte fondateur, aucune personne ressource en position de lui produire du sens dans un contenu. Le coup d’envoi a été donné par un texte énigmatique publié par l’APS.

La promotion a été assurée par des personnages sans envergure, pour la plupart liés au 5e mandat de Bouteflika.  Les ressources humaines pour le pilotage d’une mise à jour politique conséquente, après 29 mois d’enfermement répressif, sont absentes autour de Abdelmadjid Tebboune. Ce réseau de l’ingénierie du changement démocratique existe bien sur dans la périphérie proche du Hirak (Nida 22, Syndicats autonomes, PAD, figures dissidentes en Algérie ect…).

La démarche présidentielle n’est pas de nature à le rechercher dans le cadre d’un dialogue pour le changement. Les rencontres avec des chefs de partis incarnant un no man’s land politique – ni pro-pouvoir ni opposition- et avec des personnalités d’ouverture, ne peut palier au handicap politique et technocratique de la présidence pour engager un cours de changement, dans le cas, toujours hypothétique, ou ce serait sa volonté.

La présidence de Tebboune est approximativement outillée pour le statu quo. Elle n’a pas le staff pour conduire autre chose qu’une opération au rabais de « Rahma civique » réenchantée par la date du 05 juillet.

Il n’est pas dans la bonne séquence historique

Pas assez de leadership, pas d’équipe pour la mission, Abdelmadjid Tebboune est également desservi par la séquence historique dans laquelle il est survenu.

En 1988-89 Chadli Bendjedid pouvait entrer dans l’Histoire en réalisant les premières réformes démocratiques ambitieuses dans un pays arabe. Un challenge qui était en phase avec la chute du mur de Berlin quelques mois plus tard conséquence d’une poussée en faveur des libertés dans les pays de l’Europe de l’Est et dans d’autres parties du monde.

Aujourd’hui Abdelmadjid Tebboune, arrive sans grandes convictions démocratiques, en sauveur ultime du système autocratique. S’il se dérobe à sa mission, il sait qu’il signe l’arrêt de mort de ce système  dominée par l’armée et publiquement récusé par une majorité d’algériens depuis février 2019.

Tebboune est dans la mauvaise séquence historique. Celle, ingrate, des combats d’arrière garde sans gloire promise. S’il engage un processus de rétablissement des libertés et un nouveau cours d’ouverture, il n’aura fait que corriger une erreur de navigation qui aura fait perdre bientôt trois années à l’Algérie. Le contexte mondial ne l’y encourage pas. A cotés de nous, le président Kais Saed est entrain de faire avorter, en Tunisie, l’expérience démocratique la plus aboutie du printemps arabe. Ailleurs, Russie, Turquie ect… ,  les autocrates occupent le devant de la scène au prix d’un bâillonnement de plus en plus serré de leurs opinions domestiques.

Les coups d’Etat militaires sont entrain de replonger l’Afrique de l’Ouest et le Sahel dans la période d’avant les transitions des années 90. Abdelmadjid Tebboune ne se sent pas à contre courant de la conjoncture. Il n’a pas d’obligation morale forte d’engager un cours d’ouverture politique lorsque voisins et alliés tournent un peu plus le dos à la démocratie. Chadli Bendjedid de 1989 était dans le contexte inverse. Cela a compté dans le déploiement de la réponse à Octobre 88. Dans la réponse au Hirak de Abdelmadjid Tebboune, il y a, froidement, aujourd’hui, la réhabilitation du Haut Conseil de sécurité, la criminalisation de la politique avec l’article 87 bis du code pénal et l’arsenal des lois liberticides. 

L’opération « main tendue » présentée par l’APS comme un geste fédérateur du président de la république, et commentée comme un possible virage politique, débute sur un lourd passif. Le militant Rachid Nekkaz et son avocat Abdelkadir Chohra ont été jetés en prison dans la semaine de lancement de « Lem Echeml ».  Même la mouture « Rahma civique » au rabais dysfonctionne d’entrée.  Il faut se résoudre à oublier le parallèle avec l’ouverture de 1988-89, tendre l’oreille et scruter l’horizon.

Par: Ihsane El Kadi directeur pôle éditorial  Maghreb Emergent, Radio M  à Interface Médias SPA