«Arabesques» de Walter et Baraké...L'aventure de la langue arabe en Occident  - Radio M

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«Arabesques» de Walter et Baraké…L’aventure de la langue arabe en Occident 

Radio M | 20/09/22 14:09

«Arabesques» de Walter et Baraké…L’aventure de la langue arabe en Occident 

«Saviez-vous qu’il existe des centaines de mots français d’origine arabe, des centaines de mots arabes venus du français ? Lointaines par leurs origines, ces deux langues s’enrichissent depuis plus d’un millénaire. Influences culturelles, références historiques et anecdotes ludiques : voici la belle histoire des rencontres de l’Orient et de l’Occident».

C’est sur ce passage «accrocheur» que l’on tombe lorsque d’emblée on aborde la quatrième de couverture du livre tant celui-ci nous incite à le découvrir dans sa totalité. Il faut dire qu’une fois l’ouvrage parcouru on peut en tirer, à terme, le sentiment de s’être plutôt enrichi et pour cause : dans ce livre, qui se voudrait à la fois sérieux et distrayant, «c’est un peu l’histoire de l’Orient mêlée à celle de l’Occident que l’on découvre, mais sous un angle particulier, celui de deux langues, lointaines par leurs origines, mais qui se sont croisées et influencées au hasard de l’histoire : l’arabe et le français».

Au fil de notre lecture donc, on saura une foultitude de choses sur la langue arabe et -quelque fois de nouveau- que celle-ci «n’est pas sortie du néant. Née au sein de populations nomades vivant dans la péninsule Arabique, elle a connu un destin hors du commun, à la suite de l’expansion extraordinaire de la religion musulmane sur un territoire qui s’étendra  en moins de deux siècles de l’Atlantique à l’Indus. Cette langue, dès le Moyen-âge, s’est trouvée en contact avec les langues de l’Occident, lors de la fondation des dynasties andalouses en Espagne à partir du 8e siècle de l’ère chrétienne, puis au cours des croisades  et, vers le 13e siècle, à la cour de Frédéric II de Hohenstaufen en Sicile, une île toute imprégnée de cet art poétique arabe qui allait  influencer la poésie sicilienne, puis la littérature italienne. Le monde de la science arabe y était tout aussi largement représenté par de grands savants, qui vivaient  en Sicile mais aussi à Naples, à Salerne, à Tolède, Grenade ou à Séville ».

La langue arabe garde encore une partie de son mystère en Occident

On apprendra aussi que «c’est surtout par le nombre considérable de traductions élaborées entre le 8e et le 13e siècle, d’abord du grec à l’arabe, puis de l’arabe au latin -et aux langues issues du latin- que l’on peut mesurer tout ce que l’Occident doit à la science arabe. La traduction a encore joué un rôle, mais sur le plan littéraire, cette fois, avec «Les mille et une nuits», car c’est à partir de leur traduction française par Antoine Galland, au XVIIIe siècle, que s’est développé dans toute l’Europe un attrait irrésistible pour l’Orient».                                                                                                                                  

Toutefois, préviennent les deux co-auteurs, «la langue arabe garde encore une partie de son mystère en Occident et cet ouvrage permettra peut-être d’en dévoiler certains de ses aspects les moins connus. A vous donc de lire et/ou de relire cet ouvrage très instructif. Et même, si possible, sans modération».

«Enfin, lit-on encore dans le préambule, la raison d’être de cet ouvrage réside dans la mise en lumière des relations historiques qui existent depuis des siècles entre l’arabe et le français, et qui se manifestent en particulier».

Et les co-auteurs de conclure le préambule en ces termes : «Voila pourquoi l’ouvrage comprend aussi deux glossaires où apparaissent plus précisément les apports réciproques de ces deux langues, avec, pour chacun des mots empruntés, une présentation de la diversité de leurs formes et de leurs significations. Disséminés dans les différents chapitres, des encadrés historiques ou anecdotiques et des intermèdes récréatifs permettront de ménager des moments de détente au lecteur parfois un peu submergé par l’abondance des informations qu’il découvre. Ceci afin d’aider à les retrouver plus facilement qu’ont été élaborés plusieurs index thématiques en fin d’ouvrage».

Que peut-on dire de plus qu’Henriette Walter et Bassam Baraké si ce n’est qu’il faut lire «Arabesques» sans modération. Et, nous semble-t-il, le plus tôt serait le mieux.

 «Arabesques, l’aventure de la langue arabe en Occident», d’Henriette Walter et Bassam Baraké. Editions Robert Laffont / Editons du temps, Paris 2006. 350 pages.

Extraits du livre «Arabesques» :

Mazagran :

Mot français venu de l’arabe. Verre en faïence dans lequel on sert le café, du nom de la ville de Mazagran, en Algérie, XIXe siècle.

Qu’est-ce que le coscosson de Rabelais ?

On trouve ce mot chez Rabelais à la fin d’une longue énumération de plats constituant un souper vraiment pantagruélique : 1/ dans l’ancienne forme du français avec l’orthographe de l’époque : «seze boeufs, troys génisses, deux veaux…sept cens chappons, six mille pouletz…force coscossons et renfort de potages». 2/ ce qui donne aujourd’hui : «Seize bœufs, trois génisses, deux veaux…sept cents bécasses…quatre cents chapons, six mille poulets, force couscous et renfort de «potages». Comme on peut le constater ci-dessus, «coscosson» état l’ancienne forme du mot «couscous» (Page 137)

Douane et divan :

Voila deux mots dont l’histoire un peu compliquée mêle à la fois l’arabe, le persan, le turc et même l’italien. Il faut partir du persan «diwàn» (registre, liste) qui a ensuite désigné aussi bien le registre que la salle des registres. C’est avec ce dernier sens que «diwàn» avait été emprunté en arabe dès le 7e siècle et qu’il est passé en italien au 12e siècle, puis en français, sous la forme «douane», au XIVe siècle.

