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Octobre 1988 : ce “chahut de gamins” qui changea l’histoire de l’Algérie contemporaine

Radio M | 05/10/20 21:10

Octobre 1988 : ce “chahut de gamins” qui changea l’histoire de l’Algérie contemporaine

Par Walid Boudoukha

La transition démocratique inachevée que devait vivre l’Algérie fut suspendue temporairement, dans un premier temps, pour des raisons sécuritaires durant les années 1990, puis définitivement et sans raisons, depuis 1999.

La disparition de Houari Boumediene en décembre 1978 et l’arrivée de Chadli Bendjedid en février 1979 au poste de chef suprême de l’Etat, coïncide avec la complication du contexte politique et économique international ; l’émergence de l’Islam politique après la révolution iranienne de 1979, l’implosion de l’URSS et l’échec de la politique socialiste, mais surtout, le contre-choc pétrolier et la chute du cours du dollar en 1986. C’est ce dernier élément qui affectera particulièrement l’Algérie qui, comme de nos jours, était largement tributaire de la rente pétrolière. Ainsi, le contre-choc pétrolier plonge l’Algérie dans une profonde récession. Entre 1985 et 1988, la dette totale de l’Algérie passe de 13 à 26 milliards de dollars.

S’ajoute à la crise économique une crise sociale, identitaire et politique. L’ensemble est à l’origine des premiers mouvements sociaux de l’Algérie indépendante. Parmi les faits les plus marquants, le Printemps berbère en 1980[1], les émeutes de Sétif et Constantine en 1986, mais surtout, celles d’octobre 1988 (du 5 au 10 octobre). La réaction face à ces cinq jours de soulèvement est répressive, l’armée ouvre le feu à balles réelles, le bilan officiel est de 169 morts, plus de 500 selon des sources hospitalières [2].

Les deux premiers mandats du Président Chadli Bendjedid (1979-1988) sont donc marqués par une profonde crise et de fortes protestations. Les événements d’octobre 1988 sonnent le début de la fin de l’ère du parti unique (le FLN) et la mise en place d’un processus de démocratisation avec de nombreuses réformes (économiques, sociales et politiques), menées par les gouvernements Merbah de 1988 à 1989, et Hamrouche de 1989 à 1991.

Résultat d’une décennie de protestations

Dans un contexte de crise économique, les manifestations populaires se multiplient durant les années 1980. En avril 1980, des étudiants de l’université de Tizi-Ouzou sont réprimés pour avoir protesté durant plus d’un mois contre l’interdiction de la tenue d’une conférence que devait animer Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle ancienne le 10 mars 1980. Cet événement marque le début d’une décennie de protestations et de grèves. Ainsi, 768 mouvements de grèves sont tenus en 1982, 688 en 1983, 855 en 1984, 809 en 1985, 640 en 1986 et 648 en 1987[3]. Les manifestations se poursuivent également tout au long de la décennie 1980, « Certes, des émeutes s’étaient déjà produites sous le régime de Houari Boumediène, mais elles n’étaient pas nombreuses et n’atteignirent jamais les grandes villes du pays [4] ».

La multiplication des mouvements sociaux au cours de la décennie 1980, laisse présager une montée de violence tant que le climat social n’est pas apaisé, notamment par une amélioration du niveau de vie, et une accession aux libertés fondamentales.

Le discours du 19 septembre

Le 19 septembre 1988, le Président Chadli Bendjedid prononce un discours au Palais des Nations à Alger, devant les membres des bureaux de coordination des wilayas.

« La responsabilité à l’avenir, sera la résultante du travail sérieux. Dans ce cadre, des mesures sont actuellement en cours d’études au niveau du gouvernement et leur application interviendra au début de l’année prochaine, et ce, pour faire face à la situation économique et pour maîtriser les effets de la crise économique… Il est impératif de créer des associations de protection du consommateur. Certains bouchers ont essayé récemment dans un pays, dont je ne citerai pas le nom, d’augmenter les prix de leur marchandise. Les habitants du quartier ont spontanément décidé de suspendre pendant une semaine la consommation de viande, et ils n’en sont pas morts. Bien au contraire, ils ont contraint les vendeurs à baisser les prix» ; «Nous devons quant à nous éduquer notre peuple dans le cadre du Parti du Front de Libération Nationale et lui apprendre à s’auto défendre [5]».

