Oran 2022 : Comment Abdelmadjid Tebboune a été inspiré de s’en remettre à Aziz Derouaz. - Radio M

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Oran 2022 : Comment Abdelmadjid Tebboune a été inspiré de s’en remettre à Aziz Derouaz.

Radio M | 09/07/22 08:07

Oran 2022 : Comment Abdelmadjid Tebboune a été inspiré de s’en remettre à Aziz Derouaz.

El Kadi Ihsane

En septembre 2021, le CIJM était sur le point de retirer à l’Algérie l’organisation de la 19e édition des Jeux Méditerranéens à Oran. Il ne fallait pas se tromper sur le manager de la crise.

Aziz Derouaz , le commissaire des JM, n’est pas très populaire à Oran. Une partie du public l’a assimilé prosaïquement à un fonctionnaire aux ordres, certes ancien technicien sportif à succès, venu de la capitale mettre « les jeux des oranais » sous tutelle algéroise. Sa diction approximative en arabe lors de la cérémonie d’ouverture ne l’a pas aidé à se réconcilier avec les oranais. Pourtant le choix de Aziz Derouaz  fin septembre dernier, est au chapitre du casting,  une des trop rares bonnes inspirations de Abdelmadjid Tebboune. Le sélectionneur national de la glorieuse équipe de handball a certes était président du conseil de la jeunesse puis ministre dans les années 90 dans un des gouvernements de Ahmed Ouyahia. Ce qui le mettrait dans la case des ressources humaines typiques du système. Mais il a été aussi candidat FFS, de Ait Ahmed retournant en Algérie, à la députation lors des élections interrompues de décembre 1991. Aux normes du régime politique crispé d’aujourd’hui Aziz Derouaz apparaît bien plus comme un outsider, hirakiste en 2019, plutôt libre de sa parole.  Au bord du gouffre organisationnel à la fin de l’été 2021, son nom a été suggéré pour tenter de sauver Oran 2022. D’autres avant lui ont décliné. Le rattrapage en cours par le groupe des entreprises Hasnaoui pour achever le béton du complexe nautique et de la salle omnisport était certes en bonne voie. Mais tout le reste était en suspens. A 9 mois de la cérémonie d’ouverture, le pari paraissait insensé.

Un immobilisme nommé « Brigade économique »

Les retards dans la préparation des JM d’Oran 2022 ont un nom : « la brigade économique ». « Personne ne veut rien signer de peur de se retrouver devant les gendarmes quelques mois plus tard, une fois les lumières éteintes à Oran » explique un ancien membre du Comité d’organisation (COJM) qui a préféré prendre ses distances au début de 2021. Les oranais doivent se souvenir que les deux premiers directeurs du COJM étaient de la ville : le chef d’entreprise impliqué dans le football local Mohamed El Moro, novembre 2018, remplacé en aout 2019 par  le champion de natation, Salim Iles. L’empreinte du second notamment, sur les préparatifs est microscopique. Peur légitime du mandat de dépôt le vent en Poupe, partout dans le pays pour les contractants des marchés publics de l’ère Bouteflka. Salim Iles n’avait pas les épaules assez larges pour se battre contre la tutelle du MJS, et les rouages de la bureaucratie et faire avancer le projet. A la fin de l’été 2021, le niveau d’impréparation est plus qu’alarmant. Lorsque débarque Aziz Derouaz à Oran, il doit en urgence convaincre le CIJM (comité international détenteur de l’évènement) de ne pas aller au bout de son projet : retirer les jeux à l’Algérie. Un test terminal de fiabilité est décrété par le CIJM : 10 jours pour générer un nouveau site internet conforme aux standards d’un tel évènement. Le premier, pas fonctionnel, avait été livré par l’ANEP, conformément aux « règles » de transactions imposées au COJM. Aziz Derouaz a dit oui à sa mission en sachant qu’il allait être confronté à cet examen du pompier.  Avec le risque d’être happé par un retour de flammes. Il a exécuté, avec le site commandé à un fournisseur étranger premium,  le premier geste d’urgence d’un manager assumant sa responsabilité. Livré dans les délais, le CIJM accepte alors de donner un sursis à Oran, après que « le COJM ait tenu pour la 1Er fois un engagement ». Le COJM nouvelle mouture va enchainer, sans attendre encore les hésitations bureaucratiques de la tutelle au ministère des sports (MJS). Le rendez vous le plus emblématique est aussi le plus proche : la cérémonie d’ouverture. Salim Dadi est désigné maitre de cérémonie et l’évènement commandé à une signature étrangère. Une dynamique est enclenchée.

