L'attente d'une spectatrice impuissante face aux élections présidentielles françaises. - Radio M

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L’attente d’une spectatrice impuissante face aux élections présidentielles françaises.

Neïla-Romeyssa | 20/04/22 21:04

L’attente d’une spectatrice impuissante face aux élections présidentielles françaises.

Ne pas avoir la possibilité de voter aux élections présidentielles me rappelle à quel point je peux être réduite à mon statut d’étrangère. À l’approche du second tour, les témoignages et éventuels projets de votes et abstentions fusent sur les réseaux sociaux. Certains me réchauffent le cœur tandis que d’autres, dès les premiers mots, me donnent des frissons. La nausée. Ils m’inquiètent autant qu’ils m’écœurent. Je le dis tout haut : j’ai peur. Voici le récit d’une étrangère parmi tant d’autres qui, selon les choix des français, pourrait passer du jour au lendemain d’une position de marginalisée et oubliée à celle d’être sur la ligne de mire d’une extrême-droite violente et dangereuse.

Par Neïla-Romeyssa (*)

Près de six ans sont passés depuis que je suis en France et je me permets enfin de dire que « je me sens chez moi ». Ce chez moi, il se trouve dans un quartier du nord parisien mais ne se limite pas qu’aux quelques mètres carrés dont je suis locataire. Il est bien plus spacieux que ça. Il parcourt quelques rues, escaliers et virages puis s’arrête chez l’épicier, la boulangère, le pharmacien, le café littéraire et même chez des voisins. Quand je quitte ce cocon, je retrouve le Paris de mes premières années en France. Là, je me rends compte que j’ai des souvenirs parsemés dans plusieurs recoins de la ville. C’est dans ces moments que je prends conscience qu’elle ne m’est plus inconnue. Paris m’est désormais familière. C’est ma zone de confort. Un petit eldorado cuisiné à ma sauce. Mais loin de moi l’idée de romancer ma vision des choses. Les grandes galères que je vis au quotidien sont discrètement incluses dans mes précédentes paroles ; je n’oserai jamais le nier. Et finalement, dans toute cette histoire, l’inconnue, c’est moi. Je crois que je suis en train de vivre une énième désillusion. Je la sentais s’approcher à grands pas depuis le début de la campagne électorale et maintenant, elle est bien là. Comme toutes les précédentes, elle entre par effraction dans ma vie et pollue mon esprit ; me faisant bien comprendre qu’ici, malgré mes efforts, je ne suis pas tout à fait à ma place. Je reste, comme beaucoup d’autres, à la marge.

Le dimanche 10 Avril, au premier tour des élections présidentielles, la présence d’un grand soleil dominical ne m’a pas épargné l’angoisse de l’annonce des résultats. Après quelques heures de sommeil, j’ai ouvert les yeux presque en sursaut et ai décidé d’aller faire un tour dans ma rue, histoire de me débarbouiller, d’attendre, voire même d’oublier ce qui se trame dans les bureaux de vote de ce pays dont je fais partie. Au bout de quelques centaines de mètres, j’aperçois justement un bureau de vote et une grande file d’attente que je longe progressivement. Je croise quelques regards et prends conscience que cette file représente la France que j’aime, celle d’une mosaïque ethnique qui coexiste. Une France cosmopolite où chacun se sent légitime de donner sa voix. D’une part, cette scène me rassure. D’une autre, j’ai conscience qu’elle ne représente qu’un faible pourcentage de ce à quoi ressemble réellement le tableau de la France.

Ici, on vit dans une bulle. Je suis entourée d’amis qui pensent comme moi. Sur les réseaux sociaux, je suis des personnes qui ont des combats similaires aux miens. L’algorithme fait en sorte que nous puissions nous retrouver et échanger sur des luttes qui nous tiennent à cœur. Lutter pour les réfugiés, le féminisme, l’environnement, les personnes racisées, la communauté LGBTQIA+, etc. La magie d’Instagram quoi. Mais à quelques jours du second tour, j’ai la gorge nouée en lisant certains retours. Je lis des intentions de vote qui me procurent des palpitations. C’est là que mon impuissance atteint son apogée. Même si pour certains ça ne change rien, l’impossibilité de pouvoir donner mon avis me trouble. Alors, sans dépasser les frontières de mon esprit, je pense secrètement à ceux qui, comme moi, sont marginalisés du débat populaire ; les jeunes étudiants et salariés étrangers qui essaient de subsister comme ils peuvent. Plus encore, je pense aux désocialisés ; les livreurs Uber Eats utilisant le compte d’un autre pour finir par gagner le quart du smic ; les harragas qui croupissent dans les centres de rétention ; les réfugiés Afghans, Syriens ou Érythréens qui ont fui la guerre ; les femmes victimes de violences ayant subi l’exil forcé ; les mineurs isolés, tous à la quête d’une vie moins hasardeuse que celle qui leur a été imposée. Et voilà qu’à quelques jours du second tour, la différence se révèle être bien plus présente qu’on ne le pense.

