Virée estivale dans Béjaïa l'intemporelle (1ère partie) - Radio M

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Virée estivale dans Béjaïa l’intemporelle (1ère partie)

Radio M | 31/08/22 19:08

Virée estivale dans Béjaïa l’intemporelle   (1ère partie)

Béjaïa, aime-ton à le répéter, «c’est d’abord un site qui, de toute antiquité, a séduit les hommes. De quelque route que l’on vienne, on est saisi par la grandeur du paysage, sa luminosité. Et aussi, paradoxalement, par sa douceur».

Dans ce site où la nature est encore miraculeusement intacte, la ville s’inscrit avec une netteté charmante, se délimitant d’elle-même. Il faut dire que Béjaïa a ce précieux avantage d’être une ville à dimension humaine, à la mesure de l’homme ; un univers où l’on peut aimer vivre en ignorant le stress et autres contingences de la vie quotidienne.

Venant de l’aéroport distant d’une quinzaine de kilomètres du centre-ville, nous abordons l’incontournable pont de l’oued Sebaou qui nous porte tout naturellement au cœur de la cité hammadite. «Du bon coté» disent les habitants. Fuyant les cartes postales, les souvenirs, et cette bonhomie qui habituellement fascine les visiteurs, nous entrons comme prévu rue du Théâtre Régional de la ville (TRB), admirant au passage l’immémoriale placette qui le jouxte. Il faut dire, la aussi, que l’équilibre des volumes de cette placette nous a toujours fortement impressionnés.Tout comme du reste cette étiquette de pourvoyeuse de calories qui a toujours collé aux «tripes» de l’ancienne capitale des Hammadites.

Décidément cette fonction de pourvoyeuse de calories n’a pas tellement changé pour Béjaïa, «Bougie» en français, et pour cause : d’abord la ville exporta, des siècles durant, la cire d’abeille produite dans les monts de Kabylie. Une cire grâce à laquelle toute L’Europe s’éclairait aux chandelles ou…bougies.

C’est donc la placette en question -du reste fort avenante- et la vieille ville qui, naturellement, constituent le noyau historique de la cité actuelle, l’espace vivant des traditions béjaouies. Plus on monte, en effet, plus on rencontre des boutiques d’anciens. On (re) découvre des estaminets, des bouchons ou quelque chose de ressemblant, au fond de la célèbre rue des Vieillards, non loin de laquelle veille le majestueux minaret de la superbe mosquée de Sidi Soufi, datant du XVIe siècle. Coté animation, rien ne semble manquer à cette rue où, dit-on, se promena, de 1931 à 1941, le Président en exil du Portugal, Manuel Teixeira Gomes.

De la rue des Vieillards, on s’évade vers le port par les escaliers attenant au bel édifice qui abrite l’Assemblée populaire communale, semblable en certaines «entournures» à celui de la «Comedia dell’arte», édifice qui nous facilite l’accès à la vieille ville. Nous voici, nous voilà, par le détour d’une ruelle digne du Corneille de «Galerie du Palais», sur une placette -une autre- avec un banc de pierre et le plaisir de souffler quelque peu après notre premier tour de reconnaissance. Histoire d’admirer de plus près le fameux Cippe romain de Lambèse, datant du IIe siècle ap. J.-C. de l’époque romaine, lorsque l’antique Saldae était alimentée en eau, via un aqueduc, à partir du village de Toudja. En tout cas, à partir de ce haut-lieu historique, l’ascension de la vieille ville devrait figurer aux programmes des visites touristiques de Bejaia et de sa région.

L’époque hammadite : peu de vestiges d’un prestigieux passé

Dommage. Elle est bien séduisante, cette cité construite en escalier au flanc d’un pic couvert de bois -«le bois sacré»-, serrée entre le roc et la mer qui venait battre ses entrailles. De celles-ci, subsiste la Porte «sarrasine», ancrée aujourd’hui dans l’asphalte de la route moderne longeant le port. Véritable arc de triomphe plein de majesté, immense, et pour cause, la «Porte sarrasine» était l’entrée maritime du port d’En Naciria. Les navires passaient sous son arche magistral, en arc brisé, très gracieux de galbe malgré son aspect monumental.Très simplement et poétiquement aussi, cette porte s’appelait «Bab El Bahr» -porte de la mer-, parfaite illustration de l’architecture hammadite du XIe siècle. A cette époque, la ville était couverte de forts et de palais d’une grande richesse. Dommage, une fois de plus, que ses beautés nous soient à présent refusées par l’usure du temps, par l’histoire.

Peu de vestiges, il est vrai, subsistent de cette prestigieuse époque. La ville actuelle s’est construite sur les ruines de l’antique cité. Des casernes, en effet, s’appuient sur les fondations des anciens palais : palais de l’Etoile (sous l’actuel Fort-Moussa), palais d’Amimoun, que bâtit El Mansour, fils d’En Nacer et dont nous est parvenue une description de Léon l’Africain, palais de la Perle, si célèbre qu’il fit chanter moult poètes et, plus tard, couler beaucoup d’encre : il se trouvait sans doute sur la crête de la Bridja, sous la caserne bâtie par les Français durant l’occupation.

