Ihsane El Kadi, quatre mois de détention déjà et l'arbitraire continue - Radio M

Radio M

Ihsane El Kadi, quatre mois de détention déjà et l’arbitraire continue

Radio M | 30/04/23 16:04

Ihsane El Kadi, quatre mois de détention déjà et l’arbitraire continue

En détention depuis le 29 décembre 2022, le journaliste, directeur de Radio M et de Maghreb Emergent, Ihsane El Kadi entame son cinquième mois de détention dans l’attente de la programmation de son procès en appel.

Poursuivi pour « réception de fonds à des fins de propagande » et « réception de fonds et d’avantages à l’intérieur et à l’extérieur du pays afin d’accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la stabilité et à la sécurité de l’État, au fonctionnement normal de ses institutions, à l’ordre public… », Ihsane El Kadi a été condamné le 2 avril à cinq ans de prison, dont trois ans ferme, et à une amende de 700 000 dinars. Le tribunal de Sidi M’hamed (Alger) a également prononcé par contumace la dissolution de l’entreprise Interface Médias, éditrice de Radio M et de Maghreb Emergent, avec la confiscation des biens saisis et une amende de 10 millions de dinars, ainsi qu’une amende d’un million de dinars de dédommagement à l’Autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV).

Un procès politique

Lors de son procès, Ihsane El Kadi et son collectif de défense avaient boycotté l’audience pour contester l’absence de conditions d’un procès équitable. Un choix de défense pour dénoncer un procès politique en raison des irrégularités et des violations des procédures qui ont entaché cette affaire depuis l’arrestation arbitraire du journaliste la nuit du 23 au 24 décembre et la mise sous scellés des locaux d’interface Médias sans décision de justice. Les détails de cette affaire ont été révélés à l’opinion publique lors de deux conférences de presse tenues par le collectif de défense. Me Zoubida Assoul avait même révélé la vérité sur le prétendu financement étranger. Il s’agit, selon l’avocate, d’une somme de 25 mille livres sterling, envoyée en plusieurs tranches, depuis l’Angleterre, par Tinhinane El Kadi, fille du journaliste et actionnaire à Interface Médias, afin de payer les salaires des employés dont la société était en crise et dont les comptes bancaires sont gelés pour non-paiement d’impôts.

Condamné avant d’être jugé

Ihsane El Kadi a gardé le silence devant la juge lors de son procès et a déclaré que la raison principale de son boycott était la violation de sa présomption d’innocence par le chef de l’Etat Abdelmadjid Tebboune. Ce dernier l’avait condamné avant même la tenue de son procès en l’accusant, lors d’une interview diffusée sur la télévision publique, de « Khabardji » (informateur), alors que cette accusation ne figure même pas dans son dossier. Une ingérence dans le déroulement du travail de la justice qui a été dénoncée dans une pétition par un bon nombre d’intellectuels, de journalistes, de défenseurs des droits humains et de citoyens.

Avant son arrestation dans la nuit du 23 au 24 décembre 2022 par des agents des services de la sécurité intérieure, le directeur de Radio M et de Maghreb Emergent avait fait l’objet de plusieurs arrestations et de convocations, notamment par la gendarmerie et la DGSI, en raison de son activité de journaliste. Le 25 décembre, alors qu’il était en garde à vue au centre de la sécurité intérieure, la Cour d’Alger avait confirmé la peine de six mois de prison ferme prononcée en première instance dans l’affaire de la plainte déposée contre lui par l’ancien ministre de la communication Amar Belhimer, à cause d’un blog qu’il avait publié sur Radio M.

Beaucoup pensent que la raison directe de l’arrestation d’Ihsane El Kadi est le blog qu’il a publié le 17 décembre 2022 sur Maghreb Emergent intitulé « 2e mandat, l’ANP redoute autre chose qu’une Bouteflikisation de la présidence Tebboune », et un tweet qu’il a publié quelques heures avant son arrestation le 23 décembre 2022 et dans lequel il remettait en cause le chiffre de 20 milliards de dollars annoncé par le chef de l’Etat Abdelmajid Tebboune et représentant prétendument la somme récupérée des fonds détournés par les oligarques, ministres et responsables sous l’ère du président défunt Abdelaziz Bouteflika surnommés la « Aissaba ».

Indignation et solidarité

L’affaire du journaliste Ihsane El Kadi a suscité une vague d’indignation en Algérie et dans le monde. Depuis son arrestation, des appels ont été lancés par des ONG, des patrons de presse, des intellectuels et des défenseurs des droits humains pour réclamer sa libération. Outre les actions de solidarité, trois pétitions ont été lancées en sa faveur, dont celle lancée par RSF, qui a recueilli plus de 13 000 signatures, et celle lancée par Amnesty International après le lourd verdict prononcé le 2 avril. Des lettres ont également été adressées à Abdelmadjid Tebboune par Amnesty International et l’Observatoire pour la protection des droits humains appelant à libérer Ihsane El Kadi et invitant les défenseurs des droit humains à faire la même action. En mars 2023, trois rapporteurs des Nations unies ont dans une correspondance adressée au gouvernement algérien demandé des informations et des explications au sujet de cette affaire. Le 10 mai prochain, une résolution sur la liberté de la presse en Algérie, dont le cas du journaliste Ihsane El Kadi devrait être adoptée par le parlement européen.

M.B.