Guerre d'Algérie: Emmanuel Macron veut faire "comme Jacques Chirac sur la Shoah" - Radio M

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Guerre d’Algérie: Emmanuel Macron veut faire “comme Jacques Chirac sur la Shoah”

Ghada Hamrouche | 25/01/20 11:01

Guerre d’Algérie: Emmanuel Macron veut faire “comme Jacques Chirac sur la Shoah”

Le président français Emmanuel Macron a déclaré, dans une interview au journal français de droite Le Figaro, parue vendredi 24 janvier, qu’il n’y a pas eu un travail politique mémoriel à propos de « la guerre d’Algérie ». « Je suis très lucide sur les défis que j’ai devant moi d’un point de vue mémoriel et qui sont politiques. La guerre d’Algérie, sans doute, est le plus dramatique d’entre eux », a-t-il soutenu de retour d’un voyage en Israël où il a participé à la commémoration de la libération du camp de concentration d’Auschwitz. Macron a confié vouloir donner à « la guerre d’Algérie », « à peu près le même statut que celui qu’avait la Shoah pour Chirac en 1995 ». L’ancien président français Jacques Chirac avait reconnu la responsabilité de la France dans la déportation des juifs vers les camps nazis durant la seconde guerre mondiale lors de la grande rafle de juillet 1942. Macron n’a pas précisé comment l’Etat français compte reconnaître sa responsabilité dans les crimes coloniaux commis durant 132 ans d’occupation de l’Algérie. Pour lui, le travail de mémoire est « complexe ». « On n’en a pas parlé, on a écrasé (…) Il n’y a pas un travail politique mémoriel (…) On a jamais fait ce travail, aussi, parce que le problème c’est que la contrepartie n’est pas là », a-t-il dit sans autre précision. Quelle contrepartie? Les algériens doivent-ils s’expliquer sur la lutte contre l’occupation française? Est-il possible de mettre sur le même pied d’égalité puissance occupante et armée de libération nationale? Macron reprend l’ancienne « idée » de « conflit de mémoires ». En février 2017, lors d’une visite à Alger en tant que candidat à l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité » et de « vraie barbarie ». Des déclarations inédites qui avaient suscité la controverse en France où un courant puissant de la droite refuse toute idée de reconnaissance des crimes coloniaux et de réparations évoquées sous le terme médiatique d’inspiration chrétienne de « Repentance ». Macron a confié aux journalistes du Figaro qu’il ne regrette pas ces déclarations, non suivies d’actes concrets, mis à part la reconnaissance de l’Etat français dans la mort, en 1957 en Algérie, du militant anticolonialiste français Maurice Audin.

« Un traumatisme dans l’histoire d’Etat »

« J’ai crispé des gens. Je pense que je les ai ramené, maintenant, dans une capacité à dialoguer », a soutenu Macron à propos de ces déclarations faites à Alger disant n’avoir pas encore de réponse au « conflit mémoriel ». « Il y a une histoire officielle de la relation à l’Algérie. Il y a une histoire d’Etat(…) C’est une histoire très particulière, d’ailleurs qui a toujours été au cœur d’ne histoire militaire héroïque. C’est ensuite un dialogue très particulier avec l’Algérie. Et, ensuite, c’est un traumatisme dans l’histoire d’Etat. Je veux dire :la guerre d’Algérie, c’est ce qui fait la Vème (République). Et donc c’est, dans la vie institutionnelle, politique, militaire française, quelque chose qui pèse », a souligné le président français qui lors, d’un discours prononcé à Ouagadougou, a évoqué « les crimes de la colonisation européenne » de l’Afrique. A l’époque, il s’est engagé à restituer aux pays africains les œuvres d’art pillées lors de l’occupation française. Les nouvelles déclarations d’Emmanuel Macron sur « la guerre d’Algérie » sont vite suivies de réactions. L’essayiste Jean Sévillia a qualifié d’obscène « la comparaison » entre « la guerre d’Algérie » et « la Shoah ». Le Figaro a, lui, publié sur son site un sondage avec cette question : « Emmanuel Macron doit-il prononcer un discours de repentance sur la guerre d’Algérie »? ». La réponse est massivement « Non ».

« Il y a un saut à faire »

Plus nuancé, l’Historien Benjamin Stora a, dans une interview au Parisien, rappelé que ces dernières années des « choses ont été faites » à propos de la reconnaissance des « méfaits de la colonisation «  « D‘abord sous la présidence de Jacques Chirac, quand les ambassadeurs de France, en 2005 puis en 2008, ont reconnu les massacres de Sétif en 1945. Ou en 2007 par Nicolas Sarkozy lorsqu’il a remis le plan des mines posées par la France aux frontières de l’Algérie. Puis par François Hollande avec la reconnaissance de la répression sanglante du 17 octobre 1961 à Paris. Ne nions pas ce qui a été déjà réalisé, des pas ont été faits, même si ce sont des petits pas. Mais clairement, il y a un saut à faire, ce que semble vouloir faire Emmanuel Macron pour qui la réconciliation des mémoires semble être un enjeu primordial », a-t-il précisé. Côté algérien, plusieurs dossiers restent en suspens en relations avec la guerre de libération nationale comme la restitution des archives, l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français du sud algérien, les disparus de la guerre, etc. En octobre 2019, Tayeb Zitouni, ministre des Moudjahidine, a déclaré que la France est tenue de reconnaître ses crimes en Algérie. Il a accusé Paris de « bloquer » les dossiers litigieux relatifs à la mémoire. « La France quoi qu’elle fasse pour retarder les choses demeurera tenue de présenter des excuses officielles, de reconnaître ses crimes et d’indemniser les Algériens. Il faut désormais réfléchir à d’autres méthodes, dépasser celle de la diplomatie et des groupes mixtes », a annoncé Tayeb Zitouni.