Un seul mot d’ordre : Tadjadit -Message in a Bottle - Radio M

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Un seul mot d’ordre : Tadjadit -Message in a Bottle

Radio M | 13/09/20 18:09

Un seul mot d’ordre : Tadjadit -Message in a Bottle

Tadjadit, voilà bien un nom qui en dit long sur toi. La première fois que je l’ai entendu, j’ai cru tout naturellement que cela était ton pseudonyme de poète comme c’est parfois l’usage. Il s’avère que c’est bien ton patronyme et comment cela en serait autrement, quand je te vois clamer fièrement tes poèmes ! N’est-ce pas pour cela qu’on te détient injustement… Ne t’afflige pas à cause d’eux, tu ne sauras jamais faire entendre un sourd.   

J’ai aussi appris, avec tristesse, que toi-même et ton ami Noureddine, aviez entamé une grève de la faim. Comme je vous comprends ! A moi aussi, manger un repas servi par les mains de la honte me soulèverait le cœur. Les lions ne dînent pas à la même table que les loups. Quelle petitesse que vos « hôtes » s’obstinent à ignorer les invités de marque que vous êtes ! Pourtant, il vous faut garder vos forces, aujourd’hui plus que jamais, car le chemin de votre liberté est tortueux et les embûches nombreuses. Buvez et mangez donc puis luttez.   

Enfant de la Casbah, fils de toutes les mères, frères de tous les marcheurs et les marcheuses, voix des faibles et des opprimés, toi qui as tété au sein de l’honneur, grave tes poèmes sur les murs noircis de ta cellule afin que chaque prisonnier se souvienne de son frère. Confie tes vers aux vents cléments afin qu’ils les dispersent sur les rives fertiles du Nil, qu’ils nourrissent les chants lourds des tisseuses de l’Atlas, qu’ils résonnent dans le vrac silencieux du Hoggar…

Tes poèmes ne t’appartiennent pas, ils sont la mémoire des déportés de Cayenne et de Guyane, les jacinthes qui fleurissent les tombes des révoltés jamais entendus, ceux que fredonnent les femmes aux robes chatoyantes de la Kabylie et des Aurès au soleil couchant du Ténérife. Les hirondelles porteront tes rimes sur toutes les terres, partout où il y a des hommes et des femmes qui refusent de plier. Il y a pour toi, dans chaque gorge, un cri comme le youyou ultime de la veuve qui confie au ciel sa dernière joie, un cri profond qui s’élève vers Dieu lui-même.

Ecoute, fils de Tadjedit, et rejoins celles et ceux, qui comme toi, ne se sont pas agenouillés sous l’innommable injustice et clamé haut leurs poèmes au nom de la Liberté bafouée.

Monsieur Le Président
Je vous fais une lettre,
que vous lirez si vous avez le temps.
Je ne suis pas un criminel, je ne suis qu’un poète.
Mes mots sont plus forts que les murs
des lâches bêtes rôdeuses du mensonge.
Cédez-moi le chemin et laissez-moi passer,
que craignez-vous donc ?

Messieurs, 
Si vous voulez m’enfermer,
allez donc retenir mes mots si vous le pouvez.
Je ne suis pas un criminel, je ne suis qu’un poète.
Mon rêve est un rire d’enfant,
quand j’ai rêvé de Liberté
Vous m’avez jeté dans vos crocs.

Armée de sauterelles, quitte mon pays.
Le Caïd t’a vendu ma terre, dis-tu ?
Montre-moi donc ces actes s’ils sont véridiques !
Cédez- moi le chemin et laissez-moi passer,
que craignez-vous donc ?

Quand un poète meurt,
c’est toute la terre qui rime sa peine.
Notre descendance sera triomphante,
Fût-ce dans le giron des épreuves.

Je ne suis pas un criminel, je ne suis qu’un poète.
Libre je suis, tout près de ma liberté,
mon futur est dans ma main.
Aussi étroit soit le chemin
Je suis le maître de mon destin
Je suis le capitaine de mon âme.

Boris Vian
Aimée Césaire
Ideflawen
Slimane Azem
Louise Michel
Idir et Mouloud Mammeri  
Matoub Lounes
Mahmoud Darwich
William Ernest Henley
Mohammed Tadjadit

Signée: Lamia Yousfi

Radio M- رسالة في زجاجة
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