Face à "l'aveuglement du pouvoir", la situation des droits de l'homme inquiète - Radio M

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Face à “l’aveuglement du pouvoir”, la situation des droits de l’homme inquiète

Radio M | 09/06/21 12:06

Face à “l’aveuglement du pouvoir”, la situation des droits de l’homme inquiète

La situation des droits de l’homme en Algérie se dégrade et le pouvoir continue d’empêcher les manifestations pacifiques du Hirak, emprisonne des citoyens et engage des poursuites judiciaires contre des activistes qui n’ont fait qu’exprimer leur opinion.

En effet, récemment, le militant des droits des détenus, Zakarya Hennache, qui rassemble les statistiques sur les détenus d’opinions, a donné des chiffres qui font froid dans le dos. « Depuis le début du Hirak, nous avons recensé plus de 500 personnes placées sous mandat de dépôt, dont 11 femmes. Plus de 1800 personnes sont poursuivis en justice dans 600 dossier d’accusations répartis sur 47 wilayas depuis le début du hirak », a-t-il publié sur sa page Facebook. Une situation qui n’a pas été enregistrée depuis le printemps noir en 2001. La ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), parle d’ « une répression généralisée » et d’instrumentalisation de la justice. Me Mostefa Bouchachi a exprimé ses inquiétudes hier lors d’une conférence de presse au siège du MDS. «Depuis que j’exerce comme avocat, je n’ai jamais constaté autant de cas d’atteinte aux droits et des libertés, contraires à la Constitution. Nous enregistrons une répression sans précédent du hirak. On est arrivé à un point où l’on arrête arbitrairement des gens en pleine rue», s’est-t- alarmé.

Les arrestations, les poursuites judiciaires, les violations de la loi, les déclarations des officiels concernant les dossiers des détenus brisant ainsi le « secret de l’instruction » et parfois « la présomption d’innocence » ainsi que les demandes de dissolution des partis et des associations en actionnant la justice administrative par le ministère de l’intérieur, sont devenus une pratique quotidienne depuis que les autorités ont décidé d’en finir avec le hirak.

Journalistes, avocats, professeurs d’université, hommes, femmes, citoyen ordinaire…..sont ciblés par cette « tournure sécuritaire ». Ils sont souvent accusés d’avoir exprimé leur avis contraire à l’agenda des autorités, de vouloir manifester pacifiquement contre le système ou d’avoir écrit des textes hostiles au pouvoir sur les réseaux sociaux.  « La criminalisation de l’exercice politique » se banalise à l’approche d’une échéance électorale sensée être « importante », du moins pour le chef de l’Etat.

De Khaled Drareni à Karèche, Tebboune « condamne » les journalistes avant la justice   

Lors de son interview accordée la semaine dernière au magazine français « Le Point », Tebboune avait qualifié de « pyromane » la journaliste Rabah Karèche, en détention provisoire suite à des articles publiés dans le quotidien Liberté, alors que son audience n’a même pas encore eu lieu. Une attitude qui rappelle celle contre Khaled Drareni quand il l’a accusé d’« espionnage » en septembre 2020 devant la presse nationale avant la tenue de son procès. 

Contacté par Radio M, l’avocat Abdelghani Badi a expliqué qu’il s’agit d’une « énième violation de la constitution et des textes internationaux en matière des droits de l’homme ». Ces textes, ajoute-t-il, « insistent sur le droit à la présomption d’innocence comme une garantie d’un procès équitable ». “Dans plusieurs affaires encore en justice, les déclarations de la part de l’exécutif se multiplient. Il s’agit d’une forme de pression sur l’institution judicaire. C’est une situation grave et inquiétante”, s’est-il indigné.

La nouvelle constitution promulguée par le chef de l’Etat à la fin de 2020 interdit formellement l’incarcération des journalistes lorsqu’il s’agit des affaires liées à l’exercice de leur métier. Et pourtant, Rabah Karèche est en prison pour des articles de presse. La question des journalistes, dans le même entretien, avait mentionné cet article de la constitution, mais Tebboune assume « la violation de ce texte de la loi fondamentale du pays » et répond en l’accusant « de jouer au pyromane sur un sujet sensible ».

Des militants accusés de terrorisme    

La justice ne se contente plus des poursuites judiciaires basées sur les articles relatifs à « l’attroupent », « l’atteinte à la personne du président de la république » ou « atteinte à la sécurité nationale », elle charge désormais les activistes en les accusant de « terrorisme ».  « Ces dernières semaines ont été marquées par une aggravation sans précédent de la répression contre des citoyens engagés dans le Hirak : journalistes, étudiants et défenseurs des droits de l’Homme en sont les principales cibles. Les tribunaux et les prisons sont utilisés comme des instruments contre l’action citoyenne et contre toute pensée critique. Des militants des droits humains, au parcours connu et respecté, sont ainsi poursuivis pour des accusations criminelles. C’est une évolution gravissime », a alerté Me Benissad dans un communiqué de la LADDH.

« Kaddour Chouicha, Djamila Loukil, Said Boudour, Kirra Mustapha et tant d’autres, ne sont pas des terroristes ! », a dénoncé l’avocat des droits de l’Homme et président de la LADDH.

Pour rappel, depuis le communiqué du haut conseil de sécurité qualifiant le MAK et Rachad d’organisations terroristes, plusieurs activistes sont poursuivis en justice pour des faits liées au « terrorisme », une chose que les organisations des droits de l’homme réfutent catégoriquement. Même l’avocat et membre du collectif de la défense des détenus, Me Arslane Abderraouf, est poursuivi pour appartenance à une organisation terroriste et a été placé sous mandat dépôt. Une affaire qui a provoqué « un tollé » dans la corporation des avocats optant ainsi pour « le boycott des audiences » sur tout le territoire national le 7 juin dernier.

La situation des droits et des libertés prend un tournant « gravissime » et risque de voir l’espoir d’une ouverture démocratique brisé. A la veille d’une élection législative, qui se veut une autre étape de stabilisation du système politique, fortement ébranlé par le hirak, cette vague de « répression » ne semble pas s’inscrire dans le court terme d’autant plus que des élections locales sont annoncées pour le quatrième trimestre de 2021.

Mokhtar Minasri