Je lis, donc je suis… - Radio M

Radio M

Je lis, donc je suis…

Radio M | 09/08/22 16:08

Je lis, donc je suis…

«Je lis, donc je suis». Cette citation inspirée de «Je pense, donc je suis», elle-même extraite du «Discours de la méthode» du philosophe  René Descartes, cette citation donc, prend tout son sens dès lors qu’il s’agit de cogiter sur la certitude de l’existence de chacun(e) d’entre nous en tant que lecteur ou lectrice.

Mais, sans devoir aller trop loin, notre propos ici consiste à simplement intégrer l’idée qu’on peut, tout au long de notre existence, se conforter l’esprit en lisant. Et, par la même, en se persuadant que la lecture est un plus avéré pour quiconque s’y remet sans hésitation. Et davantage, s’il s’y met dès son plus jeune âge. Cela dit, il est indéniable que quand on lit, les frontières s’abolissent et les esprits s’ouvrent davantage aux flux  multidimensionnels, notamment ceux émanant du monde extérieur. Ce qui, en retour, permet non seulement des échanges ultérieurs mutuellement bénéfiques, mais aussi de relativiser quelque peu les choses de la vie qui constituent le quotidien de chacun d’entre nous. Et, pourrait même, pourquoi pas, nous amener, par comparaison avec ce monde extérieur, à adopter, un regard un tant soi peu critique sur nous-mêmes ; et, dans une certaine mesure, sur autrui.

Or, de l’acte de lire à la critique, en l’occurrence littéraire, il n’y a souvent qu’un pas à franchir tant chaque critique est singulière en soi, et tant les critères d’analyse sont fluctuants selon les grilles de lecture en vigueur ici et là. Mais avant tout il y a un dénominateur commun en même temps qu’une règle simple : l’assiduité de la lecture. Ici nous vous suggérons un cheminement fictif, mais basé sur des faits réels, d’un accroc de lecture devenu, par la force des choses, un tantinet «critique littéraire».

Ainsi cela commence toujours par l’acte de lire d’abord. On lit donc, peu ou prou, comme de bien entendu. C’est le temps long de la vie, quelque chose qui se lie aux hasards  -résistance ou bonheur-  de l’enfance : des bibliothèques de famille ou, à l’inverse, des couloirs vides, et les listes que l’on se fait alors, pour ou contre l’école, des strates, des pages, des pages… Tout est possible, les matins durent, la fatigue s’oublie vite, la pile des romans semble sans fin.

On grandit malgré tout : on a vingt ans, on est un tantinet «snob». C’est l’âge de lire Assia Djebar après -ou avant- Mohammed Dib, Rachid Boudjedra et Mourad Bourboune après -ou avant-  Mouloud Feraoun et Mouloud Mammeri, Marcel Proust après -ou avant- Victor Hugo. C’est le temps des études, bientôt, les vraies. On lit encore les classiques, de plus en plus les journaux, les suppléments dits «littéraires» ou tout au moins «culturels» ; et puis on se retrouve à trainer dans les librairies, chez les soldeurs, les bouquinistes. On a ses adresses, on se fait des amis. Il faut bien qu’un jour les études finissent, nous y sommes…Enfin ?

Pas encore. Entretemps on lit, bien sûr. Mais avec une tout autre curiosité que celle de la prime jeunesse, de l’adolescence pour ainsi dire ; c’est comme une autre étape : voyons donc ce qui se donne sur les étals, les livres frais, les bonnes surprises, nos contemporains ; et, pourquoi pas, les oubliés. L’actualité des librairies finit par rejoindre le passé des bibliothèques, avant qu’on ne se mette, forcément par hasard, à écrire soi-même dans les journaux. C’est ainsi que l’on devient un tantinet «critique littéraire», ou quelque chose de ressemblant, sans que l’on sache très bien quoi faire de cette drôle d’identité, ou plutôt de ce drôle de statut.

Alors, on continue de lire, tout simplement. Et le temps se transforme à nouveau : c’est maintenant l’urgence hebdomadaire des nouveautés, l’abondance des programmes de publications, les sollicitations des services de presse, le rituel des rentrées et salons  pléthoriques…D’autres listes, en somme, même si, dans le fond, peu de choses ont réellement changé.

Pour lire, on a besoin de livres…

Cela nous amène à concevoir, ou tout simplement à admettre, à postériori, que la pratique de la critique, particulièrement littéraire, ne vaut évidemment que si elle est expérience de la fidélité à l’acte de lire. Fidélité mise à l’épreuve d’une praxis quotidienne, d’une mémoire lente, nourrie de lectures parfois très anciennes, et même de souvenirs gamins. C’est une banalité somme toute bonne à rappeler, vraie pour les auteurs, les éditeurs, les collections : si le critique littéraire, avant tout lecteur de son état, a des goûts, c’est qu’il n’a pas oublié ses enthousiasmes passés, ni ses dégoûts d’autrefois. Il connait les familles, les couvertures cousines, il a passé tant d’heures devant des rayonnages, et sa jeunesse à parler des livres qu’il aimait. Il sait deviner dans le désir ou la maquette d’une jeune maison le fantôme de«Nedjma» de Kateb Yacine, les empreintes de «L’élève et la leçon» de Malek Haddad…S’il attend tout excité la surprise d’un livre inconnu, c’est toujours, et presque malgré lui, sur le paysage de sa propre bibliothèque qu’il le voit, lorsqu’il surgit enfin, se découper : où va-t-il le ranger ? Sa bibliothèque est sa boussole : sans elle, il se perdrait dans un vide…sans fonds…

Et pourtant on continue toujours de lire, malgré tout : ce n’est pas exactement un métier, il n’y a là ni truc, ni technique. C’est seulement, il faut le redire, une affaire de temps. Et de patience, plus que d’urgence, pour que les rencontres se fassent : s’il existe des réseaux, ils vont des livres aux êtres, jamais l’inverse. Parfois le temps long des lectures d’antan se précipite dans le présent de l’actualité : c’est le bonheur, par exemple, de pouvoir consacrer enfin un article à un livre -«Vent du sud»- de Benhaddouga, écrivain incroyablement négligé hier, et même aujourd’hui, auteur dont on s’était procuré de longue date, souvent avec difficulté,  tous les textes traduits en français et cela, bien avant de savoir qu’un jour on le «rencontrerait»…

D’autres fois le temps s’affole aussi, sans repère, et la seule indication qu’on ait vient alors de la maison d’édition : quand Tahar Ouettar déboule sur la scène littéraire durant les années 1970, avec trois livres traduits d’un coup  -«L’As», «Noces de mulet» et «Ez Zilzel»-  on est comme surpris, on ne sait pas trop bien d’où il sort ; mais on veut être le premier à en parler, et l’on comprend pourquoi l’éditeur  nous l’a recommandé. Il y a là comme une relation de confiance, une histoire peut-être d’affinités.

Mouloud Feraoun, Abdelhamid Benhaddouga, Yasmina Khadra, Kamel Daoud et tant d’autres… : au moins quatre exemples vocaliques et peut-être arbitraires, mais qui peuvent servir à dire combien chaque critique est singulière, et à supposer  -en le répétant-  qu’il n’existe ni système, ni critère sûr, mais une règle simple : la lecture. Ce qui signifie la possibilité d’aller aux textes, d’avoir accès à un fonds d’ouvrages, de voir survivre l’idée même d’un catalogue de titres…C’est, encore une fois, une évidence : on lit, donc on est. Mais pour lire, on a besoin d’un oxygène que le commun des lecteurs appelle…«le livre». Et là, c’est tout dire…

Kamel Bouslama