La rédaction et la diffusion de ce discours qui frôle l’appel à la révolte, ne sont guère assumées. Mouloud Hamrouche qui n’y assiste pas, dit avoir découvert son contenu lors du montage de la vidéo, réalisé en compagnie du chef de cabinet à la présidence Larbi Belkheir et du Premier ministre El-Hadi Khédiri.

Larbi Belkheir contredit cette information en déclarant n’avoir pris connaissance de ce discours « qu’au moment où il a été prononcé [6] ». Pour sa part, El-Hadi Khédiri assure être contre la diffusion intégrale du discours. « Vous me demandez si c’est Hamrouche qui a eu l’idée de la diffusion intégrale (…) Je vous dis oui [7] ». Quoi qu’il en soit, ce discours qui n’est selon Mouloud Hamrouche pas à l’initiative des réformateurs, annonce de profondes réformes, et appelle les citoyens à défendre leurs intérêts, notamment en suspendant la consommation de certains produits alimentaires, devenus hors de prix.

Ce message ferme du Président s’adresse également à ses ex-alliés qui occupent les hautes instances du FLN et qui s’opposent aux réformes économiques et politiques [8]. La réaction des citoyens ne se fait pas attendre. Le 29 septembre, des centaines de travailleurs se mobilisent à l’intérieur du complexe de l’Entreprise Nationale des Véhicules Industriels (SNVI) de Rouiba, pour exiger une revalorisation salariale, et protester contre la hausse des prix des produits alimentaires. Le 30 septembre, des employés des PTT entament une grève en solidarité avec les travailleurs de la SNVI [9]. Les grèves de SNVI et des PTT prennent fin respectivement le 1 et le 2 octobre. Le 3 octobre, des émeutes éclatent à El-Harrach (banlieue d’Alger). Le 4 octobre, des militants du PAGS sont arrêtés à l’est d’Alger. Quelques heures plus tard, la rue s’embrase dans les quartiers de Bab el Oued, Bach Djerrah, Bab Ezzouar, Chevalley et Climat de France [10]. L’affrontement entre émeutiers et forces de l’ordre dure jusqu’à 4 heures du matin [11].

Chronologie des événements

Le mercredi 5 octobre, « des civils descendus de voiture cassent des vitrines de la grande rue Didouche Mourad sans être inquiétés. Peu de temps après, des milliers de lycéens et d’écoliers déferlent dans des rues qui seront par ailleurs mystérieusement désertées par les forces de police [12] ».

Du centre-ville d’Alger, la protestation s’élargit à d’autres quartiers (Ben Aknoun, El Biar, Kouba, Belcourt, Hussein dey, Bachjarah …), puis à d’autres villes limitrophes de la capitale (Boufarik, Blida, Chéraga…). Les manifestants s’en prennent à tout ce qui symbolise l’État (bureaux du FLN, commissariats de police, ministères de la Jeunesse et de l’Éducation…) sans revendications politiques particulières. Le même jour, le Président Chadli installe une cellule de crise à la présidence, décrète l’état de siège, et charge le général Khaled Nezzar, alors commandant des forces terrestres, du rétablissement de l’ordre. Mouloud Hamrouche et son équipe sont écartés durant la crise. « Les réformes étaient prêtes, on ne pouvait plus faire grand-chose techniquement, on attendait une décision politique qui ne venait pas. A ce moment est apparu Nezzar comme étant le chef technique de l’armée [13]», se souvient Ghazi Hidouci.

Le même jour, le PAGS fait une déclaration pour dénoncer l’arrestation de ses militants. Le lendemain, d’autres partis politiques dans la clandestinité (le MDA [14] et le PPA [15]) condamnent l’état de siège. Les affrontements se poursuivent tout au long de la journée. Un commissaire meurt suite à l’attaque du commissariat de Bachjarah. Celui de Bab El Oued est complètement saccagé. Malgré l’instauration du couvre-feu de minuit à 6 heures du matin, les affrontements continuent [16].

