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Arabisation en Algérie : « une décision réactionnelle »

Yamina Baïr | 30/10/21 18:10

Arabisation en Algérie : « une décision réactionnelle »

Trois ministères ont donné instruction pour le remplacement de la langue française par la langue arabe dans les correspondances aux seins de leurs administrations.

Après celui de la jeunesse et des sports, deux autres ministères lui ont emboité le pas. Le ministère de la formation professionnelle a instruit les enseignants de donner les cours exclusivement en langue arabe, et le ministère de la santé a instruit le président du conseil médical de coordonner avec les médecins chefs de services afin d’exhorter les médecins à rédiger les ordonnances et les rapports médicaux en langue arabe, et de mettre en place un mécanisme de transition dans l’usage de cette langue.

Le choix et la démesure

Deux linguistes, Yacine Temlali et Abderrazak Dourari, voient dans cette généralisation inopinée de la langue arabe une « décision réactionnelle », qui intervient dans un contexte de tensions diplomatiques entre l’Algérie et la France, ainsi que l’approche des élections locales en Algérie, prévues pour le 27 novembre 2021, dans un climat de boycott par de nombreux partis politiques. 

Abderrezak Dourari, Professeur des universités en sciences du langage et chercheur en sociosemiotique

Pour Abderrazak Dourari, professeur des universités en sciences du langage, la décision d’arabiser les administrations est « liée à ce désamour entre le pouvoir algérien et le pouvoir français ».

De son côté, le journaliste et linguiste, Yacine Temlali, estime que les décisions en matière de langue « sont forcément politiques » : « C’est d’autant plus politique que ça intervient dans un contexte de crise des relations avec la France et probablement dans un contexte électorale », avant d’ajouter : « il s’agit de donner le change à l’Etat français et de lui signifier une colère véritable après les déclarations d’Emmanuel Macron surtout celle qui concernait la nature ou la composition du régime algérien ».

« La langue française, une langue de décolonisation »

La langue française a longtemps été considérée comme la langue du colonialisme par de nombreux Algériens. A ce propos, le professeur Dourari rappelle à ceux qu’il qualifie de « mémoires oublieuses » que la langue française « a été une langue de décolonisation ».  Il explique : « Toutes les révolutions algériennes ont été écrites en langue française et l’élite qui a dirigé la révolution algérienne était francophone. », avant d’ajouter : « la langue est un instrument de développement on ne peut pas dire que c’est un instrument de la colonisation. La colonisation était une question idéologique, une question philosophique qui dépasse la question bien évidemment de la langue en elle-même ».

La loi de 1996 pas encore appliquée

Abderrazak Dourari estime que la loi de 1996 sur la généralisation de la langue arabe, ne peut s’appliquer en Algérie pour plusieurs raisons, dont le fait que « la langue française est enracinée en Algérie, et l’essentiel des élites de très haut niveau algérienne travaillent en langue française, et maitrise la langue française. »

De son côté, Yacine Temlali explique qu’à travers cette loi, qui n’est toujours pas appliquée : « le régime utilise la question linguistique comme moyen de négociation avec ses alliés, avec ses soutiens qui ne sont pas toujours les mêmes, et qui changent au gré de ses priorités, de ses politiques. »

Aucun débat public

Pour Yacine Temlali, la véritable problématique ne se pose pas dans la généralisation de la langue arabe, qui est selon lui, maitrisée par la majorité des algériens. La véritable problématique, explique-t-il, « c’est la façon avec laquelle les décisions sont prises.  Ce qui est problématique, c’est qu’elles ne sont pas du tout le signe de la véritable question des langues en Algérie ».

Yacine Temlali,  journaliste, traducteur et chercheur en histoire et en linguistique

Il regrette, par ailleurs, que « des décisions aussi importantes qui sont en usage dans le pays soient prises de façon aussi réactionnelle et non à l’issue de débats et d’échanges démocratiques qui ferait intervenir aussi bien les spécialistes que les citoyens. »

Le linguiste estime que la problématique des langues en Algérie, devrait être tranchée à l’issue d’un débat national : « il s’agit de sortir de l’improvisation et de ce fonctionnement réactionnel et passionnel et aller vers un véritable débat national sur la question des langues. ».