Mustapha Bendjama au juge : " J'ai été torturé quand j'ai refusé d'ouvrir mon smartphone" - Radio M

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Mustapha Bendjama au juge : ” J’ai été torturé quand j’ai refusé d’ouvrir mon smartphone”

M.B | 23/08/23 16:08

Mustapha Bendjama au juge : ” J’ai été torturé quand j’ai refusé d’ouvrir mon smartphone”

Lors de son procès qui s’est tenu le mardi 22 août au tribunal correctionnel de Constantine, plusieurs dépassements et violations des procédures et des droits du journaliste Mustapha Bendjama ont été soulevés par les avocats de la défense. Mustapha Bendjama a affirmé avoir été maltraité et torturé durant la période de sa garde à vue dans les locaux de la brigade de recherches de la gendarmerie d’Al Hattab à Annaba.

Le journaliste Mustapha Bendjama a été arrêté le 8 février 2023 sur son lieu de travail au quotidien Le Provincial, dont il est le rédacteur en chef, dans le cadre de l’enquête sur la sortie du territoire nationale de la militante politique Amira Bouraoui. Il a été maintenu pendant dix jours en garde à vue dans les locaux de la section de recherche de la gendarmerie d’Al Hattab à Annaba. Pendant cette période, Mustapha Bendjama a été interrogé dans l’affaire Amira Bouraoui et dans une autre affaire qui a été ouverte après l’exploitation des données de son smartphone.

 « Je leur ai dit que je n’ouvrirai pas mon téléphone. Ils sont venus. Ils étaient six. Ils m’ont mis à genou et ils ont utilisé un tournevis pour m’ouvrir les poignets afin d’utiliser mon empreinte pour déverrouiller mon smartphone. Le lendemain, ils sont revenus et m’ont demandé le mot de passe. J’ai subi beaucoup de pression pendant les interrogatoires qui duraient jusqu’à 4h du matin », a affirmé Mustapha Bendjama devant le juge du tribunal de Constantine lorsque ce dernier lui avait demandé s’il avait des observations à faire au sujet de son arrestation.

Le calvaire de Mustapaha Bendjama dans les locaux de la section de recherche de la gendarmerie d’Al Hattab a commencé dès le premier jour de son arrestation. « J’ai été arrêté à 15h, et à 21h j’ai été emmené à l’hôpital pour un contrôle médical. On m’a ramené à la brigade à 23h et l’interrogatoire a commencé. J’ai été interrogé sur la sortie du pays d’Amira Bouraoui et on m’a fait signer un PV. Quand j’ai demandé l’heure de la signature du PV, on m’avait dit qu’il était 1h30, mais une fois dans la cellule, j’ai demandé l’heure au gardien et il m’avait dit qu’il était 4h30 du matin. Deux heures après, soit à 6h30, on m’a réveillé pour poursuivre l’interrogatoire. J’ai été interrogé pendant trois nuits d’affilée sans fermer l’œil », a encore affirmé Mustapha Bendjama.

Pendant la période de la garde à vue de Mustapha Bendjama, même les services de sécurité sont venus l’interroger. « Deux colonels de la sécurité intérieure et de la sécurité extérieure sont venus m’interroger à la brigade. Ils m’avaient demandé de ne plus répondre aux questions des agents de la gendarmerie sur le second dossier. Ils m’avaient dit que si je répondais à leurs questions, les gendarmes allaient me frapper. Donc, je n’ai plus répondu aux questions de la gendarmerie », a-t-il raconté. « J’ai signé des propos qui n’étaient pas les miens. Tout ce que j’avais dit a été déformé », a-t-il ajouté.

Après avoir entendu ces déclarations, le juge a demandé à Mustapha Bendjama : « Quel est le message que vous voulez transmettre ? Il fallait dire tout cela devant le juge d’instruction ».

Pendant ce procès, l’avocat de la défense, Me Abdallah Haboul a dénoncé une violation grave du droit de son client au sujet de la durée de la garde à vue. « La garde à vue devait se terminer le 18 février 2023 à 23h, après avoir été prolongée quatre fois. Mon client a été maintenu jusqu’au 19 février à 9h du matin, soit dix heures de plus dans les geôles sans autorisation du procureur», a-t-il indiqué.

« L’article 51 du code des procédures pénales dans le dernier alinéa dit que la violation des dispositions relative aux délais de la garde à vue expose l’officier de la police judiciaire aux peines encourues aux termes de la détention arbitraire », a ajouté Me Abdallah Haboul.

La défense a demandé d’annuler la procédure de la garde à vue. « C’est au juge de décider parce qu’il y a des violations et des dépassements dans les droits des personnes », explique Me Haboul. Il cite à ce propos les articles 9 de la convention internationale sur les droits civiques et politiques, que les tribunaux algériens doivent appliquer et l’article 171 de la constitution qui impose aux juges d’appliquer les conventions internationales.

