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Bejaia, Léonardo Fibonacci et l’invention du zéro

Kamel Bouslama | 09/01/22 17:01

Bejaia, Léonardo Fibonacci et l’invention du zéro

Par Kamel Bouslama (*)

Tous les historiens dignes de ce nom reconnaissent aujourd’hui le rôle historique joué par Bejaia et par les marchands dans la transmission de la culture mathématique en occident. Cette dernière a, en effet, ouvert des voies nouvelles dans la façon de penser la science, autrement dit de préparer l’ère moderne.

On saura ainsi que vers la fin du XIIème siècle, la ville de Bejaïa était déjà l’un des centres culturels et scientifiques les plus dynamiques d’Afrique du nord. Elle était le siège d’un «foundouk» et d’un consulat de la république de Pise. Au moment où le père de Fibonacci y représente les marchands italiens, les relations entre les deux Etats sont excellentes.

Léonardo Fibonacci a introduit les mathématiques en occident

Le célèbre «Dictionary chrétien of scientific biography» le présente comme le premier grand mathématicien de l’Occident. Dans son important ouvrage, «Le Liber Abaci», il dit lui même qu’il a étudié la science du calcul et l’algèbre d’Al-Khawarismi à Bejaïa auprès d’un maitre admirable («exmirabili magisterio»). Cela nous conduit à  re(visiter) l’histoire de l’introduction des chiffres arabes en Occident, car celle-ci commence comme un conte de fées. On a ainsi pu noter que déjà bien avant Léonardo Fibonacci, dont on retient que c’est lui qui -de retour d’un séjour à Bejaia où, dans l’université de la ville, il reçut des cours d’algèbre-, a introduit les mathématiques en Occident, déjà bien avant Léonardo Fibonacci donc,  il y eut un certain Gerbert d’Aurillac, considéré comme le premier savant occidental à avoir utilisé les chiffres arabes, à l’exception toutefois du zéro, dont il ne connaissait pas l’existence.

Gerbert d’Aurillac et les chiffres arabes

Le parcours de Gerbert d’Aurillac est fort singulier.  Qu’on en juge plutôt : en 945 ap. J.-C., un nouveau-né est abandonné à la porte du monastère d’Aurillac, en Auvergne. Recueilli puis élevé par les moines de cette institution, ce petit garçon très doué aura un destin exceptionnel puisqu’il deviendra d’abord archevêque de Reims ensuite pape en 999 sous le nom de Sylvestre II. A l’âge de vingt ans, il sera autorisé à accompagner en Espagne le marquis de Borel de Barcelone. C’est à cette époque qu’il rencontrera des érudits arabes qui l’initieront au maniement des signes numériques arabes récemment introduits en Espagne. Gerbert d’Aurillac, puisque c’est de lui qu’il s’agit,  est donc le premier savant occidental à avoir utilisé les chiffres arabes, à l’exception toutefois du zéro, dont il ne connaissait pas l’existence.

Fibonacci et l’invention du zéro

Avec les neuf chiffres arabo-indiens, tous les problèmes d’arithmétique n’étaient pas résolus. Encore fallait-il élaborer une méthode de calcul permettant d’éviter les erreurs dues à l’inexistence d’un signe correspondant à une valeur nulle. Dans la numération décimale des mathématiciens indiens, on disposait en colonnes les chiffres des unités avec, à leur gauche, successivement les chiffres des dizaines, les chiffres des centaines, etc. Ainsi pour le nombre 634 : le chiffre 4 correspondait aux unités, le chiffre 3 correspondait aux dizaines et le chiffre 6 correspondait aux centaines. Si on voulait soustraire, par exemple, 32 de 634, on obtenait comme résultat : 2 pour les unités, rien pour les dizaines et 6 pour les centaines. Mais comment écrire ce nouveau nombre, 602 ? On a d’abord laissé un vide entre le 6 et le 2, ce qui était la source d’un grand nombre d’erreurs.

Leonardo Fibonacci (dall’opera I benefattori dell’umanità; vol VI, Firenze, Ducci, 1850) Druckraster bearbeitete Version P 712 614:3

Pour les éviter, les Indiens, et à leur suite les Arabes ont donc remplacé cet espace vide par un point -qui est toujours utilisé dans les chiffres «indiens» de l’écriture arabe- et finalement, pour encore plus de clarté, on a préféré matérialiser ce vide par un nouveau signe, plus visible, ayant la forme d’un petit  < o >, que l’on a d’abord nommé «chiffre» d’après l’arabe «sifr» (vide). Plus tard, on nomma ce signe «zéro», grâce à l’initiative du mathématicien italien Léonardo de Pise, dit «Fibonacci» (vers 1175-vers 1250), qui introduisit la forme latinisée «zephirum», italianisée en «zefiro» et finalement contractée en «zero». Ce nom fut ensuite introduit dans toutes les langues de l’Europe.

D’autres traces de l’arabe dans les usages occidentaux

Il faut noter que le concept du zéro n’était pas inconnu des peuples qui avaient précédé les Arabes dans la région du Proche-Orient. On en trouve en effet des traces dans les documents babyloniens. Le mérite des Arabes a été d’en faire un usage systématique et de l’avoir transmis aux milieux scientifiques occidentaux.

De plus, la forme des chiffres et le zéro ne sont pas les seuls témoignages de l’apport des Arabes aux mathématiques. Il faut en effet remarquer que dans toutes les opérations de calcul (addition, soustraction…) pratiquées dans les langues de l’Occident, les chiffres sont pris en compte à partir des unités, de la droite vers la gauche, dans le sens même de l’écriture de la langue arabe, cette langue qui a transmis à l’Occident l’art de calculer.

Dans un tout autre domaine, on peut encore remarquer que les usages linguistiques de l’arabe de reflètent aussi dans les noms des jours de la semaine : en portugais, par exemple, le lundi se dit «segundafeira», c’est-à-dire le «deuxième jour de la semaine», sur le modèle de l’arabe «’al-‘ithnayn» (le deuxième), et ainsi de suite jusqu’au vendredi, «sixième jour» de la semaine.

Quand on demande à un francophone de citer les jours de la semaine, il commence toujours par le lundi, alors qu’en arabe, c’est le dimanche qui vient en premier. Cette manière de compter se retrouve en portugais, où, à l’exception du samedi et du dimanche, les noms des jours de la semaine sont des calques de l’arabe Enfin, l’écriture de l’arabe a également été le point de départ d’une longue histoire où la recherche de la forme des lettres conduira à un développement exceptionnel de l’art calligraphique.

K.B

(*) Journaliste et consultant en édition-communication