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Relire «Histoire d’un parjure» de Michel Habart…Une précieuse contribution à la véracité des faits

Radio M | 12/09/22 11:09

Relire «Histoire d’un parjure» de Michel Habart…Une précieuse contribution à la véracité des faits

Version moderne de la Numidie antique et de la Régence d’Alger, l’Algérie contemporaine existe bel et bien avant la colonisation française et son nom ne lui a été en aucun cas attribué par la France. Ici quelques témoignages vécus et/ou documentés d’historiens et de visiteurs étrangers, dont l’auteur de l’ouvrage ci-dessus cité :

Eh oui, dans ces périodes de grosses intrigues outre frontières, où l’écriture-lecture de l’histoire de notre pays est fréquemment malmenée de façon insidieuse par des pseudo-historiens, imposteurs et falsificateurs de tous bords, il suffit parfois d’un simple rappel historique pour qu’aussitôt le plateau de la balance s’infléchisse en sens contraire et que la véracité des faits se rétablisse. Il suffit d’un «rien» pour ainsi dire, mais pour que ce «rien»  -ô combien précieux-  devienne quelque chose, faut-il encore quelqu’un qui l’imagine et le provoque. Or, ce «rien» n’est autre que l’ouvrage intitulé “Histoire d’un parjure» (*) ; et ce quelqu’un n’est autre que Michel Habart, son auteur.

Qu’on en juge plutôt à travers les témoignages ci-après d’historiens occidentaux cités par le même auteur dans l’ouvrage en question, témoignages dont le moins qu’on puisse dire est que les arguments que ces historiens, visiteurs et Michel Habart lui-même avancent, battent largement en brèche la thèse éculée concernant la colonisation française en Algérie. Suivons-les : «La sainte et glorieuse croisade» de 1830 devait, disait-on, débarrasser l’Europe et la Chrétienté d’un nid de pirates et d’esclavagistes. On le dit encore : les mythes sont tenaces. Quand la royale armada fit voile pour Alger, les rais algériens avaient, depuis des années, amarré leurs chebeks. Quant aux esclaves chrétiens, ils ne restait dans les bagnes d’Alger qu’une centaine de prisonniers de guerre, des Grecs de la guerre de Morée pour la plupart».

Un peu plus loin, l’auteur entre dans le vif du sujet en attestant, chiffres à l’appui, qu’en 1830 la population de notre pays n’était pas si illettrée que n’ont voulu le faire croire les revanchards «nostalgériques». Ecoutons-le : «Les témoignages sont formels. En 1830, tous les Algériens savaient lire, écrire et compter, et la plupart des vainqueurs, ajoute la commission de 1833, avaient moins d’instruction que les vaincus».

Et ce n’est pas tout : «Les Algériens sont beaucoup plus cultivés qu’on ne croit, note pour sa part Campbell en 1835. A notre arrivée, il y avait plus de cent écoles primaires à Alger, 86 à Constantine, 50 à Tlemcen. Alger et Constantine avaient chacune six à sept collèges secondaires, et l’Algérie était dotée de dix zaouïas (universités). Chaque village ou groupe de hameaux avait son école. Notre occupation leur porta un coup irréparable. Du moins, les avions-nous remplacées ? Mgr Dupuch nous répond en déplorant qu’en 1840 il n’ait trouvé que deux ou trois instituteurs pour toute la province d’Alger. En 1880, on ne trouvait encore que treize (je dis bien treize) écoles franco-arabes pour toute l’Algérie. «Nous avons, dit notre grand orientaliste Georges Marçais, gaspillé l’héritage musulman à plaisir».

«Nous avons débordé en barbarie  les Barbares qu’on venait civiliser»

Au cours de la lecture de l’ouvrage en question, on notera aussi l’autre passage ci-après qui est des plus édifiants : «Telle était la barbarie de ces Barbaresques. Certes, les mœurs parfois frustes d’un peuple resté à l’écart, certains traits orientaux, le comportement expéditif de leur administration, leurs routines, leur indifférence au confort, leurs superstitions, leur pointilleuse dévotion choquaient nos sensibilités occidentales. Mais l’Algérie avait sa culture. Cet héritage méritait d’être préservé».

«Le propre d’une civilisation n’est-il pas de savoir en accepter une autre sans la détruire ?», demandait Hamdan. En fait, ce fut une véritable extermination culturelle», dénonce Michel Habart. Et d’asséner sans détour : «La commission d’enquête met ici les points sur les i : «Nous apportions à ces peuples les bienfaits de la civilisation, et de nos mains s’échappaient les turpitudes d’un ordre social usé. Nous avons débordé en barbarie les Barbares qu’on venait civiliser». La discipline turque leur apparut sous nos pouvoirs comme une nostalgique oasis. Rovigo est tout aussi brutal : «Notre seule supériorité sur eux, c’est notre artillerie, et ils le savent. Ils ont plus d’esprit et de sens que les Européens, et on trouvera un jour d’immenses ressources chez ces gens-là, qui savent ce qu’ils ont été et qui se croient destinées à jouer un rôle». «Ce qu’il faut, dit Tocqueville, c’est donner des livres à ce peuple curieux et intelligent. Ils savent tous lire. Et ils ont cette finesse et cette aptitude à comprendre qui les rend si supérieurs à nos paysans de France», révèle encore Michel Habart. A la commission d’enquête qui lui demande ce qui manque le plus aux Maures d’Alger, Bouderba répondra : «Des journaux».

