Pourquoi ce titre interrogatif ? Parce que, depuis la plus haute Antiquité, Jugurtha a été l’une des rares figures historiques à avoir endossé les deux statuts à la fois : aguellid (roi) et résistant. Aguellid à la tête d’un vaste territoire nord-africain légué par son grand-père Massinissa -la Numidie- et farouche résistant à un impérialisme des plus féroces, romain en l’occurrence.
En fin de compte, le conflit entre Jugurtha et ce dernier nommé ne pouvait déboucher que sur une âpre et longue lutte de l’aguellid-rebelle contre Rome, celle précisément racontée par Salluste dans «La guerre de Jugurtha» («Bellum Jugurthinum» en latin). Et, de nos jours, de par une subtile immersion bibliographique dans le contexte historique et géopolitique de l’époque, analysée avec à propos par l’universitaire Mouanis Bekari, auteur de l’ouvrage ci-présent.
«Il était une fois …une guerre…et un jeune roi-rebelle que d’aucuns, parmi les historiens de tous bords, ont pris, selon une écriture de l’histoire souvent dictée par le vainqueur, tantôt pour le héros téméraire dans ses combats et le meneur d’hommes bien sage dans ses conseils, tantôt pour un personnage tyrannique et qui, dans le fond, ne souhaitait être ni l’un ni l’autre, qui désirait plutôt être le Sage Numide ou le Bon Numide, mais qui finit par se considérer lui-même comme l’Authentique Numide et enfin, plus simplement, comme l’Inusable Numide», serions-nous tenté d’écrire en «post scriptum» dans la quatrième de couverture de cet ouvrage. D’où la lancinante interrogation -reprise à quelque mots près de celle de l’auteur-, interrogation qui, tout en demeurant pendante, sonne déjà comme une réponse informulée : «Et si Jugurtha revenait aujourd’hui ? Plaiderait-il –et par la même, le jugerait-on- non coupable, face aux générations actuelles, d’avoir tout fait pour empêcher le démembrement de la Numidie ? Plaiderait-il aussi -et par la même, le jugerait-on aussi- non coupable d’avoir pratiquement inventé une technique de guérilla qui a inspiré, quelque vingt-deux siècles plus tard, le mouvement algérien de libération nationale et de nombreux autres à travers la planète ? Assurément oui, tant le contexte géopolitique qui prévalait à l’époque et l’actuel présentent, toutes proportions gardées, de très fortes similitudes.
Un roman sur une brillante épopée guerrière donc, où, sur les traces du roi-rebelle baignant dans les convulsions d’un conflit entre deux entités fortement opposées aux plans géostratégique et militaire -la Numidie et Rome- on a parfois le sentiment d’être tout près de «L’enfer des hommes». Sur la couverture du livre, pourtant, nulle trace de la violence spectaculaire des conflits, des javelots pointant sur l’ennemi et des éléphants lancés dans les batailles. Mais dans le contenu, on pourrait, sans contredit, imaginer une toute autre paire de manches…
Un roman réparateur, voire réhabilitant…
Quoiqu’il en soit, l’auteur a choisi d’opérer dans le vif du sujet et ce, à travers une investigation abondamment sertie de notes bibliographiques ; et même plus qu’il n’en faut, d’autant que cette même investigation s’appuie sur une recherche documentaire riche et diversifiée. Pour autant le résultat, pour ne pas dire le récit, sera plutôt romancé, donc d’ordre littéraire et ce n’est pas sans raison : en «donnant», pour ainsi dire, la parole à notre héros, Mouanis Bekari a sans doute eu pour souci de mettre à la portée de n’importe quel lecteur «un récit dans le récit». Et, probablement, a introduit un nouveau doute -qui ne peut être que positif- dans la conscience de ce même lecteur. Autre interrogation de l’auteur demeurée à ce jour tout aussi pendante : et si, eu égard au contexte de l’époque, cette épopée n’était, en raison du déficit à présent ressenti au plan de l’écriture de l’histoire, que l’imagerie testamentaire transposée à raison dans le cadre d’une réalité actuelle tout aussi brûlante ? D’ailleurs Amine Khan, pour sa part, n’a pas manqué de le souligner à travers l’éloquent passage ci-après, extrait de sa préface de l’ouvrage, laquelle, sous cet angle, revêt toute sa signification : «Aujourd’hui, par ce livre, le rappel de Jugurtha à notre mémoire de peuple aux prises avec les défis immenses de notre époque, est plus que bienvenu».
Toujours est-il que le roman de Mouanis Bekari est stylistiquement abouti, riche en détails et anecdotes historiques. Au gré de la lecture on voit bien que, loin de retracer une simple et laconique chronologie des faits, l’auteur s’emploie à ressusciter le passé avec, on en convient, un réalisme on ne peut plus frappant. Dès lors, autant souligner le superbe discernement dont a fait preuve cet auteur dont on ne se lassera pas de lire et apprécier le roman.
Passer un agréable moment de lecture auprès d’un des plus illustres personnages que l’Algérie historique ait enfanté
Cela dit, qu’importe la brillante épopée, hélas inaboutie, de notre héros qui, en raison d’une trahison de son beau-père maure Bocchus, a été livré par celui-ci à son ex «frère d’armes» Marius puis lâchement assassiné au cours de sa détention dans le sinistre Tullianum, dit également prison Mamertine, à Rome. Car ce qui, à notre sens, importe le plus à travers la lecture de ce roman réparateur, voire réhabilitant vingt-deux siècles post mortem, c’est le fait qu’il soit possible de (re)découvrir à présent, grâce à un remarquable travail de reconstitution des faits accompli par Mouanis Bekari, le clairvoyant et nostalgique portrait de ce grand aguellid numide, farouche résistant s’il en est, contre un impérialisme des plus féroces que l’histoire de l’humanité ait donné, à savoir l’impérialisme romain.
Pour tout dire, la lecture de ce roman est d’autant plus attrayante que c’est l’une des raisons pour lesquelles il ne faut pas hésiter à se procurer le livre en question, histoire de passer un agréable moment de lecture estivale auprès d’un des plus illustres personnages que l’Algérie historique ait enfanté. Excellent ouvrage à lire donc, et le plus tôt serait le mieux.
«Le testament de Jugurtha», roman de Mouanis Bekari, Editions GAIA, Alger Février 2022, 148 pages.
Par Kamel Bouslama