Affaire de l’assassinat de Djamel Bensmail : chronique d’un procès pas comme les autres - Radio M

Radio M

Affaire de l’assassinat de Djamel Bensmail : chronique d’un procès pas comme les autres

Lynda Abbou | 17/11/22 02:11

Affaire de l’assassinat de Djamel Bensmail : chronique d’un procès pas comme les autres

Attendu depuis plus d’une année, le procès des présumés assassins du défunt Djamel Bensmail s’est ouvert mardi 15 novembre au tribunal criminel de Dar El Beida à Alger. Après l’audition, le premier jour de 25 accusés poursuivis en correctionnelle, la journée du mercredi a été consacrée à l’audition des accusés poursuivis en criminelle. Récit d’un procès singulier, pas comme les autres.

Il y avait beaucoup de monde dans la salle entre accusés, policiers, journalistes et avocats et autres membres des services de sécurité. Tous étaient là pour assister à un procès sur un évènement dramatique qui avait défrayé la chronique des mois durant dans la foulée des incendies ravageurs qui ont embrasé la Kabylie, l’été 2021. Une trentaine d’accusés devaient être auditionnés. Si certains ont fait certains aveux, d’autres, en revanche, ont déclaré avoir été présents à la scène du crime par un concours de circonstances.

Z.Y a ainsi expliqué que lorsqu’il avait vu la foule qui entourait le cadavre, il ne savait pas de quoi il s’agissait. « Je ne voyais pas ce qu’il y avait au milieu de la foule, j’ai donc tendu ma main et j’ai filmé deux vidéos de 1 seconde et l’autre de 25 secondes. C’est en voyant ces deux vidéos que j’ai découvert qu’il s’agissait d’un individu mort ; ça m’avait choqué et j’ai supprimé les vidéos » a-t-il dit au juge.

Un autre accusé révèle au juge qu’il a été « violenté » par la police car il avait refusé de signer le PV. Dans le PV, il est fait état de sa présence dans le commissariat et qu’il a suivi la foule jusqu’à la placette. « Tout ce qui est cité dans ce PV est un mensonge, c’est pour ça que j’avais refusé de le signer ».  

Au cours du procès, le procureur de la république lit des propos qu’un autre accusé, H.A.Y aurait tenu devant la police judiciaire. Des propos selon lesquels il aurait vu quelqu’un monter dans le véhicule de police et aurait retiré au défunt Djamel Bensmail  ses papiers et son téléphone. « Non, je n’ai jamais dit ça », assure-il en rejetant ce qui lui a été attribué.

« Aveux »

Appelé à la barre, B.A évoque d’abord son état psychologique et émotionnel au moment des incendies qui ont consumé beaucoup de villages en Kabylie. Il explique au juge qu’il travaillait comme entrepreneur et qu’il effectuait des travaux à l’hôpital de Larabaa Nait Irathen où il avait subi un choc en voyant beaucoup de morts complétement brulés. « Les scènes que j’ai vu à l’hôpital m’ont choqué et j’ai alors bu une petite bouteille de Pastis (liqueur) », avoue-t-il. 

« Lorsqu’on m’avait dit que celui qui a allumé le feu a été tué, je me suis alors déplacé dans un état de colère après le choc que j’ai vécu.  J’ai maudis le corps de Djamel Bensmail avec des gros mots que je n’ose répéter ici. J’ai également touché son corps avec mon pied en disant : « je te mangerai en brochettes » », admet-il. Une avocate de la partie civile l’interpelle : « il y a des organes qui manquent dans le corps de Djamel Bensmail. Les as-tu mangés ? ». Réponse de B.A : « non ».

A.A, de son côté, insiste sur le fait qu’il était à l’entrée de la ville « loin de la scène du crime » et signale au procureur de la république qu’il a été forcé dans sa cellule à signer un deuxième PV qu’il n’a pas lu. « Tout ce que vous lisez dans le PV, je ne l’ai pas dit. Je n’ai rien filmé. D’ailleurs, je n’étais même pas présent», dit-il.  

C.M.A, un autre accusé appelé à la barre, reconnaît, quant à lui, qu’il a été informé de l’assassinat et qu’il s’était déplacé à la placette « Abane Ramdane » où Djamel Bensmail a été incendié. « Je me suis déplacé et j’ai touché le corps brulé avec un bâton. Puis, je suis reparti ». Après cet aveu, l’accusé signale au procureur que suite à ces déclarations faites devant la police, il a été « frappé » et surnommé « rotisseur » par les services de sécurité. « A part le fait d’avoir touché le corps avec un bâton, tous les propos qui m’ont été attribués dans le Procès-verbal (PV) ne m’appartiennent pas », se défend-t-il.  

Plusieurs autres accusés ont également confirmé leur présence aux alentours du commissariat ou dans sa cour et qu’ils ont scandé « pouvoir assassin ». « Mais en aucun cas, nous avons agressés Djamel Bensmail », soutiennent-ils.

A certains accusés, le juge leur reproche leur curiosité au moment des faits. Mais, pour eux, ils étaient sur place au hasard et qu’ils ont filmé la foule par « curiosité ».  

C’est le cas de R.M qui était présent lors d’une interview réalisée par un média avec Djamel Bensmail bien avant sa mort. C’est parce qu’il apparaissait derrière le défunt lors de l’entretien avec ce média qu’il a été arrêté. « J’étais de passage et je suis tombé au hasard sur le média entrain d’interviewer Djamel Bensmail. Je me suis alors arrêté pour voir ».

Présumés impliqués dans l’affaire, certains accusés ont assuré qu’ils étaient présents pour calmer la foule et pour sauver le jeune homme lynché jusqu’à la mort.  A.R.S raconte ainsi au juge que lorsque la police l’a vu calmer la foule à l’extérieur, elle lui a demandé de rentrer à l’intérieur du commissariat pour l’aider pour calmer la foule qui s’y trouvait.

 « A l’extérieur, j’avais réussi à calmer 80% de la foule, mais à l’intérieur du commissariat ce n’était pas la même ambiance. La foule ne m’écoutait pas. J’avais tout essayé, mais je n’ai rien pu changer ». « J’étais le dernier à avoir parlé à Djamel Bensmail et j’étais accompagné du policier qui m’avait sollicité », narre A.R.S.

« J’ai demandé à Djamel Bensmail comment je pourrais l’aider pensant qu’il était venu peut-être chez quelqu’un du village et qu’il va être ainsi sauvé.  Mais affaibli et ensanglanté, il me dit : « tu es seul mon frère, tu ne pourras pas m’aider » », raconte encore A.R.S en insistant d’avoir « fait plus que son possible pour éviter le meurtre ».

Un autre présumé a été interrogé sur son appartenance au MAK. L.M, ancien membre de cette organisation, soutient, avant de répondre aux questions du juge, qu’il a été « torturé par les services de sécurité ». « J’étais torturé avec de l’électricité et avec de l’eau et du savon. J’ai même subi une tentative de viol ».

Quant à sa relation avec le MAK, il assure qu’il était un simple militant de base jusqu’à 2020, mais qu’il était convaincu « de l’idée de l’autodétermination » car pour lui, « rien ne marche dans le pays ». « J’étais très loin de la scène du crime. J’aidais les habitants de Ikhlidjen à enterrer leur morts victimes d’incendies », affirme-t-il.

Les auditions se poursuivront ce jeudi avec une autre trentaine d’accusés qui seront appelés à la barre.