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Ces Algériens à « la conscience renversée » nostalgiques de Donald Trump

Radio M | 15/11/20 08:11

Ces Algériens à « la conscience renversée » nostalgiques de Donald Trump

Par El Kadi Ihsane

L’élection américaine a montré qu’ils étaient nombreux sur les réseaux sociaux. Qu’est ce qui pousse un Algérien à préférer Trump aux démocrates à la tête des US ?

Il existe finalement plusieurs sortes d’Algériens qui trouvent que la défaite électorale de Donald Trump n’est pas un soulagement pour le monde, et pas une bonne nouvelle pour leur pays. Éliminons d’abord ceux qui ne se sont jamais mis à jour et qui considèrent depuis Lyndon Johnson et Richard Nixon que démocrates et républicains, c’est exactement pareille pour les intérêts des pays du tiers monde et donc de l’Algérie. Ils sont souvent de bonne foi. Mais un peu trop obtus pour regarder le nouveau monde tel qu’il est. Mettons également de coté les Algériens islamophobes pour qui Trump est le bras céleste inespéré de la lutte contre les musulmans de tout poil. Ils sont marginaux et pensent naïvement échapper à la détestation suprématiste blanche de tout ce qui est basané. Les pro-Trump en Algérie m’interpellent car leur plus  gros lot ne fait partie ni de la première ni de la seconde catégorie. Il s’agit d’une catégorie parmi les élites Algériennes, ni éduquée dans l’idéologie anti-impérialiste des seniors, ni nécessairement élevé dans le « complotisme » si prospère ces dernières années sur les réseaux sociaux.  Des nouvelles élites qui pensent être intellectuellement autonomes, qui ne se considèrent pas comme de nouveaux blancs solidaires avec les blancs,  mais qui reproduisent à large échelle un prêt à penser désincarné de leur situation de citoyen algérien.     

Belliciste contrarié

Les deux critères d’évaluation les plus fréquents pour vanter les « mérites » de Donald Trump chez les Algériens qui défendent son bilan sont la caricature propre du prêt à penser numérique.  Il a tué moins d’étrangers dans le monde que les présidents démocrates. Il a créé plus d’emplois pour son peuple,  y compris pour les noirs qu’il est supposé détester. Il s’agit bien sur d’une erreur de parallaxe. Le désengagement des Etats Unis des théâtres opérationnels dans le monde a été entamé et conduit par l’administration Obama depuis 2009, en Irak, en Afghanistan, consolidé par le refus à l’autonome 2012 de s’engager en Syrie – au grand damne de François Hollande comme il s’en confesse dans son livre « un président ne devrait pas parler ainsi » – Donald Trump a simplement chevauché un consensus de l’Etat profond américain contraint au désengagement dans le monde à cause d’un déficit budgétaire devenu dangereux pour la dette publique à la fin des années Bush junior (républicain) et ses guerres en Afghanistan puis en Irak.  L’administration Obama est responsable de plus de morts  dans le monde, simplement parce qu’elle finissait des guerres engagée par ces prédécesseurs, y compris au Yemen ou le bilan des assassinats par Drone est particulièrement scandaleux. L’isolationnisme de Trump est relatif. Il a bien pris le risque d’un conflit ouvert avec l’Iran après l’assassinat du général Souleimani en Irak, et a conduit, plus d’une fois, des représailles dévastatrices contre le régime de Damas. De même sur le front économique, il a prolongé un cycle de croissance engagé par son prédécesseur, bien aidé il est vrai par la FED – banque centrale US- soutenant l’activité à coups de taux d’intérêt très bas, et de politique de rachats d’actifs sans précédent.  Pour les guerres à l’étranger comme pour l’économie, Trump a trouvé un consensus d’après crise des subprimes qui exigeait moins de dépenses militaires et plus de financement monétaire de l’activité. Il y a ajouté  ses cadeaux fiscaux aux entreprises – baisse du taux de prélèvement de 9 points – promesse électorale tenue, qui explique la poursuite de  la bonne tenue de l’emploi. Mais qui  – avec 1500 milliards de dollars de recettes perdues pour le trésor – a fait repartir les déficits publics vers à la hausse après huit années consécutives de leur baisse (rapportée au PIB) sous l’administration Obama. Avant le plan anti-Covid de 2020, la dette publique avait – record historique encore battu depuis-  dépassé les 90% du PIB sous Donald Trump.  Le « pacifiste » dans le monde et le « bienfaiteur » de son peuple (qui lui n’a finalement pas été reconnaissant),  sont des lieux communs fréquentés par les swings-publics aux lectures furtives. Cambridge Analytica n’a pas opéré cette fois pour faire gagner Trump via Facebook (enquête russe suspendue par le FBI remanié) . Le gisement public pour les modèles d’influence de Cambridge Analytica, lui, est inépuisable, dans le monde et en Algérie.