Le mot «divan» est beaucoup plus récent en français (XVIe siècle) et a une tout autre histoire, qui ne passe pas par l’arabe, mais par le turc, qui l’avait lui-même emprunté au persan «diwàn», avec le sens de «salle des registres», puis «salle de réception». Or cette salle avait la particularité d’être entourée tout le long des murs de sièges recouverts de coussins, ce qui explique l’évolution ultérieure du mot «divan» en français, qui est attesté avec le sens de «sorte de sofa» depuis le milieu du 18e siècle (page 141).

Orange amère, orange douce :

De nombreux mots français empruntés à l’arabe  sont arrivés par l’intermédiaire de l’Espagne. L’itinéraire du nom de l’orange a été beaucoup plus sinueux. Venu de l’arabe «nàranj», ce nom avait été emprunté au persan «nàranj». Toutefois, au Moyen-âge, ce mot ne désignait pas l’orange que nous connaissons mais la «bigarade», c’est-à-dire «l’orange amère» que les Arabes ont ensuite fait connaitre en Sicile puis dans toute l’Europe méditerranéenne. Et c’est seulement vers le 15e siècle que «l’orange douce» a été rapportée de Chine par les Portugais. On la nommait alors «orange du Portugal».

En arabe, le mot «burtuqàl» désigne d’ailleurs l’orange, tout comme en grec moderne, où le nom de l’orange est «portokali», dans lequel on reconnait le nom du Portugal (Page 163)

De quelques mots français d’origine arabe

De nombreux mots arabes ont voyagé dans le temps et sont passés, soit directement, soit par l’intermédiaire de l’espagnol ou de l’italien, dans la langue française où de nos jours ils sont couramment utilisés (*). Ici quelques-uns, dans cette petite histoire un peu loufoque :

Il était une fois un «amiral» qui, avant que le soleil ne soit au «zénith», sortait se promener ou faire des courses dans la «casbah», habillé comme un «pacha» : il portait une chemise de «coton» couleur «safran», un «gilet» en soie ainsi qu’une cravate en «mousseline» parfumée au «lilas», des «babouches» blanches et une «chéchia» rouge vermeil. Le tout agrémenté d’un magnifique «burnous» blanc.

Il n’aimait que les «sorbets» aux «abricots», les «oranges», les «artichauts», les «épinards» à la crème et les «aubergines». Il terminait toujours son repas par une «tasse» de «café» dans laquelle il mettait plusieurs morceaux de «sucre» et une cuillerée de confiture de «pastèque».

Sa femme, elle, avait une démarche de «gazelle». Elle portait le matin une «jupe» de «satin» couleur bleu «azur», l’après-midi un «sarouel» surmonté d’un «caftan» algérois et jouait souvent du «luth» et de la «guitare». Il lui arrivait même, quelquefois, de jouer de la «cithare».

Le soir, à la lueur de quelques «bougies», l’amiral et sa femme faisaient des problèmes d’«algèbre» très difficiles et s’amusaient avec les «chiffres» et les «algorithmes». Il lui racontait ensuite des histoires de «bleds» et de «djinns» lointains, de «récifs» et d’«avaries» dans les mers lointaines, qui la faisaient frémir.

Toutes les semaines, l’amiral allait faire les courses dans l’«arsenal» le plus proche ou dans le «magasin» du coin pour acheter du «talc», des gâteaux de «sésame» et de l’«alcool» à brûler. Avant qu’il ne sorte, sa femme lui rappelait : «Ne fais pas le «fanfaron» et ne traine pas la «savate» ! Et surtout pas trop de «salamalecs» qui te feraient perdre du temps. Tu devrais laisser le «burnous» et enfiler ta «gabardine» ! N’oublie pas de prendre le «couffin», de mettre ton «talisman» en «ambre» pour avoir la «baraka»…N’oublie pas de seller ton «alezan» ! Et, surtout, ne gaspille pas le «flouz» dans des achats inutiles.

– Je ne suis ni «maboul», ni «mesquin», lui répondait-il, pour m’amuser ou faire le «bràl» ou le «zouave» dehors, sinon tu m’aurais déjà emmené chez le «toubib» ; Je n’ai pas l’esprit à faire la «nouba», j’ai juste «chouia» le cafard. Je crois que je vais m’acheter un gros gâteau au «moka». Prépare-moi au retour une «carafe» de «sirop», tu sais bien que j’aime «bézef» ce genre d’«élixir».

(*) Les mots concernés sont entre guillemets                                                                   

Bio express des coauteurs                                         

Henriette Walter est professeur émérite de linguistique à l’Université  de Haute-Bretagne et membre du Conseil supérieur de la langue française. «Le Français dans tous les sens» a reçu le Grand Prix de l’Académie française.

Bassam Baraké est professeur de linguistique française et arabe à l’université libanaise de Beyrouth. Il est Secrétaire général de l’Union des traducteurs arabes. Il a publié un ouvrage sur la phonétique de l’arabe et plusieurs dictionnaires français-arabe.

Kamel Bouslama