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Tournée de Lamamra en Afrique: ce qu’en pensent les spécialistes

Lynda Abbou | 12/09/21 20:09

Tournée de Lamamra en Afrique: ce qu’en pensent les spécialistes

Dans le cadre de sa tournée africaine, le ministre des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger, Ramtane Lamamra a atterri à Brazzaville en l’occurrence, la capitale du Congo-Brazzaville, vendredi soir après une escale dans la capitale du pays voisin, Kinshasa, la République démocratique du Congo. Que pensent les spécialistes de ces multiples déplacements du chef de la diplomatie algérienne ?

Dans une réaction à Radio M, la politologue Louisa Driss Ait Hamadouche explique que le ministre des affaires étrangères (MAÉ) est totalement dans son rôle lorsqu’il effectue des tournées en Afrique. Il s’agit, selon elle, d’une activité « normale pour ne pas dire banale ».

“Bouteflika et Zeroual”

La politologue trouve que la tournée de Lamamra, « semble être perçue comme un événement » en comparaison avec l’immobilisme dans lequel la diplomatie algérienne est plongée depuis la maladie du président déchu ». « Or, c’est cet immobilisme qui n’était pas normal et non la situation actuelle » a-t-elle noté.

Dans un second lieu, l’universitaire précise que « ces tournées sont plus que nécessaires car l’Algérie, y compris lors du 1er et 2ème mandat de Abdelaziz Bouteflika, avait privilégié le multilatéralisme, les sommets et l’organisation panafricaine au détriment du bilatéralisme. D’ailleurs, il n’y a pas eu de visite officielle d’un chef de l’Etat algérien en Afrique sub-saharienne depuis Liamine Zeroual ».

“Retard et recul” !

« Les déplacements de Ramtane Lamamra visent-ils à compenser les lacunes accumulées depuis des lustres ? Il est dans l’intérêt de l’Algérie que la réponse soit positive car qui n’avance pas recule et c’est précisément ce qui est arrivé pour l‘influence de l’Algérie en Afrique. Elle a reculé » a-t-elle analysé.

Dans ce même sillage, le chercheur en géopolitique et analyste principal à la Global Initiative, Raouf Farrah, trouve que « ces visites expriment la volonté du MAÉ de mettre en œuvre un activisme diplomatique qui renouerait avec une tradition diplomatique en Afrique mis à mal depuis au moins 20 ans ».

D’après lui, « la médiation en cours entre l’Egypte et l’Ethiopie est un exemple patent ». « Cependant, la politique africaine de l’Algérie demeure illisible et Alger accuse d’importants retards sur dossier régionaux stratégiques » a ajouté le chercheur.

« Une nouvelle ère ?! »

Plusieurs observateurs de la scène politique algérienne et africaine estiment que la diplomatie algérienne amorçait, depuis des semaines, « une nouvelle ère » marquée par « une activité intense et une célérité remarquable ».

Interogée sur ce point, Louisa Driss Ait Hamadouche a affirmé que « des tournées aussi réussies soient-elles ne peuvent pas signifier le début d’une nouvelle ère ». Pour la  spécialiste « une nouvelle ère exige de faire un bilan de ce qui a été fait (ou pas) durant ces dernières années ; d’identifier les responsabilités, les dysfonctionnements et les erreurs ». « En deuxième lieu, il faut réfléchir et répondre à des questions importantes : – quel rôle l’Algérie veut-elle jouer durant les trente prochaines années ? Quels sont les objectifs qu’elle a besoin d’atteindre, comparativement à ceux qui sont secondaires ? – l’Algérie est-elle décidée à mobiliser les moyens humains, managériaux et matériels pour réaliser ses objectifs essentiels ? Je n’ai pas le sentiment que nous soyons dans cette logique » a martelé la politologue.

En effet, ouvrir une nouvelle ère de la diplomatie algérienne exigerait selon elle,  « des débats publics ouverts et contradictoires de façon à décloisonner cette politique sur la place publique. Si les Algériens discutaient de la politique étrangère de leur pays, ils la comprendraient, se l’approprieraient et la défendraient. L’autre condition sine qua non est l’existence d’un parlement fort qui puisse contrôler les actions diplomatiques et les renforcer à travers une vraie diplomatie parlementaire ».

« Situation de crise interne »

Raouf Farrah quant à lui, pense qu’il est trop tôt pour affirmer cela. Et ce n’est pas des déplacements qui marquent une « nouvelle ère »de la diplomatie algérienne en Afrique. « En tant qu’observateurs, nous constatons cette volonté d’activisme depuis l’année dernière, sans toutefois être en mesure d’identifier un agenda politique claire qui permettrait à la diplomatie algérienne d’atteindre ses objectifs en Afrique » a expliqué le chercheur.

Depuis quelques années, l’Algérie vit une crise multidimensionnelle notamment sur le plan politique, interrogée sur la relation entre la diplomatie algérienne et la crise politique à l’intérieur du pays, l’enseignante fait savoir que « la politique extérieure a toujours un rapport avec la politique intérieure ». « Je serai même tentée de dire que la politique extérieure est le prolongement de la politique intérieure par d’autres moyens » a-t-elle noté.

« Situation défensive »

« Dans les situations de crise internes, la diplomatie est plutôt en situation défensive utilisant le plaidoyer. Ainsi à la crise politique persistante, la diplomatie de plaidoyer sert à convaincre les partenaires étrangers de la justesse des décisions internes, à les rassurer sur le fait que le gouvernement contrôle la situation et à en faire des sources de soutien » a expliqué madame Ait Hamadouche. Enfin, elle souligne que « dans une telle conjoncture interne, il est difficile d’avoir une diplomatie offensive et proactive qui est pourtant nécessaire compte tenu de la situation régionale. Donc, si la politique extérieure est le prolongement de la politique interne par d’autres moyens, elle ne peut accomplir de miracles ».