Marseille, ville plurielle - Radio M

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Marseille, ville plurielle

Saïd Merad | 06/03/22 16:03

Marseille, ville plurielle

MarseilleS est un film documentaire qui se déroule à Marseille et sur Marseille. Viviane Candas s’y est installée après le décès de son père en 1967. Fille de Yves Mathieu, avocat du FLN, elle garde le cœur sur les deux rives, et révèle dans ce long documentaire une plongée dans le/les Marseilles, de la libération en 1945, aux élections législatives de 1986 puis 32 ans après en 2018. Plus de 70 ans d’une ville qui a compté près d’un tiers d’émigrés maghrébins et beaucoup de rapatriés d’Algérie après l’indépendance. Le film débute à la fondation du Front National et revient forcement aux racines de la remontée forte de l’extrême droite : « ratonnades » de 1973, discours raciste d’extrême droite, puis l’éveil citoyen de la deuxième génération et marche des beurs de 1983.

Le regard de Viviane Candas éclaire tout le film. Il se déroule en mode remontées : bribes d’histoire, souvenirs et émotions liées à l’histoire de la ville et à celle, plus fugace, de l’autrice. Tout comme il est plus présent dans la transversalité des opinions, activismes politiques qui s’expriment dans les bars et les cafés et dans Radio Galère, libre et communautaire qui se bat contre tous les racismes et toutes les exclusions.

Viviane Candas

A la veille des élections de 1986, Viviane Candas invite un journaliste parisien, André Bercoff à Marseille, ville donnée comme quasi acquise à Le Pen, pour lui faire rencontrer des clients de bars pieds noirs, des activistes anti racistes et surtout Fatima Bendeddouche, fille d’émigrés algériens née à Marseille et figure de cette génération sortie des ghettos. Ce sont trois de ses fils qui, sur le plateau de 2018, évoqueront leurs parcours de français d’origine immigrée et les problèmes de l’émigration qui subit de manière encore plus forte le poids de l’idéologie d’extrême droite devenue dominante et ouvertement raciste.

Les témoignages sont forts, parce qu’ils illustrent très bien toutes les phases « chaudes » de l’histoire de la ville. Celles de la force de la revendication unitaire de la citoyenneté au moment de la grande marche de l’égalité, de l’émergence de la revendication féministe portée par les femmes émigrées qui veulent « être des femmes et avoir des origines », ou encore de la démarche qui a travaillé à briser le plafond de verre qui empêchait les enfants d’émigrés de grimper sur l’échelle sociale. Le film évoque également l’islam et sa perception par les jeunes émigrés, notamment dans une quête pour « être en paix avec soi-même ».

Les enfants de Fatima ont grandi, leurs enfants sont français d’origines algérienne. Eux, ils se sentaient plutôt un peu des deux. Ils sont, disent-ils, « passés de la revendication de la citoyenneté à celle de l’identité ». Viviane Candas, elle, s’interroge : « que sont mes amis devenus ? ». MarseilleS aura sa première projection-débat le 21 mars à Toulouse au cinéma ABC sur l’invitation des Ami-e-s d’Averroès et de l’ANNPPA (Association des Pieds Noirs Progressistes et leurs Amis) pour le 60ème anniversaire des accords d’Evian. 

S. M


Qui est Viviane Candas ?

Viviane Candas, née le 2 novembre 1954 à Paris, est une actrice, scénariste et réalisatrice française. Elle est la fille d’Yves Mathieu. Elle étudie l’art à Aix-en-Provence et le théâtre à Paris puis réalise des films, portraits, documentaires ou expérimentaux, avant sa rencontre avec Paulo Branco qui produit ses premiers longs métrages de fiction. Elle a publié deux romans et touché au théâtre, mais le cinéma reste sa pratique artistique privilégiée. Elle dessine en storyboard ses films et scénarise des vies de peintre (Valadon et Utrillo). On lui doit un moyen-métrage sur la naissance du cubisme (L’Estaque ou Cézanne, la voie de la modernité).

La figure du père, perdu enfant en Algérie, traverse son cinéma. Candas ne filmerait même que l’ombre portée de son absence qu’elle tente de remplir de vie. Cette pulsion anime les jeunes corps en exhibition dans Les Baigneuses et se retrouve mûrie mais toujours ardente dans Suzanne.