Algérie-France: « Voilà pourquoi la déclassification par anticipation des archives va rester bloquée » | Rachid Khettab - Radio M

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Algérie-France: « Voilà pourquoi la déclassification par anticipation des archives va rester bloquée » | Rachid Khettab

Karima Nekka | 18/12/21 11:12

Algérie-France: « Voilà pourquoi la déclassification par anticipation des archives va rester bloquée » | Rachid Khettab

Propos recueillis par Karima Nekka

La décision du déclassement « 15 ans avant terme » par la France des archives « judiciaires » coloniales, au lendemain de la visite éclair à Alger jeudi 9 décembre, de son ministres des affaires étrangères, suscite le scepticisme de Rachid Khettab, écrivain et éditeur récemment, d’une biographie de Lamine Debaghine « un intellectuel chez les plébéiens ».

Radio M: Vous ne vous attendez pas à ce que la décision du président Français soit suivie d’effet pour rendre accessible toutes les archives déclassifiées par anticipation. Pourquoi ?

Rachid Khettab : Il existe toujours un verrou pour les documents frappés du secret défense. En 2020 , après avoir reconnu officiellement les conditions de la mort de Maurice Audin, Macron déclare l’ouverture de toutes les archives ». Et précise : « Une dérogation générale (…) ouvrira à la libre consultation tous les fonds d’archives de l’État qui concernent le sujet ». Mais le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), chargé de veiller sur le secret défense comme sur un coffre-fort, persiste à sanctuariser le secret défense.

Début 2020, cet organisme, placé sous la tutelle de Matignon, mais dans les faits presque hors contrôle, durcit l’IGI1300 par un dispositif technique : tout document frappé d’un tampon « secret-défense » doit désormais être soumis à une demande de levée du secret, document par document.

RM: Il ne sert donc à rien de réduire le délai de cinquante à trente-cinq ans pour l’accès à ces archives en France ?

R.K. : Leur consultation poserait problème même après 50 ans. Cette « instruction générale interministérielle » 1300 (IGI1300, article 63) sur la protection du secret de la défense nationale redéfinit depuis 2011, en toute opacité, les conditions d’accès, de plus en plus drastiques, aux archives, prenant le pas sur la loi et la Constitution. Le texte précisait que tout document portant un marquage Secret Défense, dit « classifié au titre du secret de la défense nationale », devait être déclassifié par l’autorité compétente avant communication.

Jusque-là, le code du patrimoine garantissait un accès de droit aux archives publiques, pour les documents dont la communication portait atteinte au secret de la défense nationale, à l’issue d’un délai de cinquante ans – en 2008, une nouvelle loi avait réduit le délai de soixante à cinquante ans, suivant les préconisations du rapport Braibant paru en 1996. En 2011, ces documents déclarés accessibles « en droit » par le législateur, librement communicables aux chercheurs, aux élus ou aux citoyens jusqu’en 2011, ne l’étaient donc plus automatiquement, par la grâce d’une instruction ministérielle érigée en texte supérieur à une loi.

RM: Quels sont alors les recours pour rendre effectif l’accès à ces archives-là pour la communauté des chercheurs ?

R.K. : Un collectif appelé « Collectif Accès aux archives publiques » s’est constitué pour combattre cette circulaire qui constitue une entrave au droit constitutionnel. Ce collectif a été amené a déposé plainte devant le conseil d’état. Le Conseil d’Etat du 2 juillet 2021 a donné raison au Collectif Accès aux archives publiques en annulant l’instruction gouvernementale qui contredisait la loi en inventant une procédure illégale de « déclassification », les forces qui cherchent à entraver l’accès des citoyens aux archives publiques ont immédiatement réagi. Elles ont introduit à la hâte des dispositions problématiques dans la loi du 30 juillet concernant le terrorisme et le renseignement.

L’accès aux archives portant le tampon « secret défense » va continuer à ne pas être automatique et à être traité document par document en France, en attendant une issue à ce bras de fer judiciaire ».

K. N.