Ainsi devine-t-on aisément, qu’à des propos d’une logique irréfutable, Michel Habart ait joint, appuyé par les faits, un bref rappel historique sur le contexte politique de l’époque en ce que celui-ci souligne, dans le passage ci-après, une vérité cinglante  -l’existence de la nation algérienne-  que les «nostalgériques» et revanchards de tous bords se sont toujours échinés à nier. Mais vainement. La voici : «En 1830, nier l’existence de la nation algérienne eût semblé absurde. L’idée n’en vint qu’avec les progrès de l’extermination : elle la justifiait. Et pour cela, on ira jusqu’au ridicule. Des historiens comme Augustin Bernard ou Esquer, pour nous prouver que l’Algérie n’était pas une nation, nous dirons qu’elle nous doit jusqu’à son nom. L’argument est spécieux et l’erreur est fâcheuse».

«L’Algérie existait dans ses frontières avant l’Italie, l’Allemagne, la Belgique, la Norvège ou l’Irlande»

«En 1830, poursuit l’auteur dans un argumentaire des plus cinglants, on disait la Régence comme on disait la Porte, ou le plus souvent le Royaume d’Alger, comme on disait le Royaume de Naples, de Tunis, de Mexico ou du Maroc. Et même le mot Algérie, s’il n’était pas courant, était loin d’être inconnu (voir les Mémoires d’Apponyi). Les termes «nation algérienne», «gouvernement algérien», «état algérien» étaient couramment employés en Allemagne, l’Algérie se disait «der algerische Staat» (l’Etat algérien, ndlr). Sans remonter au début du XIVe siècle qui vit le premier traité entre la France et le roi Khaled ou même aux traités de Louis XIV entre «l’Empereur de France et le Royaume d’Alger» pour «la paix et le commerce entre les deux royaumes», le très important traité de 1802 (1er nivose, an X) reconnaissant que «l’état de guerre sans motif et contraire aux intérêts des deux peuples n’était pas naturel entre les deux Etats», et rétablissant avec «le gouvernement algérien» les relations «politiques et commerciales», fait mention de l’«Algérie», en sept lettres. Le traité fut confirmé en 1814 par Louis XVIII, pour «la paix entre les sujets respectifs des deux Etats».

Mais, pour Michel Habart, il fallait en outre convaincre, preuves documentaires à l’appui, que l’existence de l’Algérie en tant que telle était reconnue par nombre de pays occidentaux, dont l’Angleterre, la Suède et les Etats-Unis lesquels pays, en plus de la France, avaient des consulats à Alger.

Sur ce dernier point, l’auteur apporte un témoignage capital. Il faut d’ailleurs citer le passage ci-après qui en fait état : «Cette reconnaissance diplomatique de la nation algérienne par l’Angleterre, les Etats-Unis, et les autres, aussi bien que par la France, ne faisait que constater l’existence et l’unité d’un Etat qui connaissait ses actuelles frontières depuis des siècles. Sur ce point, les anciens voyageurs de la Régence, Poiret, Peysonnel, Shaw ou Laugier, sont tous d’accord. Il n’en est pas un pour voir que la Régence ait eu alors moins de réalité que le Maroc ou la Tunisie, sinon pour constater qu’elle était la plus considérable des puissances barbaresques. Ceux, qui, pour mieux nier aujourd’hui la nation algérienne, simulent quelque objectivité en voulant bien admettre que le Maroc et la Tunisie existent, étaient les premiers naguère à douter de l’unité et du bien-fondé de ces nations. L’Algérie existait dans ses frontières avant l’Italie, l’Allemagne, la Belgique, la Norvège ou l’Irlande  -pour ne parler que de l’Europe occidentale».

Pour conclure, nous nous bornerons seulement à rappeler que tous les témoignages ci-dessus cités montrent clairement que l’Algérie contemporaine, version moderne de la Numidie antique et de la Régence, a toujours existé et existe bel et bien avant la colonisation française ; et son nom ne lui a en aucun cas été attribué par la France. Tôt ou tard les «nostalgériques» et revanchards ainsi que les pseudo-historiens, imposteurs et falsificateurs de tous bords finiront par admettre cette vérité axiomatique.

(*) D’après Histoire d’un parjure, essai de Michel Habart, Les Editions de Minuit, Paris 1960 ; version originale scannée, 237 pages

Kamel Bouslama