Le premier ministre en travers du chrono

Le plus dur reste pourtant à faire. Toutes les transactions liées aux équipements des infrastructures sont encore à réaliser. De même que la prestation doit être contractée des moyens de production pour la captation images des jeux, cérémonies d’ouverture et de clôture en tète. 23 lots différents au montant global proche des 2, 5 milliards de dinars. Cette fois c’est le premier ministre Aymen Benabderahmane qui se met en travers du compte à rebours, en janvier-février 2022. Lui aussi a pensé manifestement au sort de deux de ses prédécesseurs dans la fonction. Le délai pour les appels d’offres étant passé, il veut s’en tenir à une procédure de gré à gré après consultation qui s’avère trop longue à mener pour les semaines qui restent avant les jeux. Seul le gré à gré simple peut permettre d’acquérir les équipements et services manquants à 100 jours des jeux. Le premier ministre le rejette  au nom de la conformité au code des marchés publics. La tenue des jeux est cette fois à deux doigts de collapser. C’est un arbitrage à la présidence de la république le 06 avril 2022 autour de Abdelmadjid Tebboune qui va in extrémis débloquer les achats, et permettre définitivement d’engager la dernière ligne droite vers les jeux. Le gré à gré simple est retenu et le commissaire des JM sera conforté dans de larges prérogatives. Ce n’est pas le fruit du hasard. L’outsider, qui  a connu la haute administration il y’a plus de vingt ans a secoué le gouvernement, en mettant en jeu l’image de l’Algérie : « que celui qui veut la tenir en se cachant derrière des règlements dépassés viennent le dire à l’opinion ». Il s’est aussi mis un peu plus en situation périlleuse. Au moment même de cet arbitrage présidentiel, l’ancienne ministre de la culture Khalida Toumi écopait, en première instance,  de six ans de prison pour avoir « trop  dépensée » – dilapidé des deniers publics – durant les différents festivals organisées au temps du pétrole cher.

Une immunité en or

Aziz Derouaz est un fonceur optimiste. Son invention de la défense avancée à l’algérienne en hand-ball en témoigne. Grosse prise de risque tactique basée sur la mobilité de la défense plus que sur son gabarit mains levées. En engageant au pas de charge les opérations longtemps bloquées à Oran, il sait qu’il a pris le risque majeur de sa vie. Sur le mode de la défense avancée. Cela marche, s’il y’a interception, contre attaque et but, et cela échoue si la défense est transpercée loin de la zone. Sa lourde insistance lors du discours de clôture sur « la confiance que m’a accordé le président Tebboune » sonnait comme un avertissement à ceux qui allaient vouloir s’occuper du « bulldozer » Derouaz une fois éteinte les lumières des jeux.      Le succès populaire, prévisible pour les connaisseurs, des JM d’Oran a apporté une immunité en or » au COJM et au commissaire des jeux. Bien sur tout n’a pas été parfait durant les 11 jours d’épreuves, beaucoup s’en faut. Entre programmation, vente électroniques des billets, plan de circulation des délégations, les retards dans l’organisation ont fini par rattraper le déroulé des jeux et ont failli les faire dérailler. Le COJM a même été contraint de publier un communiqué du CIJM le blâmant pour la faiblesse de sa prise en charge des athlètes. Ces défaillances ont notamment provoqué un « drame » pour des athlètes qui on manqué leur compétition à cause d’un retard du bus retardé dans les bouchons. Le couloir de circulation dédié, fortement recommandé par le CIJM, n’avait pas été retenu par l’organisation. L’affluence populaire sur les sites de compétition n’a pas réussi, les réseaux sociaux l’ont laissé filtrer, à faire toujours oublier à tous les participants  les contraintes sécuritaires caricaturales qui les ont empêché de bénéficier pleinement de la découverte d’Oran.

Profil Belmadi- Derouaz plus efficace. 

Le bilan du COJM version Aziz Derouaz, va sans doute continuer à être scruté et inévitablement critiqué, tant la personnalité du commissaire des jeux peut être clivante, pas ses excès. Il reste que la leçon à tirer de ce miracle oranais qui a rendu heureux des centaines de milliers de spectateurs durant 11 jours est  que, dos au mur, l’instance politique fini par choisir des hommes de décisions qui n’ont pas peur de prendre des engagements risqués. Le choix hors des circuits désuets des Ressources Humaines de la gouvernance actuelle devient encore plus pressant sous exposition internationale. Un flop à Oran aurait précipité aux abimes une crédibilité, déjà bien en peine, du régime Tebboune. Elle aurait aussi torpillé l’image d’un pays supposé le plus riche de la rive sud Méditerranée, et donc le plus en mesure d’organiser des jeux de qualité. L’honneur est sauf. Les JM, décotés par les pays de la rive nord, sont même relancés à Oran. Au point de faire danser, à la tribune d’honneur sur la chanson de Allaoua le soir de la clôture, le français natif de Saida, Bernard Amsalem, vice président du CIJM et défenseur ultime de Oran 2022.

Pour les plus jeunes le profil type du manager fonceur, qui résiste aux interférences et secoue la bureaucratie algérienne est bien sur Djamel Belmadi. Aziz Derouaz en est, en fait, la matrice historique. Il a joué sa tête à Oran et a gagné son pari. La tête du très prudent Aymen Benabderahmane, ancien censeur à la banque d’Algérie, est, elle  plus que jamais en jeu. Hors JM d’Oran le pays va mollo-mollo.