Guerrier global

Donald Trump est encore soutenu par 70 millions d’américains. Il a fait passé le déficit du budget au montant effroyable de 1000 milliards de dollars (prévision 2020)  pour être réélu. Cela n’a pas suffit. Pour la planète c’est le pire président des Etats Unis d’Amérique. Dans un monde global, devenu trop complexe car très interconnecté, il a incarné une menace intégrale sur l’ensemble des nouveaux risques planétaires. Ceux qui l’ont exempté des guerres classiques (vieux monde) qu’il n’a pas engagé, ont ils eu l’opportunité d’évaluer les guerres systémiques qu’il a déclenché (nouveau monde) ? Trump a retiré le premier émetteur mondial de gaz à effets de serre de l’accord Climat de Paris. Déclaration de guerre à l’humanité entière. Les victimes du réchauffement climatique, par remontée des océans, sécheresses et cataclysmes liées à l’entropie climatique surpasseront toutes les victimes de toutes les guerres classiques les prochaines décennies. Trump a suspendu la dotation de son pays à l’OMS, sous prétexte qu’elle était sous influence chinoise. La également, il s’agit d’un acte de guerre. L’affaiblissement de la lutte mutualisée contre les pandémies – plus fréquentes à cause des zoonoses émergentes liées à la dégradation de la planète- va s’ajouter à la faiblesse de la prévention des fléaux planétaires de santé publique. L’isolationnisme de Donald Trump a décapité le multilatéralisme construit patiemment depuis 75 ans et la fin de la 2e guerre mondiale, au profit d’une diplomatie  du chantage par les subsides. Il a retiré les Etats Unis de l’Unesco en 2018, comme un de ses prédécesseurs républicains, Ronald Reagan en 1984. Cette fois en solidarité déclarée avec Israël  (et non plus en représailles contre l’URSS dans le cas de Reagan). Guerre contre l’éducation et la culture, définitivement reconnues aujourd’hui contre les clés du développement contre la pauvreté dans le monde. Donald Trump est le pire va t’en guerre sur les fronts des enjeux émergents de la planète. Il a défait l’accord sur le nucléaire civil Iranien faisant, en creux, le choix de risquer une reprise – devenue alors  légitime sous le régime des sanctions – du  projet d’enrichissement de l’uranium par Téhéran que lui conteste une partie de la communauté internationale.

Contre la prospérité partagée

Donald Trump n’est pas un seulement un guerrier global, il est un producteur intégral de pauvreté. Sa dénonciation aussitôt arrivé à la maison blanche de l’accord de libre échange Asie-Pacifique supposé protéger les emplois aux Etats Unis a ralentit le développement des économies exportatrices de produits que les Etats Unis ne peuvent plus fabriquer à couts compétitifs. La guerre commerciale déclenchée avec Pékin a amplifié l’effet récessif du commerce mondial. La mondialisation a globalement permis à d’immenses territoires de se développer sur la planète, même si elle a généré dans le même temps plus d’inégalités.  Donald Trump a été porté à la maison blanche en 2016 par une vague protectionniste qui a décrété  de manière martial, le retour aux Etats Unis des emplois « partis » vers les pays émergents et les partenaires plus pauvres des Etats Unis.  « America first » est également une déclaration de guerre à la hausse de revenus des populations entrant dans le commerce mondial sans aucune garantie d’amélioration sérieuse, par contre coups – des revenus des américains aux emplois exposés. Le libre échange planétaire profite d’abord aux économies les plus fortes, mais pas à tous en leur sein.  Avec Trump et son protectionnisme, l’Amérique a fait l’aveu qu’elle ne se considérait plus comme telle. Il a voulu être le président des perdants de la mondialisation dans son pays. Il a, par sa manière systématiquement guerrière d’aborder chaque enjeu, provoqué un mouvement d’appauvrissement chez ses partenaires. Malgré de substantiels crédits d’impôts les relocalisations d’activités aux Etats Unis durant son mandat, sont restées marginales.

