Qui veut envoyer Abdenour dans un « botti » ? - Radio M

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Qui veut envoyer Abdenour dans un « botti » ?

Zoheïr Aberkane | 31/10/21 12:10

Qui veut envoyer Abdenour dans un « botti » ?

Par Zoheïr Aberkane


Les vendredis se suivent et se ressemblent. Tout comme les fourgons bleus et les 4×4 blancs. Le 141e ne déroge pas à la règle. Présence policière préventive. Dissuasive. Face à un Hirak spectral, un dispositif visuel. Très même. Une morpho-sémiologie éloquente. Le choix des hommes et du matériel ne doit rien au hasard. Tout est savamment pensé, élaboré pour refréner les ardeurs hasardeuses. Dans notre inconscient collectif, un policier en tenue de ville suscite moins de craintes qu’un policier d’intervention. Au premier, on associe l’image du PV, du retrait de permis, alors que le second, renvoie à « matraque », « interpellation ». Un « Vito » vitré provoque moins d’appréhensions qu’un fourgon cellulaire sans lucarnes. Et tant pis si l’image de la capitale en prend un coup. Celle d’une ville assiégée. Etouffée. L’important est qu’elle soit sous contrôle. Après le « zéro tolérance », le « zéro risque »…


C’est peut-être pour cela qu’hier, jeudi, l’étudiant Abdenour Aït Saïd a été interpellé, conduit au commissariat pour n’être libéré qu’à 4 heures du matin ? Y a-t-il une loi, en dehors, de l’arbitraire, qui autorise les interpellations sans raison ? Abdenour a deux procès sur le dos, dont le second a été ajourné la veille de cette nouvelle interpellation. Il est sous contrôle judiciaire, soumis à des restrictions évidentes.

Quelles garanties doit-il encore produire ? Ou plutôt serait-il aussi dangereux que cela au point où une simple balade dans les rues d’Alger affole les caméras de surveillance ? Abdenour sans être versé dans le monde du travail, fait déjà la semaine des 5 jours. Il est de fait assigné à résidence les mardis et les vendredis. Quand on opte pour le « tout sécuritaire », la paranoïa devient un élément systémique. Cela finit par engendrer, comme l’a martelé maître Badi dans l’émission 5/5 de Lynda Abbou, un « tout répressif ».


A cette cadence, combien de temps encore vont pouvoir résister tous les Abdenour, régulièrement harcelés par les services de police et la justice ? Plusieurs avocats alertent sur le refus de certains de leurs clients sous contrôle judiciaire dans le cadre du Hirak, de ne plus vouloir obtempérer à la justice. Beaucoup d’activistes du Hirak, en sus de ces milliers de jeunes désespérés, ont pris le risque de la traversée de la mort plutôt que de mourir faute de rêves dans une Algérie où ils se sentent étrangers. Sans perspectives. Sans avenir.L’AFP n’a rien inventé s’agissant des Harragas. C’est Belhimer qui ne veut pas voir. Coincé dans un trou de ver dont la « porte des étoiles » est restée bloquée sur le curseur des années 80.

Pourtant, de Facebook à Tik Tok en passant par Instagram, des dizaines de vidéos montrent régulièrement de jeunes Algériens dans le déni et le reniement de leur appartenance à l’Algérie même s’ils y restent profondément attachés. Les irruptions du drapeau algérien dans des événements où il n’a rien à y faire, c’est eux. Ils se rebellent plutôt contre une idée de l’Algérie qui n’est juste pas dans leur trajectoire de vie. Inscrite dans la malchance. Le « Khalinaha likoum rahi likoum ! » (on vous la laisse elle est à vous !) est une meurtrissure infligée à nos convictions profondes et nos croyances partagées. Elle sonne aussi comme un aveu d’échec pour ce système.