Le 7 octobre, l’insurrection gagne les grandes villes du pays (Oran, Mostaganem, Tlemcen, Sidi Bel-Abbès, Tiaret, Saida, Ain Témouchent, Djelfa, M’sila, Bou Saâda, Bouira, Annaba, Guelma, Chlef et Ain Defla [17]). Seules les villes de l’extrême sud du pays échappent aux violences. A Alger, des milliers de manifestants se rassemblent à Belcourt après la prière du vendredi. Le couvre-feu passe à 5h-22h, tandis que le premier bilan fait état de 900 arrestations en 3 jours [18]. Le « chahut de gamins [19] » prend des proportions graves, les premiers cas de tortures sont recensés à Sidi Fredj.

Le 8 octobre, le calme regagne la plupart des villes. « La situation est maîtrisée, la sagesse et la raison semblent l’emporter [20] », déclare le ministre de l’information, Bachir Rouis. Cependant, Ali Benhadj [21] appelle à se rassembler le 10 octobre.

Le 9 octobre, le PAGS publie un communiqué qui dénonce la torture et la répression : « Depuis le 27 septembre, des dizaines de militants et sympathisants de notre parti ont été arrêtés, interpellés ou sont recherchés par les services de répressions [22]… ». Les islamistes répondent présents à l’appel d’Ali Benhadj, et se mobilisent le 9 octobre en prévision du rassemblement.

Malgré l’appel du principal responsable du mouvement islamiste, cheikh Ahmed Sahnoun, à annuler le rassemblement, la marche rassemble environ 20 000 personnes le 10 octobre à 14 heures. Une fusillade éclate près du siège de la DGSN et fait 36 morts [23], dont le journaliste de l’APS, Sid Ali Benmechiche. Plus tôt le matin (vers 10 heures), un collectif de 70 journalistes dénonce, dans un communiqué remis à l’AFP, « l’interdiction d’informer objectivement des événements, le non-respect de la liberté de la presse, les atteintes aux droits de l’homme [24] ».

Le soir du 10 octobre, le Président Chadli apparaît pour la première fois depuis le début des émeutes, sur l’unique chaîne de télévision d’État. Il prononce un discours historique où il annonce pour la première fois des réformes politiques : « Ma conviction, est qu’il est temps d’introduire les réformes nécessaires, même dans le domaine politique, donc de revoir certaines structures et fondements constitutionnels pour les adapter à la nouvelle étape [25]… On ne peut procéder à des réformes économiques, agricoles, éducatives et administratives sans aborder les réformes politiques, qui seront soumises prochainement [26] ». En prononçant son discours, le Président ignorait quel serait le contenu des réformes politiques, « l’équipe chargée de rédiger un discours pour le Président lui a juste donné une demi-page dactylographiée [27] ».

Néanmoins, ce discours favorise le retour au calme. « C’est le discours qui a calmé les gens. Ce n’est pas que les militaires », estime un ancien officier supérieur de l’armée, « Il y avait une tentative de déstabilisation, et Chadli était visé. Je ne sais pas par qui il a été conseillé, mais avec son discours, il a repris le dessus », poursuit-il.

Le bilan officiel, après une semaine d’affrontements est publié le onze octobre. Le ministère de l’Intérieur annonce 159 morts, tandis que des sources médicales parlent d’au moins 500 morts [28]. Ce bilan macabre n’est autre que le résultat de l’intervention des troupes de l’armée, en aucun cas formées pour le maintien de l’ordre. Concernant cette intervention, Khaled Nezzar déclare : « C’est grâce à la restructuration de l’armée déjà en cours au moment des événements que nous avions pu rapidement dépêcher les premières unités (…).Cela m’a permis d’appeler le commandant de brigade le plus proche[29] »

Ce que ne dit pas Khaled Nezzar, c’est que lui-même avait pris une étonnante initiative durant l’été 1988. Environ deux mois avant les émeutes, il nomme un certain Fodil Cherif commandant de brigade (4 000 hommes) à Bel Abbes. Vers le vingt août 1988, il donne l’ordre à la brigade de Fodil Cherif, sans raisons apparentes, de se déployer à Alger. En octobre 1988, Fodil Cherif devient « l’homme anti-émeute » [30].

Un parfum de liberté

Le retour au calme est suivi par une vague de protestations et de réclamations. Ligue des droits de l’homme (LADH), islamistes [31], journalistes et militants de tous bords, publient des communiqués, ou adressent des lettres directement au Président de la République, pour dénoncer des arrestations arbitraires, appeler à la libération des prisonniers politiques, et des mineurs arrêtés lors des émeutes. Le 16 octobre, les journalistes du MJA, réunies au siège « Sid Ali Benmechiche », rue Khemisti à Alger, publient une déclaration contre la pratique de la torture lors des émeutes.