Deux mondes antinomiques

Peu concernés encore aujourd’hui dans leur vie par les enjeux climatiques, par les incidences récessives de la guerre commerciale, ou par l’effondrement du multilatéralisme onusien, les Algériens qui préfèrent Trump devraient être sensibles à quelque chose de plus direct,  pour remettre à l’endroit une « conscience renversée ».  Donald Trump est le leader mondial du populisme xénophobe. Sa victoire en 2016 a donné un élan sans précédent à tous les courants d’extrême droite qui pensent protéger le statut dominant de leur pays en « jetant à la mer » migrants et minorités.  L’intérêt objectif des Algériens est le recul de ce mouvement dont la menace la plus proximale se situe en France avec le courant Lepeniste.  Le monde de Trump est antinomique au monde de l’Algérie de l’indépendance et de l’émancipation des peuples.  Donald Trump n’a pas envoyé de F16 ou de Tomahawk sur un nouveau théâtre d’opération ? Il a levé une vague blanche suprématiste dans son pays et au delà pour signifier à tous les « basanés » de la terre qu’ils ne peuvent prétendre à un autre statut que celui de pays dominé, « pays de merde » dans le jargon châtié de Trump.  Sa défaite, signe de discernement du peuple américain, est un immense revers pour tout ceux qui en Europe et ailleurs pensent que la pureté ethnique fait la grandeur des nations et la diversité culturelle et religieuse en est l’ennemie.  C’est exactement cette pensée qui historiquement qualifie la mission civilisatrice du colonialisme. Les amis, très nombreux, de Trump en France pensent que l’Algérie est un pays inapte au développement et à l’émergence, pour des raisons essentialisées. Il faut bien que les amis hallucinés de Trump en Algérie nous disent un jour à leur tour s’ils pensent aussi que leur pays est un ectoplasme à cacher de la face du monde. 

Ce qu’il pense de vous

Il y’a à peine vingt ans ce blog n’aurait jamais été nécessaire. Les Algériens, et leurs élites, avaient encore des critères solides d’évaluation de ce qui leur était préférable dans la géopolitique du monde. Eliminons le proximal.  Donald Trump est agnostique dans le dossier Sahraoui. C’est à dire qu’il est dans la tradition pro-marocaine des américains. Cherchons donc ailleurs. Le critère génétique de positionnement vis à vis des administrations américaines depuis la guerre de six jours et la rupture des relations diplomatique d’Alger avec Washington est bien sur la question palestinienne.  Donald Trump est le président américain le plus favorable au projet d’extension de l’annexion israélienne des territoires palestiniens occupés. Il a déplacé l’ambassade de son pays à Al Qods en violation du droit international et considère Benjamin Netanyahou comme son premier allié dans le monde.  Sa seule action diplomatique de « paix » – si l’on exclu sa négociation décoiffante avec le dictateur nord-coréen – a consisté à faire rompre l’isolement diplomatique d’Israël  dans la région, en obtenant la normalisation de sa relation avec plusieurs pays arabe du Khalij. La première frivolité algérienne face à Trump est celle de Abdelmadjid Tebboune qui a déclaré partager « une vision commune » et « une amitié sans faille » avec son administration. Les temps ont bien changé. Les risques globaux qui redessinent la géopolitique du monde nous imposent de regarder à une aune nouvelle les intérêts et les enjeux dans chaque situation. Mais la boussole ne peut pas se perdre à ce point. Même à l’ère des aliénations numériques. Donald Trump a  fait fermer la représentation palestinienne à Washington. Au fond, il n’en pense pas moins des Algériens.  Même de ceux qui l’aiment.

El Kadi Ihsane