Un système qui a mis tout le monde sous écoute mais qui ne sait pas écouter son peuple. Il suffit juste quitter l’espace feutré des bâtisses cossues, des tours d’ivoire pour y voir plus clair. Sortir et marcher. Réapprendre à écouter les sons de la rue. Pas besoin d’être voyant ni de lire dans le marc de café pour comprendre la détresse des jeunes et du pays. Parfois, il ne suffit pas de lire juste la mercuriale. Il faut aussi savoir lire sur les murs …Alors on s’invente des causes et des causeries. Comme cette campagne d’arabisation forcenée. Dans une émulation collective, on se surpasse en décisions et moult inventivités. Plus arabe que les arabes d’Arabie.

En fait, qu’est-ce qui risque de changer dans une Algérie aux consonances arabiques ? Ecrire de droite à gauche fera-t-il de nous un Etat social pour autant ? A moins que cela nous rapproche davantage du paradis… Sauf qu’au-delà de l’engouement hystérique de certains, qui croient fortement que ce serait là une manière de faire pression sur la France, la réalité de la mise en application de l’usage systématique de l’arabe est une tout autre histoire, qui devrait allier à la fois pédagogie et adaptation progressive mais aussi ouverture d’esprit.

On ne se débarrasse pas d’une langue acquise comme d’une taxe fiscale encombrante. Une langue est un moyen de communication et un instrument d’apprentissage. Un trait d’humanité. Mais apparemment, l’entêtement dépasse tout entendement. Ni le hadith, plein de bon sens, mais décrété apocryphe par des exégètes arabistes « celui qui a appris la langue d’une communauté, se prémunit de leurs méfaits », encore moins la sentence de Katab Yacine, dont nous commémorons le 32e anniversaire de son décès, « La langue française est notre butin de guerre ! » n’auront raison de la bêtise ambiante. On remplace la langue de l’ancien colonisateur français par celle d’un autre ex-colonisateur tout aussi malfaisant : le Royaume-Uni.


Peut-être serait-il utile de rappeler à nos fervents et illuminés défenseurs de l’adoption de l’anglais, que c’est dans la langue de Shakespeare qu’à été rédigée la déclaration de Balfour, en 1917, en faveur de l’établissement en Palestine d’« un foyer national pour le peuple juif » alors que la déclaration du 1er novembre a été rédigée dans la langue de Molière ? Quand les novembristes francophones songeaient à libérer le pays du joug de la colonisation française, les badissistes arabophones et islamo-arabistes, étaient embourbés dans un assimilationnisme aveugle. Il a fallu que l’Histoire leur force la main en janvier 1956 à travers un manifeste quelque peu bigarré pour reconnaître l’inéluctabilité de la lutte armée.


A la veille de la célébration du 67e anniversaire du déclenchement de la lutte de libération nationale, des enfants de l’indépendance confisquée sont toujours en prison. Presque 250. Cinq ans pour Mohad Gasmi à Adrar, refus de remise en liberté provisoire pour Fethi Ghares, confirmations de peine pour d’autres et maintien en prison pour beaucoup d’autres. Et à Alger, comme ailleurs, les services de la voirie s’attèlent à l’embellissement des rues et boulevards de la capitale. Des milliers de drapeaux accrochés aux lampadaires, sur les frontons des mairies, tendus perpendiculairement ou en zigzag dans les rues au-dessus de nos têtes… Et pourtant, ce 1er novembre nous ne pourrons pas brandir fièrement l’emblème national. A peine si nous pouvons, comme beaucoup d’internautes, le prendre en photo, furtivement sur un balcon ou dans nos chambres.


Nous sommes, peut-être, le seul pays où brandir l’emblème national dans la rue peut valoir une interpellation. Triste que ce symbole au cœur du combat libérateur, puisse à la fois devenir une caution ornementale pour un régime despotique et un objet délictuel pour l’Algérien lambda. Peut-être parce que, le drapeau national comme le Hirak portent en eux l’esprit de novembre…

Z.A.