Ils exigent « la libération immédiate et sans conditions de tous les détenus dont l’arrestation est intervenue à la veille, durant ou après les dramatiques événements (…), [exigent] l’arrêt de toutes poursuites, intimidations, ou pressions policières à l’égard des citoyens et le respect de leurs droits constitutionnels, [et condamnent] fermement l’usage de la torture…[32] ». Le lendemain, le Comité national contre la torture, présidé par l’écrivain Anouar Benmalek, et qui rassemble des intellectuels, militants, artistes, médecins, avocats, journalistes… publie les premiers témoignages des torturés. Ce comité, « créé sous le choc des premiers témoignages le 17 octobre 1988 [33] », publie en 1989 dans Cahier noir d’octobre, des dizaines de témoignages des torturés d’octobre.

Devant ces multiples réactions, Chadli Bendjedid ordonne la libération (le 15 octobre) des 500 mineurs arrêtés, puis le premier novembre, celle des adultes (694 des 721 personnes arrêtées son libérées). Le projet de révision constitutionnelle est publié le 18 octobre, et un référendum est prévu pour le 3 novembre de la même année.

Les sacrifices d’octobre 1988 ne sont pas vains, les leaders du futur FIS ne sont pas les seuls à « bénéficier » de ce drame (à partir du 10 octobre), puisque les réformateurs, appuyés par le Président Chadli, profitent de l’affaiblissement partiel de l’armée après les émeutes, pour entamer dès l’apaisement des tensions, l’élaboration des réformes politiques entérinées par la Constitution du 23 février 1989.

Si les réformes économiques menèrent l’Algérie vers l’économie de marché, les réformes politiques la menèrent vers l’inconnu. Octobre a pourtant entrouvert les portes de la démocratie, notamment par la voix d’un multipartisme inattendu [34] et d’une presse privée voulue indépendante, sauf que cette indépendance, qui durera moins de deux ans (avril 1990-janvier 1992), fut vite rattrapée dans un premier temps par le monopole étatique de la publicité, puis instrumentalisée, malmenée, et confisquée par la politique du tout-sécuritaire des années 1990. Dans des cas extrêmes, elle fut même assassinée lorsque la barbarie jugea sa manifestation trop prononcée.

1989-2020, deux Constitutions pour deux objectifs bien différents

Même si nous sommes loin des assassinats ciblés des années 1990, nous assistons sous l’air Tebboune aux emprisonnements de journalistes et de militants du Hirak par dizaines. Ne sachant pas sur quel pied danser, le régime algérien s’appuie sur la révolte du 22 février 2019 et se prononce même en son nom pour tenter d’imposer sa politique, tout en s’activant pour empêcher son éventuel retour, quitte à user de la répression. Ayant les cartes en main, notamment grâce à la pandémie qui empêche le retour des manifestations, Abdelmadjid Tebboune refuse de jouer la carte de l’apaisement, car en plus de la menace prison, de nombreux sites d’informations voient leur accès bloqué depuis de nombreux mois.

Cette dangereuse violation de la liberté d’expression marque clairement une différence entre l’après-Hirak et l’après-Octobre 88 (l’âge d’or des libertés en Algérie). Pourtant le projet d’amendement de la Constitution soumis à un référendum le 1er novembre prochain promet la « consécration constitutionnelle de la liberté de la presse sous toutes ses formes et interdiction du contrôle préalable sur cette liberté ». Le projet interdit la limitation des « droits fondamentaux et libertés publiques qu’en vertu d’une loi et pour des raisons liées à la protection de l’ordre public et la protection d’autres droits et libertés consacrés par la Constitution », une mesure vue par des observateurs comme une arme anti-Hirak, notamment si on prend en compte les incarcérations pour des blagues sur les réseaux sociaux et les défaillances de l’institution judiciaire. Autant dire que la nature du régime ne change pas avec une concentration des pouvoirs intégralement aux mains de l’exécutif qui garde une mainmise sur le Parlement et son pouvoir de nomination sur tous les organes de contrôle et autorités de régulation de l’Etat.