De ses murailles que venait battre la mer subsiste donc «Bab El Bahr» (la Porte de la Mer) précisément, arc magistral a-t-on dit, brisé et outrepassé. A cette époque la ville, qui battait monnaie et possédait l’un des rares chantiers navals en Méditerranée, se couvrit de forts et de palais d’une grande richesse. Outre «Bab el Bahr», subsiste de la même époque «Bab el Bounoud» (Porte des étendards), aujourd’hui appelée familièrement «Porte de Fouka» : tout à fait bien conservée, avec ses trois tours hexagonales et ses deux portes en ogive, c’est l’emblématique signe d’accueil de la cité hammadite. Outre «Bab el Bahr» et «Bab el Bounoud» subsistent de la même époque le «marabout de Sidi Touati», fondateur au XIIe siècle d’une université musulmane, laquelle fonctionna jusqu’en 1824, mais loin du port : autrement dit sur les hauteurs de la cité près de la porte du ravin, route du Gouraya.

Chose étrange, ou peut-être pas tout à fait, ces divers édifices se situent, pour la plupart, à proximité d’une place en terrasse fort exigüe, la place du 1er Novembre (ex. place Gueydon), ouverte d’un coté face à la mer : le centre de gravité même de la ville ! Il n’est d’ailleurs pas étonnant que de cette place, on a l’une des plus belles vues de la baie de Bejaia…C’est aussi de cette même place que l’on réalise combien, dans la ville resserrée sur elle-même, accrochée aux aspérités de la falaise qui la domine, l’espace est durement négocié à des ruelles montantes et tortueuses. Les voitures qui d’ailleurs se risquent dans le labyrinthe de rues ont quelque difficulté à en sortir.

Tout est calme à l’horizon, pas d’orage en vue

On se poste alors sur la rambarde, où on passe le plus clair de notre temps, en cette période estivale, à examiner mollement l’étendue brumeuse qui, recouvrant presque entièrement le port, s’offre ainsi au regard. On se laisse absorber tout entier par cette distraction indolente, cette tâche immense. Tout est calme à l’horizon, pas d’orage en vue, pas de grand changement. On se sent incliner à en faire autant soi-même. Laisser là ses préoccupations domestiques, abandonner sa place d’observateur privilégié, pour se fondre dans l’harmonie vaporeuse de la ville. On se retrouve un peu dans l’attitude d’un peintre à la recherche de l’angle idéal, du point de vue unique, qui embrasse la totalité d’un paysage, la plénitude d’une vision. Seule manifestation digne d’intérêt, le ciel dominant massivement la vieille ville, et toute la terre ici bas, courbée sous le poids d’un vide insoutenable.

Au centre supérieur de la ville, sur le trottoir de la rue piétonne où on se rend aussitôt, des groupes d’hommes et de femmes s’avancent en une masse compacte, ondulante, apparemment sans soucis. On marche à contre-courant, dans cette rue commerçante où boutiques d’artisanat, magasins de vêtements et supérettes se côtoient sans façon, marquant quelque halte ici et là avant de rejoindre à nouveau la place du 1er novembre, en direction du fameux Cippe romain décrit plus haut, non loin de l’édifice de l’APC de Bejaia. Et c’est chemin faisant qu’on aura l’occasion de faire une autre halte sur une autre petite placette non moins sympathique -attenante à la place du 1er novembre- placette où trône, majestueux, le buste de Manuel Teixeira Gomes, le fameux président du Portugal en exil à Bejaia -où il mourut- de 1931 à 1941.

Toutes ces références historiques et culturelles font, bien sûr, le charme avéré de Bejaia, et ce, d’autant que toute la montagne environnante qui se brise brusquement dans la mer Méditerranée offre, aux portes mêmes de la ville, des possibilités d’excursions et de promenades exceptionnelles : comme celle -en allant vers les Aiguades et juste après avoir traversé le tunnel Sidi Abdelkader- récemment aménagée à même l’établissement «La Brise de mer» jouxtant le port de pèche et dénommée «Promenade Léonardo Fibonacci de Pise», en souvenir du fils d’un négociant italien, lequel fils ab au moyen àge, séjourné dans la cité des Hammdites pour y apprendre les mathématiques qu’il introduisit d’ailleurs, pour la première fois, en Occident.

Pour en revenir à la montagne en question, celle-ci, sans doute, a-t-elle toujours été associée dans notre esprit à l’imposante stature d’une forteresse gardée de hauts remparts -Bordj Moussa, XVIe siècle- à l’abri desquels on découvre, chaque fois avec surprise, l’esplanade déserte au milieu, dénuée de toute autre présence ou objet notable que de l’herbe, des buissons et des pierres ; bref, toute la continuité de la terre résumée à cette portion de verdure essentielle. Une citadelle vide dressée sur un plan montagneux, le pourtour d’une falaise décrivant un espace fini à l’intérieur duquel repose, intact, le terrain vague du sommet. Tertre élevé, en l’honneur de la circonstance exceptionnelle du lieu, assiégé de vallées et de plaines indistinctes, par-delà lesquelles le grand large du monde méditerranéen étend son anonymat jusqu’aux confins de l’horizon.

Des promenades et excursions exceptionnelles, disions-nous. A partir de «Bab el Bahr» par exemple : là, une route en lacets conduit jusqu’au pied du sommet principal, le «Pic des singes», dominant le rivage de 430 mètres, un des points de vue les plus beaux qu’il soit permis d’admirer. Puis, en suivant l’arête, jusqu’au «Fort de Gouraya», à 680 mètres d’altitude, où se remarque un édifice construit par les Espagnols et remanié par les Turcs. Circuit agreste de 14 km environ. Vue étendue sur… les deux Kabylie(s) et le Djurdjura à l’ouest.(à suivre…)

Par K.Ben Madjid