« On a constaté l’illégalité de la garde à vue. Sa garde à vue est une mesure qui porte atteinte à son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. C’est très grave », estime Me Haboul, avant de s’interroger : « Comment le procureur de la République ne s’était pas rendu compte ? »

La compétence territoriale du pôle spécialisé remise en question

Lejournaliste Mustapha Bendjama, le chercheur Raouf Farrah, le père de ce dernier Sebti Farrah, une cadre de la société Asfertrade, filiale d’Asmidal, Habes Mountaha ont été auditionnés le 19 février 2023 par le juge d’instruction près le pôle spécialisé de Constantine, qui les a placés sous mandat de dépôt. Le juge d’instruction a retenu contre Mustapha Bendjama et Raouf Farrah les chefs d’inculpations de : « réceptions de fonds auprès des institutions étrangères ou intérieures dans l’intention de commettre des actes qui pourraient atteindre à l’ordre public », en vertu de l’article 95 bis du code pénal, et de « publication d’informations et de documents sur un réseau électronique, ou autre moyen technologique de média, dont le contenu est classé partiellement ou intégralement secret »,  sur la base de l’article 38 de l’ordonnance relative à la protection des données et documents administratifs.

Parmi les points soulevés pendant ce procès par Me Abdallah Haboul, c’est la compétence territoriale du pôle spécialisé de Constantine en charge de cette affaire. « Il n’y a même pas le smic du respect des procédures. La décision a été prise sur la base d’un PV de la section de recherche de la gendarmerie », a-t-il indiqué. Pendant le procès, Me Haboul a demandé à ce que le tribunal déclare son incompétence territorial et de remettre Mustapha Bendjama en liberté.  « Les règles de la compétence territoriale sont impératives, et d’ordre public. C’est-à-dire qu’elles sont imposables au juges », a affirmé Me Haboul.

Il poursuit : « Les deux préventions qui sont contre Bendjama, leur qualification juridiques sont des délits et non des crimes. Pour qu’une affaire soit traduite devant le pôle spécialisé, il faudrait, selon l’article 329 alinéa 5 du code des procédures pénales, que ses compétences soient étendues au ressort d’autres tribunaux par voie règlementaire et  décret en matière de trafic de drogue, de de crime transnational organisé, d’atteinte au système de traitement automatisé de données, de blanchiment d’argent, de terrorisme et d’infraction relative à la règlementation de changes ».

L’avocat a aussi indiqué que deux PV identiques ont été mis dans le dossier. Le premier PV date du 8 février. C’est une enquête de la gendarmerie contre Mustapha Bendjama, Hicham Aboud, Abdou Semmar et Amir Boukhers pour « appartenance à une organisation terroriste activant l’étranger ». Selon le même avocat, son client a été accusé de terrorisme au début pour justifier sa longue garde à vue. Le second PV date du 14 février 2023. C’est une enquête de la gendarmerie contre Mustapha Bendjama, Raouf Farrah, Sebti Farrah et Habes Mountaha sur la réception de fonds » et les documents administratifs envoyés à Abdou Semmar. Selon Me Haboul, Mustapha Bendjama a été écouté quatre fois dans le deuxième PV, et la gendarmerie n’a pas mentionné qu’il était en garde à vue.

L’intervention de la DGSI dans l’enquête de la gendarmerie

« L’intervention de la DGSI dans l’enquête c’est le point d’interrogation sur le plan de la procédure. Est-ce que c’est le parquet qui l’a demandé ? Ou bien ceux qui travaillent en parallèle et en marge du procureur ? », s’interroge Me Haboul. Il cite les articles 12 du code des procédures pénales qui stipule que la police judiciaire est dirigée au niveau de chaque tribunal au niveau du procureur de la république, et l’article 36 du même code qui stipule que c’est le procureur de la république qui contrôle les mesures de la garde à vue.

Me Kherab Abdelhakim, avocat de Habes Mounataha, a également dénoncé l’intervention des services de la DGSI le jour des auditions le 19 février au pôle spécialisé de Constantine. « Le jour de la présentation, le 19 février, pendant que les avocats attendaient pour assister à la présentation de leur client, un agent en civil est venu muni d’un carnet et d’un stylo et nous a demandé nos noms, chose que nous avons refusé. Je suis même allé directement voir le procureur », a-t-il affirmé.

Pendant le procès, il y a eu tout un débat sur la guerre des services de sécurité dans la gestion de l’enquête. Selon les avocats de la défense de Mustapha Bednjama, la DGSI a fait un rapport d’ensemble le 18 février et le procureur l’a ajouté dans le dossier. « Ce n’est pas la DGSI et la gendarmerie qui doivent faire l’enquête. Selon la loi, c’est le directeur de la police judiciaire. L’enquête a été en marge du parquet. Le parquet a été effacé », estime Me Haboul.

M.B.