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Les journalistes embastillés sous l’ère Tebboune en passe de battre des records

El Kadi Ihsane | 09/09/22 17:09

Les journalistes embastillés sous l’ère Tebboune en passe de battre des records

L’incarcération pour un article sur les exportations de dattes du journaliste d’Echourouk Belkacem Haouam a provoqué un choc. Elle consacre une politique de répression de la presse sans précédent.

La nouvelle de la mise en mandat de dépôt jeudi après midi par un juge d’instruction auprès du tribunal de Hussein Dey du journaliste d’Echourouk, Belkacem Haouam, a tétanisé la communauté des professionnels des médias. Elle fait suite à une plainte du ministre du Commerce, Kamel Rezig, pour un article paru mercredi sur la version papier d’Echourouk et jugé contenant une fausse information au sujet du scandale des exportations de Deglet Nour, la datte d’excellence algérienne.

L’édition du jeudi du  journal Echourouk n’est pas parue.  Cette dramatisation de la répression de l’exercice de la profession de journaliste a d’autant surpris qu’elle survient à la fin d’un été où l’opinion attendait un mouvement inverse dans le sens de l’élargissement des journalistes toujours en détention, et la levée des poursuites pour ceux, nombreux, sous contrôle judiciaire ou empêchés arbitrairement de quitter le territoire national. Abdelmadjid Tebboune s’était, lors de sa dernière interview télévisée, défendu de l’existence de journalistes détenus pour leurs écrits ou leur travail professionnel.  Le cas de l’incarcération, en quasi procédure d’urgence, du journaliste Belkacem Haouam, directement en lien avec une enquête de presse sur les incidences de l’affaire des exportations des dattes algériennes, vient directement contrevenir à la promesse présidentielle. 

L’interdiction de parution du journal Echourouk le jeudi consolide l’idée que la décision de sévir durement contre le journaliste et son média ne s’est pas contentée d’une procédure judiciaire classique, la main d’une injonction sécuritaire et politique étant évidente. Est ce qu’elle implique l’échelle présidentielle ? 

Le travail professionnel criminalisé

Les détentions ou poursuites judiciaires directes à l’initiative du pouvoir exécutif contre des journalistes dans le strict exercice de leur métier ne manquent bien sur pas ces derniers mois pour soutenir le sentiment qu’il s’agit bien d’une politique de répression concertée de l’expression médiatique. Rabah Kareche, correspondant  à Tamanrasset de feu journal Liberté a passé huit mois en prison pour un article rapportant le point de vue de citoyens de la commune de Tazrout au sujet du dernier découpage administratif. Le journaliste Youcef Salami – encore de feu Liberté- a été mis sous contrôle judiciaire en mars 2022 suite à une plainte de Toufik Hakkar,  le PDG de Sonatrach, en guise de démenti pour une déclaration faite dans un entretien enregistré où il affirme que l’Algérie peut livrer des volumes additionnels de gaz à l’Europe, entendu en cas de défection du gaz russe. L’auteur de ce présent article a été condamné en première instance à six mois de prison ferme en juin 2022 par le tribunal de Sidi M’hamed également pour le contenu d’une analyse politique parlant des dissensions dans le Hirak autour du cas Rached, paru en mars 2021.

 En réalité, si le recours à la case prison n’est pas systématique, la menace contre la liberté des journalistes pour leur travail professionnel n’a jamais été aussi pesante depuis l’extinction des assassinats par le terrorisme Djihadiste des années 1990. Said Boudour, journaliste à Radio M a déposé trois plaintes pour des faits de violence et de torture contre lui lors de son arrestation en 2020 à Oran où il est notamment connu pour être l’un des principaux lanceurs d’alerte dans les affaires de la Cocaïne et du trafic d’influence dans la capitale de l’Ouest sous l’ère de Bouteflika.

Vers un triste record

Le recours extrêmement choquant à la détention provisoire en réaction, par l’exécutif, à des contenus journalistiques ne peut  donc plus être évité malgré les assurances présidentielles à ce sujet. L’affaire des lots de Deglet Nour retirés des circuits de distribution à l’étranger pour présence de pesticides nocifs est un champ d’investigation pour tous les journalistes et les médias ayant le souci d’éclairer l’opinion. Belkacem Haouam s’est appuyé sur une source auprès des professionnels de l’exportation de la datte pour donner des éléments situant les responsabilités dans ce qui est devenu un scandale à cause de la dramatisation par la répression. C’est essentiellement une pratique inconvenante de protection de la datte imposée par le ministère de l’agriculture, selon l’article d’Echourouk , qui est évoquée par la source du journaliste aujourd’hui jeté en prison.

Cette crise a t’elle entrainé la décision de suspendre les exportations de la datte pour éviter de nouveaux rejets ? Le ministère du commerce a démenti.  La mise en détention de l’auteur de l’article est un message lourd de sens adressé à tous les professionnels censés travailler sur ce type d’affaires. C’est l’intégrité physique du professionnel du média qui, désormais, est immédiatement en jeu.  Dans un contexte de crise terminale de modèle pour la presse algérienne, les pratiques brutales de la répression précipite le collapse de ce qui reste de l’industrie des médias. L’ère de Abdelmadjid Tebboune est celle ou il y’a le plus  de journalistes mis en détention alors même qu’il n’est en fonction que depuis 32 mois.  Neuf journalistes au moins ont connu la prison sous la présidence de Tebboune depuis fin décembre 2019 : Khaled Drareni, Hassan Bouras, Rabah Kareche,  Merzoug Touati, Mohamed Mouloudj, Said Boudour, Moncef Ait Kaci, Ramdane Rahmouni, Belkacem Haouam, la majorité directement  pour des accusations liées à l’exercice de leur métier comme dans le cas des ex correspondants de France 24  cités ici.

En dehors de Belkacem Haouam incarcéré le jeudi 08 septembre 2022, deux journalistes, Hassan Bouras et Mohamed Mouloudj, sont en détention sous des accusations liées à l’article 87 bis du code pénal  (liens avec des activités subversives ou terroristes) et non par pour des articles ou des contenus médiatiques.  Alger a demandé le report  de la visite du rapporteur spécial des Nations Unis pour la liberté de réunion et d’association prévue le 12 septembre prochain. Il s’agit du 8e report à la demande de l’Algérie. Sur ce cas, c’est l’ère Bouteflika qui conserve le record.