A contrario, outre le droit de créer « des associations à caractère politique » (article 40), la Constitution du 23 février 1989 approuvée par les électeurs (73% des suffrages) met fin au dogme socialiste. En effet le terme « socialiste » est banni, et l’article 39 garantit « sans contraintes » les libertés d’expression, d’association et de réunion. Le droit de grève est élargi au secteur public (article 54), tandis que l’article 61 de la Constitution de 1976 ne l’autorisait que dans le secteur privé.

La constitution de 1989 n’est pas qu’une simple révision de celle de 1976. Elle change profondément le régime constitutionnel, garantit les droits et libertés publiques, et sépare les pouvoirs et la hiérarchie des normes juridiques liées au contrôle de la constitutionnalité des lois. Alors que la Constitution de 1976 parle d’un pouvoir unique, contenant des fonctions politique, législative, exécutive et judiciaire, celle de 1989 réorganise les pouvoirs. Elle sépare le pouvoir législatif de l’exécutif, et annonce l’indépendance du pouvoir judiciaire (article 129).

La révolte d’octobre 1988 ouvre la voie au débat. Le parti unique contesté après son long règne, et l’armée affaiblie après avoir tiré sur les manifestants, font d’importantes concessions, notamment dans l’ouverture d’une dynamique de recomposition politique. Après quelques hésitations, le multipartisme est admis et la presse privée est autorisée. L’article 40 de la Constitution reconnait « le droit de créer des associations à caractère politique », les journalistes attendront la loi du 3 avril 1990 pour pouvoir créer des titres privés. Le texte constitutionnel rééquilibre aussi les pouvoirs, notamment à travers les nombreuses prérogatives offertes au nouveau poste de chef du gouvernement, et surtout en ôtant juridiquement à l’armée et à l’appareil policier le contrôle régulier des appareils d’État.

La pression populaire comme unique locomotive

Contrairement au régime post-Hirak, Chadli Bendjedid n’a pas attendu la pression populaire pour afficher sa volonté d’opérer des changements, notamment sur le plan économique. Cela apparaît clairement à travers les résolutions formulées lors du congrès extraordinaire du FLN tenu en juin 1980 qui définissent les nouvelles orientations économiques du pays. En effet, après l’échec du projet de la « restructuration des entreprises publiques » mené par Abdelhamid Brahimi dès son premier mandat, feu Chadli Bendjedid installe en 1984 un groupe de conseillers (plus tard appelé groupe des réformateurs) autour de Mouloud Hamrouche, alors secrétaire général du gouvernement. Ce groupe, composé principalement de cadres et d’experts en économie, avait au départ pour unique mission de redresser une économie algérienne en grande difficulté. Après le contre-choc pétrolier de 1986, la situation s’aggrave, et les premières réformes économiques sont appliquées dès 1987, puis en 1988. La loi n° 87-19 sur le statut des terres publiques est adoptée le 8 décembre 1987, et neuf lois sont adoptées par le parlement en janvier 1988. Six d’entre elles relatives à la réforme économique sont adoptées le 12 janvier, tandis que trois autres relatives à l’hygiène, à la sécurité, à la médecine du travail, aux activités de médecine vétérinaire, à la protection de la santé animale et aux archives nationales sont adoptées le 26 janvier de la même année. Lors d’un discours prononcé le 15 décembre 1987 devant l’Assemblée Populaire Nationale (ANP), le Président Chadli déclare que les « actions politique et économique ne sont pas antinomiques ». L’adoption de ces lois, et les déclarations du chef de l’Etat, démontrent son ouverture à un changement politique, et laissent penser que les émeutes d’octobre 1988 marquent un tournant important, mais ne sont guère le point de départ du processus démocratique.

A l’opposé de l’actuel président algérien, Chadli Bendjedid avait accompagné son projet constitutionnel d’actions concrètes (débats, promesses tenues, libération des détenus d’octobre, retour de réfugiés politiques…) La Constitution de 1989 n’était pas qu’une simple démarche ayant pour but de racheter la paix sociale, mais plutôt un projet issu d’une volonté de changement affichée et assumée. Octobre 88 a certes changé les rapports de force, permettant ainsi l’application des réformes, mais sans les nombreuses années de préparation qui ont permis la participation de la société civile et de centaines de cadres au débat, le changement tant espéré n’aurait pas eu lieu.

