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Après le vote à la sauvette du pouvoir, le Hirak doit adapter ses formes de lutte

Said Djaafer | 15/12/19 14:12

Après le vote à la sauvette du pouvoir, le Hirak doit adapter ses formes de lutte

Malgré une opposition farouche des manifestants pendant près de dix mois, la feuille de route mise en place par l’état-major a bien été appliquée. Tout a été mis en œuvre pour entretenir un unanimisme de façade sur le choix des élections comme seule alternative de la crise. Aucune couverture du Hirak n’est tolérée. La radio change de directeur et la chaîne 3, considérée comme le dernier bastion de voix multiples, est mise au pas.  Les élections décidées par son chef ont bien eu lieu à la date annoncée, malgré son rejet et sa dénonciation par le Hirak comme une flagrante opération de recyclage du pouvoir. L’intervention dans le choix du candidat destiné à remplacer le président démissionnaire ne faisait aucun doute dès l’annonce de la date, même si le chef d’état-major a nié toute velléité d’intervention des chefs militaires dans la « désignation » du nouveau président.

 Au risque de boycott de ces élections, le pouvoir, à travers Gaïd Salah et ses multiples interventions dans les casernes du pays, n’a cessé d’insister sur sa conviction d’une participation massive à ce scrutin. Considérant que les revendications du Hirak ont été satisfaites, puisqu’il les réduit à la démission de Bouteflika et à l’emprisonnement de ce qu’il a appelé  “la bande”, il a toujours opposé sa « solution constitutionnelle » à la période de transition proposée par le Hirak et certains partis d’opposition, qualifiant cette dernière d’aventureuse. C’était sa conviction et « le peuple », car Gaïd Salah, en mode paternaliste, ne s’est jamais adressé au Hirak si ce n’est pour le qualifier de « chardama », se doit de faire confiance à « l’état-major de son armée » dans le choix de la solution qui comporte le « moins de risques ». 

Le candidat libre parrainé

Bouregâa a été emprisonné après avoir annoncé, au mois de juin, que le système connaissait le nom de son président. Après la convocation du corps électoral par le chef d’état-major, confirmée par le chef de l’Etat par intérim, le candidat a été révélé : Abdelmadjid Tebboune. Il a choisi de se présenter en candidat libre, sans casquette politique, alors qu’il avait disparu de la sphère publique depuis plus de deux ans. Autant d’assurance ne faisait que confirmer la suspicion de parrainage dont l’ont qualifié tous ceux qui s’opposaient aux élections présidentielles. C’était aussi le sentiment de l’un des candidats, Ali Benflis, à la conférence de presse dans laquelle il annonçait sa candidature.  Plusieurs anciens dignitaires du régime, en annonçant leur soutien à Tebboune, renforçaient l’idée que le système avait son candidat. 

Ancien wali et plusieurs fois ministre à la tête de plusieurs départements, dont celui de l’habitat, Tebboune est connu pour être proche du président Bouteflika. Il est chargé spécifiquement de la réalisation de la grande mosquée d’Alger, projet phare du règne de l’ancien président. Son clash avec l’homme d’affaires Ali Haddad, réputé proche du frère du président, lui a valu d’être un premier ministre éclair, avec moins de trois mois en poste. Limogé, il n’a fait aucune vague et a même remercié le président Bouteflika pour sa « confiance » et a assuré qu’il restait à sa disposition au moment de la passation avec son successeur, Ahmed Ouyahia. 

Le système a choisi dans son vivier, comme il a choisi Charfi pour présider l’ANIE (l’autorité nationale indépendante des élections). Cet ancien dignitaire cadrait avec la « lutte » que menait l’état-major à la « 3issaba ». Sa campagne électorale très discrète et un programme très vague, et articulé autour de promesses populistes, n’a pas pu lui permettre de construire aux yeux de ceux qui ne rejetaient pas l’élection une image de candidat du changement. 

Une campagne sur fond de contestation et entretien du suspense 

Le premier pari du pouvoir en place était de réussir les élections par le taux de participation, puisqu’il a toujours qualifié la contestation de ces élections de minoritaire. Il a même pris le pas sur les « programmes » des 5 candidats lors de leurs campagnes électorales marquées par de fortes protestations, des tensions allant jusqu’à l’affrontement avec la police, mobilisée pour sécuriser les déplacements des candidats. 

