Me Bouchachi au sujet du procès du journaliste Rabah Karèche : "sur le plan juridique cette affaire n’est pas fondée"  - Radio M

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Me Bouchachi au sujet du procès du journaliste Rabah Karèche : “sur le plan juridique cette affaire n’est pas fondée” 

Lynda Abbou | 04/08/21 22:08

Me Bouchachi au sujet du procès du journaliste Rabah Karèche : “sur le plan juridique cette affaire n’est pas fondée” 

Membre du collectif de défense Me Mustapha Bouchachi évoque dans cet entretien accordé à Radio M, nombre de questions liées au procès de notre confrère journaliste incarcéré, Rabah Karèche, prévu pour ce jeudi 05 aout 2021 au tribunal de Tamanrasset.

Le procès du journaliste et correspondant de Liberté à Tamanrasset, Rabah Karèche, placé sous mandat de dépôt le 19 avril dernier, à la prison de Tamanrasset, est poursuivi pour les chefs d’inculpation d’ « administration d’un compte électronique consacré à la diffusion d’informations susceptibles de provoquer la ségrégation et la haine dans la société », « diffusion volontaire de fausses informations susceptibles d’attenter à l’ordre public » et « usage de divers moyens pour porter atteinte à la sûreté et à l’unité nationales ».

Radio M : Vous avez rendu visite à Rabah Karèche ce matin à la prison de Tamanrasset, à la veille de son procès, comment l’avez-vous trouvé ?

Me Bouchachi : Oui je lui ai rendu visite ce matin. Physiquement il se porte bien et il garde le moral, notamment depuis qu’il a su que des avocats et des journalistes ont fait le déplacement à Tamanrasset pour le soutenir. Ce soutien l’a aidé à résister au sentiment d’injustice.

Vous êtes défenseur des droits de l’homme, quel est l’apport et l’importance de la solidarité dans ce genre d’affaires ?

Dans les affaire des détenus d’opinion, où on est emprisonné pour des principes et pour une liberté d’expression, on ressent l’injustice. La solidarité des confrères et des consœurs de Karèche, exprime clairement que le détenu n’as pas fait de crime, et qu’il est en prison pour avoir fait son travail d’une manière professionnelle et objective. Ce qui donne aussi, un sentiment d’assurance et aide à mieux résister à l’injustice.  

Rabah aujourd’hui était content. Il m’a dit lors de la visite ce matin : « comment je ne serais pas en bonne humeur quand je vois que vous êtes tous là pour moi ».  La solidarité donne un sentiment d’assurance aux détenus d’opinion. Chose qui les aide à résister et continuer à dire et à écrire la vérité.

Mais après tout le journaliste est emprisonné. Être en prison est fatigant pour la personne malgré sa bonne santé !

Il y a le problème de la surpopulation carcérale à Tamanrasset comme partout en Algérie, mais le journaliste nous a informé que le traitement des gardiens et des administrateurs de la prison est humain.

Vous parlez de surpopulation carcérale, quelles sont les conditions de détention de Rabah Karèche et des prisonniers en général ?

La surpopulation carcérale est un problème commun pour toutes les prisons du pays. Il y a aussi le manque de moyens, notamment en cette période délicate marquée par la crise sanitaire  liée au Covid-19,  où les famille ne sont pas autorisées à assurer le couffin (introduction de produits alimentaires) aux prisonniers, le manque de l’alimentation et la diminution des visites familiales.

La justice devrait assumer sa responsabilité, car ma conviction est que 50 % des mandats de dépôts ne sont pas justifiés. Nous n’avons pas besoin d’incarcérer ces personnes-là et les autorités semble avoir oublié la présomption d’innocence. La surpopulation dans les prisons est un résultat de la non application de la présomption d’innocence.

Après avoir discuté avec Kareche ce matin, a-t-il parlé de son emprisonnement et s’il s’attendait à son incarcération pour son travail de journaliste ?  

Kareche est un journaliste professionnel et objectif, il a longtemps travaillé ici  à Tamanrasset. Il a surement subi des pressions avant, mais il ne pensait pas qu’ils allaient oser le mettre en prison pour ses articles.  

La chose qui m’a attiré dans son dossier, c’est que la justice l’a mis sous mandat de dépôt alors qu’il présente toutes les garantis pour se présenter devant la justice. Sa famille est installée ici et beaucoup de gens le connaissent. Suite à tout ça, il a été choqué lors de sa mise sous mandat de dépôt pour rien d’autre que des articles de presse où il a rapporté des vérités qui effectivement ont eu lieux en cette année 2021.

Nous sommes à la veille du procès du journaliste pour lequel vous êtes constitués, qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur son dossier, que vous avez étudié ?  

Effectivement j’ai étudié le dossier qui est sortie de l’instruction et la problématique c’est qu’il n’y a pas de dossier en vérité !  Autrement dit, il n’y a pas de faits qu’on peut considérer comme faits incriminés par la loi.  

Tout ce qui est cité dans ce dossier est lié à son travail de journaliste où il a couvert des manifestations qui ont eu lieux le 16 et 17 avril 2021 dans cette région.

Vous avez plus de détails sur ce travail journalistique qui l’a conduit en prison ?

Il a fait un article et a interviewé un notable et ex député de la région dans le cadre du nouveau découpage administratif. Les contestations sur lesquelles le journaliste a travaillé étaient exactement contre le décret exécutif du premier ministre concernant ledit découpage.

Il y a eu effectivement des communes qui ont rejeté ce découpage et Karèche n’a fait que rapporter l’information, et a envoyé ses articles à son journal Liberté. Ce dernier a publié les deux articles les 17 et 18 avril 2021, et c’est le journal qui a titré les articles également.  

Les gens qui ont été interviewés par Kareche ont été auditionnés par le juge de l’instruction du tribunal de la même wilaya et ils ont confirmé que le journaliste a rapporté fidèlement leurs déclarations.

Abdelmadjid Tebboune s’est exprimé sur le cas de Rabah Karèche… 

Il y a eu une déclaration du Chef de l’Etat concernant Karèche mais personne n’a le droit d’intervenir dans ce genre de dossier surtout quand l’affaire est en justice.  

Le premier responsable du pays peut impacter la décision des juges, et il faut avouer que nous vivons dans un pays non démocratique et que la justice n’est pas indépendante ni au niveau de la loi ni au niveau de la réalité. L’intervention du premier magistrat dans un dossier qui est en phases de procédures va impacter négativement l’application juste de la loi. Mais nous espérons que les magistrats ne prennent pas ce genre de déclaration de presse et qu’ils appliquent uniquement la loi.

Etes-vous optimiste quant au procès de demain ?  

J’ai essayé de trouver une seule phrase qui peut être qualifiée comme fait incriminé, en vain. Cette injustice me déçoit et cette situation nous laissent penser que les désirs des personnes et des institutions, supplantent la loi et que n’importe quelle personne peut être poursuivie emprisonnée !

Mais je suis optimiste car une application juste de la loi demain signifiera le prononcé de l’acquittement du journaliste.

Nous espèrerons que les juges appliqueront justement la loi demain car sur le plan juridique cette affaire n’est pas fondée et sur le plan politique, ce genre de poursuites désavantagent le pays et ses institutions et provoquent une rupture entre les institutions de l’Etat et le peuple.  

Nous vivons une crise, sanitaire, économique et politique, et c’est la sagesse qui doit prévaloir car ce n’est pas à travers ces poursuites que nous allons résoudre les problèmes du pays. La solution n’est pas de faire taire toutes les voix qui parlent des affaires publiques.