Walid BOUDOUKHA

[1]Le Printemps berbère, désigne les manifestations réclamant l’officialisation de la langue tamazight et la reconnaissance de l’identité et de la langue berbère en Algérie à partir de mars 1980 en Kabylie et à Alger.

[2]Reporters sans frontières, Le drame algérien. Un peuple en otage, Paris, La découverte, 1996, p. 134.

[3] Hocine Belalloufi, La démocratie en Algérie, Réforme ou révolution ? Sur la crise algérienne et les moyens d’en sortir, Alger, Lazhari Labter Editions, Les Editions Apic, 2012, p. 93.

[4] Ibid., p. 96.

[5] Extrait du discours du 19 septembre, prononcé par le Président Chadli Bendjedid, El Moudjahid, 21 septembre 1988.

[6] Sid Ahmed Semiane, Octobre, ils parlent, Alger, Editions Le Matin, 1998, p. 113.

[7] Ibid., p. 105.

[8] Ahmed Ancer, Encre rouge : Le défi des journalistes algériens, Alger, El Watan, 2001, p. 48.

[9] Sid Ahmed Semiane, Octobre, ils parlent, op. cit., p. 20.

[10] Hamida Ayachi, Les années Chadli 1978-1992, Alger, Socrates News, 2014, p. 145.

[11] Sid Ahmed Semiane, Octobre, ils parlent, op. cit., p. 21.

[12] Reporters sans frontières, Le drame algérien. Un peuple en otage, Paris, La découverte, 1996, p. 135.

[13] Entretien avec Ghazi Hidouci.

[14] MDA : Mouvement pour la démocratie en Algérie.

[15] PPA : Parti du peuple algérien.

[16] Sid Ahmed Semiane, Octobre, ils parlent, op. cit., 1998, p. 22.

[17] Ibid., pp. 22-23.

[18] Déclaration le 7 octobre, du Président de l’Amicale des Algériens en Europe, Ali Ammar à Radio Beur : C’est un chahut de gamins qui a dérapé, un point c’est tout.

[19] Sid Ahmed Semiane, Octobre, ils parlent, op. cit., 1998, p. 23.

[20] Ibid.

[21] Ali Benhadj sera le co-fondateur du Front Islamique du Salut.

[22] Ahmed Ancer, Encre Rouge, Le défi des journalistes algériens, op. cit., p 51.

[23] Benjamin Stora, Octobre 1988: une nouvelle histoire commence en Algérie, op. cit., URL : http://blogs.mediapart.fr/blog/benjamin-stora/071008/octobre-1988-une-nouvelle-histoire-commence-en-algerie, (consulté le 04 octobre 2018).

[24] Ibid.

[25] Extrait du discours du 10 octobre, prononcé par le Président Chadli Bendjedid, In Ghania Mouffok, Etre journaliste en Algérie, Reporters sans frontières, Paris, 1996, p. 19.

[26] Extrait du discours du 10 octobre, prononcé par le Président Chadli Bendjedid, In Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire, Françalgérie, crimes et mensonges d’Etats. Histoire secrète, de la guerre d’indépendance à la « troisième guerre » d’Algérie, Paris, La Découverte, 2004, pp. 118-119.

[27] Témoignage de Mouloud Hamrouche. In Myriam Ait-Aoudia, L’expérience démocratique en Algérie, 1988-1992. Apprentissages politiques et changement de régime, Paris, Presses de Sciences po, 2015, p. 67.

[28] Reporters sans frontières, Le drame algérien. Un peuple en otage, Paris, La découverte, 1996, p. 134.

[29] Sid Ahmed Semiane, Octobre, ils parlent, op. cit., 1998, pp. 78-79.

[30] Témoignage d’un retraité de l’ANP, membre de la cellule anti-émeute dirigée par Khaled Nezzar.

[31] Le 13 octobre le leader du mouvement islamiste Ahmed Sahnoun, adresse une lettre au Président pour lui soumettre les revendications du parti. Voir : Hamida Ayachi, Les années Chadli 1978-1992, op. cit., pp. 149-151.

[32] Déclarations du MJA, datée du 16 octobre 1988.

[33] Comité national contre la torture, Cahier noir d’octobre, Entreprise nationale des arts graphiques, Alger, 1989, p. 11.

[34] Puisqu’il s’agissait dans un premier temps de maintenir le FLN comme parti unique et de l’ouvrir à d’autres sensibilités politiques.