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Crise politique : la grande impasse

Radio M | 27/09/22 17:09

Crise politique : la grande impasse

Par Meziane Isli

Près de trois ans après son accession à la magistrature suprême, Abdelmadjid Tebboune fait toujours l’impasse sur la crise politique profonde qui secoue le pays.

Devant les walis réunis samedi à Alger, Abdelmadjid Tebboune a de nouveau passé sous silence tous les sujets qui fâchent, ceux qui essentiellement préoccupent une large partie de l’opinion, certains organismes internationaux et certains partenaires étrangers du pays. Ni la situation des détenus d’opinion dont près de 300 croupissent en prison et pour une bonne partie en attente de procès, ni la fermeture du champ politico-médiatique, ni l’hémorragie des départs des étudiants, encore moins la « harga », phénomène en nette recrudescence et marqueur d’un profond malaise social, ne semblent constituer pour l’heure une priorité pour Abdelmadjid Tebboune. Comme souvent en pareille circonstance, il a préféré focaliser sur l’inventaire de ses « réalisations », les actions entreprises ou projetées, particulièrement sur le volet socio-économique, comme ces annonces de la hausse à compter du début de l’année prochaine des salaires des enseignants, des paramédicaux, de l’allocation chômage et des pensions. A peine s’est-il réjoui, malgré le rejet populaire massif, de l’élection des assemblées populaires et de l’action diplomatique de l’exécutif. Mais à aucun moment, il n’a jugé utile d’évoquer la crise politique et les questions relatives aux libertés soulevées par le mouvement populaire et dont l’impératif règlement pourtant détermine dans une large mesure toute entreprise de redressement du pays, le rétablissement de la confiance fortement érodée entre le pouvoir et ses administrés et la relance économique. 

Déni, fuite en avant ou rencontre de résistances ? Après une offre de « main tendue » au Hirak, vite abandonnée, et quelques consultations avec des acteurs politiques sans agenda clair, ni objectifs, au tout début de son règne, Abdelmadjid Tebboune a fini au fil des mois par éviter toute évocation de la crise politique. Pas même la moindre allusion. Par conviction, marge d’action réduite en raison des conditions ayant entouré son arrivée au palais d’El Mouradia ou faute de volonté politique, il considère que la crise est d’essence économique. Comprendre : les millions d’algériens descendus dans la rue deux ans durant l’ont fait non pas pour réclamer un changement profond des paradigmes de gouvernance, le changement de système, le respect des libertés et une répartition équitable des richesses pour une vie digne, mais pour des considérations socio-économiques.

« La crise est économique et financière », a-t-il martelé peu après l’installation du Gouvernement Djerrad. Lorsqu’il arrive aux journalistes qu’ils rencontrent l’interpellent sur la question des détenus d’opinion ou des journalistes emprisonnés, Abdelmadjid Tebboune botte toujours en touche quand il ne se hasarde pas à stigmatiser ceux qui, à ses yeux, participent à entraver son action en criant au complot. Il faut rappeler dans ce contexte qu’il a ordonné plusieurs enquêtes mais dont on ignore à ce jour les résultats. « Après le parachèvement de l’édifice constitutionnel et institutionnel, 2022 sera exclusivement consacrée à l’économie (….) », a-t-il encore soutenu lors de l’ouverture de la conférence nationale sur la relance industrielle à l’automne 2021. Cette approche et cette orientation, accompagnée par un raidissement du pouvoir à travers un arsenal juridique contraignant et la traque de toutes les voix critiques a fini par installer le pays dans l’immobilisme et réduit l’opposition à une activité quasi-clandestine. Aujourd’hui, même ceux qui parmi ses interlocuteurs lui ont prêté l’intention d’engager de sérieuses réformes ne dissimulent pas leur scepticisme.

« La vie politique du pays semble paralysée et le musellement implicite de toute parole critique renforce le sentiment d’une fermeture politique incompréhensible et à terme dangereuse », a déploré récemment Jil Jadid. « Il ne peut y avoir de mobilisation nationale sans confiance populaire et dans ce cadre, un autoritarisme injustifié va à contresens de la volonté affichée par le Président de la République », estime-t-il.  Pour sa part, le FFS regrette que les autorités n’aient pas prises ses mises en gardes répétées. « Comment dès lors croire que notre pays est sur la voie du changement alors que le pays vit un statu quo politique, une stagnation économique et une régression des libertés individuelles et collectives à travers des dispositifs juridiques contraires à l’Etat de droit ? », s’interroge-t-il. Et malgré ces inquiétudes et les enjeux géopolitiques qui commandent une adhésion populaire, rien n’indique pour l’heure que le régime d’Abdelmadjid Tebboune est disposé à faire quelques gestes allant dans le sens d’une ouverture politique.

 Le récent emprisonnement du journaliste Belkacem Houam est à ce titre édifiant du choix politique d’un régime visiblement en manque d’imagination, de vision et non encore remis du séisme populaire de 2019. Le refus d’aborder la crise politique et d’ignorer ses divers aspects relèvent-ils d’un choix délibéré de Tebboune et de son entourage ? Au-delà des considérations qui peuvent justifier sa démarche, celle-ci ne peut être déconnectée de la logique du système réfractaire à toute idée de changement. Un système préoccupé par sa survie et qui a fait le choix de tourner le dos aux aspirations populaires, aidé en cela, il est vrai, par des facteurs endogènes et par une conjoncture internationale favorable. Et c’est probablement ce qui explique la valse des changements et des purges qui n’en finissent pas depuis 2019. Une situation dont nul ne peut prédire l’évolution. En attendant une hypothétique ouverture, un vague sentiment de désenchantement a gagné des pans entiers de la population sur fond d’un marasme économique et social.