Le second est la promesse d’une transparence à laquelle les Algériens ont cessé de croire. L’institution militaire, par la voix de son chef, n’a cessé de répéter que l’ère de la désignation des présidents était révolue. Pour soutenir cette promesse, tout a été mis en œuvre. Pour contrer la certitude que l’armée avait son candidat, la chaîne de télévision Ennahar s’est attaquée à Tebboune et le candidat Mihoubi est devenu le nouveau préféré de l’armée.

 Sa réception des ambassadeurs accrédités à Alger, très médiatisée, a tenté de renforcer ce « nouveau choix ». Quelques jours avant le scrutin, le parti FLN déclare soutenir Mihoubi. Tout est fait pour créer le suspense et brouiller les pistes. D’aucuns ont parlé de divergences au sein de l’armée sur le candidat qui bénéficiera de la cooptation. Alors que les médias lourds, répétaient à qui voulait les entendre et à travers le porte-parole de l’ANIE et les professeurs académiciens mobilisés, que c’est une première en Algérie : pour une fois on ne connaissait pas le nom du prochain président. 

Taux ordinaire de participation et résultats d’une élection à un seul tour

Contrairement aux engagements et aux promesses de transparence, tout le processus, aussi bien de dialogue avec la commission Karim Younes que la désignation des membres de l’ANIE avec à leur tête un ancien ministre de la justice de Bouteflika, que le casting des 5 candidats, ne laissait présager rien de différent par rapport aux pratiques électorales du système en place.

 La confirmation viendra par la participation que le pouvoir a promis massive. Les manifestations à travers le pays tout le long de la semaine du scrutin, aussi bien sur le territoire national qu’au niveau des consulats algériens à l’étranger, des affrontements faisant des blessés graves et la fermeture de plus de 3700 bureaux de vote (sur les 51000 à l’échelle nationale) par les opposants aux élections, principalement en Kabylie, ne semblaient avoir aucune influence sur les taux de participation nationale annoncés tout le long de la journée. De moins de 8% à 11h, ce taux passait à 33% à 17h pour enfin s’arrêter à 41% à 19h, heure de fermeture des bureaux de vote, alors que celui de la communauté à l’étranger ne dépassait pas les 8%.

 Un écart que l’Algérie n’a jamais connu depuis son indépendance et dans des contextes autrement plus favorables. Une large absence d’adhésion au processus électoral n’a pas découragé les autorités qui ont parrainé la feuille de route à « réussir » coûte que coûte leur pari. Interrogés, ceux qui ont voté, disent l’avoir fait pour « avoir un président », aider à « sauver l’Algérie », bénéficier de plus de justice sociale comme l’ont promis certains candidats, ou alors seulement avoir un cachet sur leur carte de vote. 

“L’élu” tel que prévu dans le dessin de Nime

L’élu, comme le décrit Nime dans une caricature qui lui a valu une peine de prison, était bien celui qui était prédit. Et il devance largement les quatre lièvres, et surtout Mihoubi, présenté un moment comme le favori des faiseurs de rois.  Tebboune est élu avec plus de 50% des voix pour éviter un second tour que l’ANIE, le « gage de garantie de la transparence » des élections selon Ali Drâa, chargé de communication, n’a même pas pris la peine d’en fixer la date.  

Le 43ème Vendredi du Hirak coïncidait avec l’annonce des résultats. Une occasion pour ces dizaines de milliers de protestataires qui rappellent qu’ils ne reconnaissent ni le processus électoral ni ses résultats. La police réprime dans plusieurs villes de l’ouest du pays. Les manifestants et pour la première fois depuis près de dix mois n’ont pas pu marcher. Le flash d’information de 17h de la chaîne 3  commente les résultats mais ne souffle pas un mot sur les manifestations, alors qu’ils doivent entendre les clameurs dans les studios.

 Le soir même et lors de la conférence de presse qui suivit son « élection », Tebboune rend hommage à l’armée et à son chef Gaïd Salah et dit tendre la main aux représentants du Hirak pour dialoguer. Tout comme Karim Younes, qui fixait ses préalables avant d’entamer sa mission et qui les a retiré sur injonction du chef d’état-major, qui a refusé tout « marchandage » ou « chantage », de quelle légitimité peut se prévaloir le nouveau mal « élu » vis-à-vis de ses parrains pour promettre ou s’engager sur une quelconque concession ?

 Le Hirak, en refusant et en dénonçant le passage en force imposé par le pouvoir de fait, ne peut que refuser de dialoguer avec le résultat de ce coup de force, au risque de le légitimer. Pour se permettre cette position, le mouvement doit non seulement maintenir la même pression, mais également penser à d’autres formes d’organisation et de résistance, face à la tentation du pouvoir de mettre fin par la force à cette fronde qui n’a que trop duré.