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 Arts traditionnels, des métiers menacés de disparition

Kamel Bouslama | 21/05/22 19:05

 Arts traditionnels, des métiers menacés de disparition

Le mois du patrimoine, qui s’est déroulé du 18 avril au 19 mai derniers, aurait pu, pour les artisans, être l’occasion de lancer un appel pour «la préservation de certains métiers de l’artisanat en voie de disparition tels que la dinanderie, le tissage, la bijouterie, les costumes traditionnels, etc., et ce n’est là qu’un aperçu non exhaustif de bon nombre de métiers menacés de disparition. Mais hélas, il n’en fut rien et les problèmes que connait à ce jour ce secteur n’ont toujours pas trouvé de solution.

Par Kamel Bouslama

Eh oui, si cet appel avait été lancé par les protagonistes du secteur eux-mêmes, cela aurait sans doute été une excellente initiative. Car, faut-il en convenir, c’est presque tout le secteur dans sa totalité qui n’a pas vraiment la forme depuis ces trente dernières années et ce n’est pas sans raisons. Tout d’abord, on ne peut ne pas garder à l’esprit qu’après la sinistre décennie dite noire qui a vu le pays se fermer aux touristes et à l’exportation, le secteur artisanal s’est presque entièrement effondré. Pour cause principale, un marché local et accessoirement étranger pratiquement inexistant : les Algériens, en effet, achètent certes aujourd’hui des produits locaux, mais ils semblent plutôt privilégier ce qui est chinois ou turc et à bas prix, alors que la mode est, pour ainsi dire, à l’occidentale, chic ou non selon les moyens ; mode en tout cas façonnée par les télévisions étrangères. En cause également, un artisanat demeuré très archaïque, voire hermétique à l’innovation ; un artisanat marqué notamment  par l’informel qui de surcroit lui rogne son espace marchand de façon, dirions-nous, par trop hégémonique.

Alors, questions demeurées pendantes mais qui, chaque fois qu’elles sont remises sur le tapis, sonnent aussitôt comme des  réponses «idoines» : quelles pourraient être la place et l’avenir de l’artisanat traditionnel dans un pays qui, aujourd’hui et sans doute pour de nombreuses années encore, dépend et va continuer de dépendre majoritairement de ses ressources en hydrocarbures ? Dès lors, le secteur de l’artisanat est-il appelé, ainsi que cela s’observe fréquemment, à n’être qu’une activité diffuse, de moins en moins rémunératrice et qui souvent ne donne lieu qu’à des revenus d’appoint, notamment en milieu rural ? Peut-il objectivement servir de support à l’émergence d’une catégorie de petits promoteurs jeunes et efficaces qui, par leur nombre, constitueraient une force avec laquelle il faudrait compter dans la vie socio-économique ? En définitive, l’artisanat traditionnel est-il, dans une société devenue pratiquement de consommation -autrement dit une société gagnée par la fièvre du changement-, en mesure de s’adapter en proposant chaque fois du nouveau ?

A la lumière d’une telle évolution, on ne peut qu’être sceptique quand on sait dans quel sens ont évolué l’artisanat traditionnel algérien et sa clientèle durant les trente dernières années. Particulièrement depuis que le pays s’est ouvert à l’économie dite de marché. N’a-t-on pas assisté, dès lors, à une désaffection graduelle, pour les produits traditionnels, d’un public assoiffé de «modernité» ? N’a-t-on pas vu aussi l’artisanat s’éloigner de ses propres sources d’inspiration  -en raison de la déformation de la transmission orale- et s’engager dans la production d’articles mal faits et d’un goût douteux, destinés plutôt à séduire des vacanciers peu avertis et qui souvent les détournent d’avoir accès aux vrais chefs-d’œuvre de l’artisanat algérien ? 

Les artisans n’ont jamais cessé de réclamer des exonérations fiscales et douanières lors de l’importation de matières premières

Là encore, le plus grand risque de déshérence que puisse courir l’artisanat traditionnel, particulièrement de ce point de vue là, n’est-il pas du au désir de produire plus vite et à bon marché ? En outre, l’un des plus graves dangers qu’encourt ce même artisanat traditionnel n’est-il pas celui de l’abâtardissement du produit par l’imitation de styles étrangers, ou bien ces pseudo-créations qui, soi-disant, prétendent sortir tout droit de «l’humus traditionnel»? Afin de pouvoir sauvegarder le label d’authenticité de l’artisanat traditionnel algérien, les organismes concernés ne devraient-ils pas être extrêmement rigoureux-voire pratiquer une tolérance zéro- sur la qualité des produits fabriqués?

Au plan de la production proprement dite, on se souviendra qu’un «Fonds National de l’Artisanat» (FNL) a pourtant été créé il y a quelques années pour remédier aux multiples problèmes récurrents que rencontrent les artisans et qui sont principalement liés à une insuffisance, voire à un  manque d’aides financières ; problèmes liés aussi à l’état vétuste et désuet de l’infrastructure et des matériels et outils utilisés, à la participation par trop onéreuse aux foires et expositions,  à l’indisponibilité et, même si elles existent, à la cherté des matières premières…Sur ce dernier point, il faut rappeler et, par la même, admettre que les artisans n’ont jamais cessé de réclamer des exonérations fiscales et douanières lors de l’importation de matières premières. Il en est de même pour la question de la (re)mise en place des circuits marchands de la production nationale -c’est-à-dire la collecte et la commercialisation des produits-, qui a été maintes fois évoquée dans moult réunions de travail les concernant directement, sans que des réponses idoines n’aient été à ce jour apportées.

Mais il n’empêche…Ne serait-ce que pour répondre à l’appel des artisans évoqués plus haut, cela peut vouloir dire aussi que l’artisanat traditionnel, pour peu qu’il bénéficie présentement  d’une attention particulière et soutenue de la part de l’Etat, est de nouveau en mesure, dans l’Algérie d’aujourd’hui et de demain, non seulement de ne plus être ce «boulet» folklorique dont on a toujours dit, jusque-là, qu’il faut bien le trainer faute de pouvoir le supprimer, mais de contribuer plutôt comme un instrument de progrès économique et social du pays. Notre artisanat traditionnel, faut-il le rappeler, a déjà plusieurs mérites : celui d’avoir pu s’insérer naturellement et à peu de frais dans le contexte agro-préindustriel ; celui  d’augmenter aussi le nombre d’emplois et enfin le mérite d’accroitre une production répondant aux besoins élémentaires du développement. C’est pourquoi il doit désormais se présenter, non seulement comme une parte intégrante des pôles agricole et culturel, et phase intermédiaire du pole industriel, mais, pour tout dire, comme un véritable quatrième pole de développement.