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Des avocats dans le collimateur du bâtonnat

Rédaction | 25/07/20 18:07

Des avocats dans le collimateur du bâtonnat

Depuis le début du Hirak, beaucoup d’avocats s’étaient résolument rangés du côté de ce mouvement populaire et pacifique de contestation. De par leur métier, leur serment et leur engagement à servir la justice et le droit, il ne pouvait pas en être autrement. Non plus, d’ailleurs, quand il y eut les premières interpellations de hirakistes au lendemain du du discours du 19 juin de Gaïd Salah qui faisait désormais de chaque porteur de drapeau amazigh un dangereux sécessionniste, ennemi de l’unité nationale. Là encore, les avocats étaient aux premières loges, pour défendre gracieusement, les enfants du Hirak.

Et cela n’a pas cessé depuis. D’Alger à Timimoun, d’Annaba à Oran et jusqu’à Tlemcen, en passant par Béjaïa et Tizi, ils ont répondu présents ! Ténors du barreau ou jeunes loups, ils se sont retrouvés à défendre les victimes d’un système qui tente, avec dénégation, de se perpétuer en bridant la parole et les espaces de libertés. En emprisonnant les hommes libres.

Mais voilà qu’aujourd’hui, certains d’entre-eux sont, à l’image des activistes du Hirak, victimes, à leur tour, de harcèlements et d’intimidations, voire de mesures disciplinaires de la part de leurs bâtonnats respectifs.

Rééditant les mêmes pratiques d’un système auquel ils sont inféodés, ils profitent de cette situation de confinement et de l’aubaine que leur a offert le covid, en prolongeant leurs mandats jusqu’en septembre ou octobre, – alors que les élections de renouvellement des conseils de l’ordre devaient avoir lieu au mois de mars dernier – ils instruisent un peu partout des procédures disciplinaires à l’encontre de jeunes avocats proches du Hirak.

« Maître, veuillez vous expliquer sur votre publication Facebook…»

Les griefs retenus ont le plus souvent trait soit, à une publication facebook, texte ou vidéo, soit à des positions dénonçant l’attitude et les comportements du bâtonnat.

« Beaucoup d’avocats qui vont comparaître devant le conseil de discipline, ne le seront pas pour des fautes professionnelles, mais pour des publications Facebook », témoigne un avocat sous couvert d’anonymat.

Des avocats évoque l’existence de ce qu’ils ont appelé une commission « Gestapo », en charge de la surveillance des comptes et des pages facebook des avocats. « Soyez sûrs, continue notre avocat, que si vous publiez un post qui déplaît au bâtonnier, vous recevrez le lendemain une demande vous sommant de vous expliquer sur le contenu de votre publication…»

A Sétif, pas moins de 35 avocats sont attendus devant le conseil de discipline de leur bâtonnat pour avoir publiquement dénoncé les agissements de leur bâtonnier. Et qui sont les membres du conseil de discipline? Des membres du conseil. Juges et partie. Avec en prime, un règlement intérieur qui n’a pas évolué depuis l’indépendance. Un règlement qui impose, par exemple, que les questions lors des assemblées générales soient posées… 15 jours avant ! Un règlement qui ne permet pas en AG de contredire les propos du bâtonnier s’il vous ordonnait de vous taire et qui peut vous valoir un passage en conseil de discipline…

Cette campagne contre les jeunes avocats du Hirak n’est pas l’apanage du seul bâtonnat de Sétif, mais un peu partout sur l’ensemble du territoire national, on retrouve les mêmes procédés, les mêmes accusations. Tizi, Médéa, Tlemcen, Constantine…

Selon un avocat, pour que cela ne soit pas trop visible, les cas disciplinaires du hirak sont traités dans la foulée de vrais cas relevant de la faute professionnelle. « Il veulent casser cette dynamique née au lendemain de du Hirak et surtout briser ce dernier rempart contre l’arbitraire que constituent les avocats de la défense.»

C’est peut-être le moment pour le Hirak de leur exprimer un soutien dont ils ont incontestablement besoin aujourd’hui. Plus que jamais, l’hommage rendu aux avocats lors des procès mémorables de détenus d’opinion et du Hirak, devra continuer à résonner longuement et durablement : « Les avocats bravo alikoum ! Wel Djazaïr teftakher bikoum » (Bravo les avocats, l’Algérie est fière de vous !).