La France n’est pas mienne comme elle est celle de mes amis. La France n’est pas mienne comme elle est celle des militants, artistes, journalistes et autres personnes publiques que je côtoie et/ou suis sur les réseaux sociaux. Je fais partie du décor, sans faire partie intégrante de la société. Cette sensation de marginalisation – qui je pense, ne se limite pas qu’à une simple impression – est aujourd’hui causée par un amas de situations qui, la plupart du temps, sont anodins pour les citoyens français mais considérables pour beaucoup d’étrangers qui veulent pouvoir participer pleinement à la vie de société.

Chaque année, des dizaines de milliers de personnes immigrées, exilées, réfugiées, migrantes ou demandeuses d’asile courent après une seule chose : un petit bout de papier justifiant leur présence sur le territoire. Moi aussi j’en fais partie, mais contrairement à d’autres, j’ai eu le privilège d’être venue en France avec des droits écrits noir sur blanc, des droits connus de tous. Et pour dire les choses telles qu’elles sont, ce bout de papier dont nous sommes tous en quête constante ne garantit rien de stable. Il a une date de validité et dans une suite logique : une date de fin. Avoir un titre de séjour, c’est être sur un siège éjectable. C’est être mis de côté dans certaines discussions, certains débats, certaines prises de position. Aucun droit n’y est acquis si ce n’est celui d’y résider pendant une, deux, cinq, voire dix années pour les plus “chanceux”. Tout est basé sur l’éphémérité. C’est pourquoi beaucoup d’entre nous évitent de trop s’impliquer et décident de rester détachés de cette réalité politique ; pendant que d’autres – moi en l’occurrence – s’accrochent aux engagements qui leur donnent un soupçon d’espoir, leur faisant croire qu’ils sont dans le même panier quitte à parfois oublier leur statut d’étranger.

Voilà pourquoi je subis une sensation étrange, un peu identique à celle qu’on a quand on voyage avec des camarades européens. En se dirigeant vers la PAF de l’aéroport, une ligne sépare les sections des passeports UE et hors UE, histoire de faciliter l’accès aux uns et mieux contrôler celui des autres. Cette ligne – qui dans le cas des élections est – invisible mais bien présente me fait développer des pensées dont j’ignorais l’existence en 2017. Sans doute parce qu’il était encore trop tôt pour se prononcer, moi qui étais fraîchement arrivée d’Alger. À l’heure où j’écris ce papier, je suis consciente qu’il me manque une “autorisation” ; celle de faire partie d’un collectif. Parce qu’avoir le droit de vote ne se limite pas qu’à déposer l’enveloppe dans l’urne, c’est aussi pouvoir participer aux débats, c’est pouvoir échanger avec celles et ceux qui partagent ou ne partagent pas nos visions, nos convictions, nos appartenances et nos problématiques. C’est ne plus être impuissant et faire partie du changement, à sa petite échelle.

Désarmée, j’angoisse rien qu’en imaginant la sanction que l’on risque de nous infliger. Ça peut paraître absurde, mais cette situation me donne la sensation que nous sommes tels des coupables qui attendent de voir si un pays s’apprête à les laisser mener librement leur vie de “criminels” ou à les jeter dans la fosse aux lions. Le pire c’est qu’entre-temps, je ne me console pas. Je scroll sans cesse et lis des témoignages souvent crispants. Je plonge dans les profondeurs de Twitter jusqu’à m’y noyer, car rien n’est entre mes mains. Je ne suis qu’une étrangère de plus. Une spectatrice de plus qui a tenté d’amonceler quelques pensées sur les choses qui l’affligent.

Dans ce papier, j’ai tenté de résumer, à mon échelle d’immigrée ; mes inquiétudes, mes incapacités, mes peurs et mes appréhensions de la France de demain. Malgré tout l’apprentissage et toute la légitimité acquise, malgré l’implication et l’impossibilité de me voir ailleurs que dans ce pays ; me voilà retournée au point de départ de ma remise en question. Je croyais m‘être frayée un semblant de chemin mais les aléas de la vie sont venues me faire comprendre que tout peut basculer du jour au lendemain ; un lendemain prometteur pour l’extrême droite qui monte en flèche et qui risque de radier beaucoup d’entre nous. Peu importe la classe, la « race », ou les valeurs. Il ne s’agira que de nous en première ligne. Nous, les étrangers.

N-R.

(*) Neïla-Romeyssa est la créatrice de Commun Exil qui, avec plus de 500 témoignages recueillis par la fondatrice sur la plateforme Instagram, est à la fois un podcast, un journal collaboratif, ainsi qu’un projet qui a pour but d’archiver et de travailler sur les émotions de l’exil par le biais de la prise de parole / du témoignage, en compagnie de spécialistes et des princip·aux·ales concerné·e·s.