Khaled Drareni : "La presse libre et indépendante est en voie de disparition en Afrique du Nord" (interview) - Radio M

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Khaled Drareni : “La presse libre et indépendante est en voie de disparition en Afrique du Nord” (interview)

Khaled Aboubaker | 15/12/22 16:12

Khaled Drareni : “La presse libre et indépendante est en voie de disparition en Afrique du Nord” (interview)

Les journalistes et les médias, partout dans le monde, principalement dans les zones en conflits armés, voient leurs situations s’aggraver de jour en jour. Selon le bilan annuel de Reporter sans frontière (RFS) publié cette semaine, la situation ne semble pas s’améliorer en 2022. Dans cet entretien accordé à Radio M, le représentant de RSF en Afrique du Nord, le journaliste Khaled Drareni, nous en dit un peu plus sur la situation des journalistes et les médias en Afrique du Nord.


Radio M : Reporter Sans Frontières (RSF) vient de publier un bilan sombre de la situation des journalistes dans le monde. Les journalistes nord africains n’ont pas été épargnés. Comment vous décrivez (ou résumez) cette année 2022 vis-à-vis de la liberté de la presse et les pressions contre les journalistes et les médias ?

Khaled Drareni : L’année de 2022 est une des plus mauvaises années pour la liberté de la presse dans le monde. Le nombre de journalistes incarcérés a bondi de plus de 13%. Celui des confrères tués est de 57, surtout dans les théâtres de combat comme l’Ukraine ou pas moins de six journalistes ont trouvé la mort depuis le début de l’invasion russe. Sans oublier le Mexique ou les cartels et bandes organisées continuent de dicter leurs lois et de faire des journalistes leurs premières victimes. Il ne fait pas oublier les journalistes disparus qui sont au nombre de 49, parmi eux deux figures du journalisme tunisien portés disparus depuis 2014 en Libye, Sofiene Chourabi et Nadhir Guetari.

En Algérie, il n’y a plus de journalistes en prison depuis la libération de Mohamed Mouloudj le 19 octobre et de Hassan Bouras en novembre dernier. Mais la situation reste cependant préoccupante.

La situation est très grave au Maroc ?

Au Maroc, on continue encore d’emprisonner des journalistes en inventant de toutes pièces des accusations de viol. Les deux symboles de cette injustice sont Omar Radi qui vient de recevoir le prix de l’indépendance de RSF, et Soulaimane Raissouni. Les deux journalistes sont en prison depuis l’été 2020, ils ont été condamnés à six ans de prison ferme en première instance et en appel.
Soulaimane Raissouni est en isolement total depuis des mois et refuse de s’adresser à sa famille et ses avocats, sa situation nous préoccupe énormément. Nous attendons à présent la réponse à leurs pourvois en cassation.

Plus de 530 journalistes sont en détention dans le monde pour l’exercice de leur métier, dont 30% dans la région MENA. Pourquoi, à votre avis, l’exercice du métier régresse de plus en plus surtout en Algérie, la Tunisie et le Maroc ?

La presse libre et indépendante est en voie de disparition dans ces trois pays. Au Maroc, elle n’existe plus. Tous les journaux et médias du pays sont désormais sous la coupe des autorités, seuls quelques sites web essayent d’échapper à cette chape de plomb.

En Tunisie, la liberté de la presse a fait un énorme bond en arrière. Constat affligeant pour un pays qui a été le premier de la région à se rebeller contre la tyrannie. Les journalistes tunisiens ont mené un combat courageux pour arracher leur liberté. Ces acquis sont aujourd’hui ouvertement remis en cause par le pouvoir actuel.

Comment décrivez-vous la situation des journalistes et des médias en Algérie ?

La situation est préoccupante. Le seul point positif est le fait qu’il n’y a plus de journalistes en prison, mais beaucoup d’autres sont toujours sous le coup des poursuites judiciaires. Parfois pour des articles de presse qui traitaient de questions anodines loin de tout aspect politique.

La disparition du journal Liberté a provoqué une onde de choc dans le monde de la presse écrite algérienne. Les difficultés que vit aujourd’hui le journal El Watan et le risque qu’il disparaisse à son tour sont des signes avant-coureurs d’une aggravation de la situation de la presse écrite algérienne.

La Constitution algérienne adoptée par référendum le 1e novembre 2020 a apporté des modifications positives dans son article 54 comme le fait de préciser que la liberté de la presse ne peut être utilisée pour attenter à la dignité, aux libertés et aux droits d’autrui, ou que La diffusion de tout discours discriminatoire et haineux est prohibée. Mais cet article stipule également que le délit de presse ne peut être sanctionné par une peine privative de liberté.