Violence dans la société : "Rétablir la confiance par des actes politiques" pour freiner le phénomène selon des experts - Radio M

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Violence dans la société : “Rétablir la confiance par des actes politiques” pour freiner le phénomène selon des experts

Lynda Abbou | 26/08/21 18:08

Violence dans la société : “Rétablir la confiance par des actes politiques” pour freiner le phénomène selon des experts

L’affaire de l’assassinat et du lynchage du jeune Djamel Bensmail à Larabaa Nath Irathen, dans la wilaya de Tizi Ouzou, a fait couler beaucoup d’encre. Loin de l’acte abominable, c’est l’image d’une société criminelle et violente que nous renvoie la scène. En effet, le phénomène prend de plus en plus d’ampleur, à tous les niveaux. Violence conjugale, violence scolaire, violence dans les stades. Quelles sont les causes du phénomène, et comment y remédier ? Afin de répondre aux nombreuses questions qui surgissent, Radio M a interrogé des sociologues et des psychologues sociaux.

L’affaire de Larbaa Nath Irathen a défrayé la chronique, comment expliquer le fait que la société ait atteint un tel niveau de violence ? En réponse à cette question posée par Radio M, le Professeur en anthropologie, à l’université Lumière Lyon 2, Abderrahmane Moussaoui, a expliqué que « la culture de la violence comme (seul) moyen de régulation a été érigée par l’idéologie officielle comme moyen privilégié de transformation et d’évolution ».

Puissance publique légitime et reconnue

Pour lui, « la violence demeure une conséquence de l’échec de la régulation du conflit inhérent à toute organisation sociale par des dispositifs normalement prévus et consensuellement choisis. Or, au lieu de négocier ce consensus et de le faire admettre par la majorité, on a souvent choisi les passages en force ; qui progressivement, ont érigé la force comme seul moyen de régulation et le rapport de force comme moyen de pression ».

Le professeur a aussi résumé les facteurs derrière l’amplification de ce phénomène, « dans l’absence d’un consensus autour d’une puissance publique légitime et reconnue ».

Décennie noire et politiques ‎de réconciliation

«Autrement dit, au moins depuis la démission du président Chadli et l’arrêt du processus électoral, la défiance vis-à-vis de l’Etat en tant que seul détenteur du « monopole de la violence physique légitime » (comme le définit M Weber) s’est installée durablement, autorisant ainsi les individus et les groupes à se faire justice eux-mêmes » a analysé Aderrahmane Moussaoui.

Interrogé sur l’impact de la la décennie noire, Pr Moussaoui a expliqué qu’en tout cas, dans une large mesure, cette violence (d’aujourd’hui) peut être considérée comme un ‎prolongement de celles vécues à cette période. « Les haines archivées que les politiques ‎de réconciliation n’ont su gérer se réveillent à chaque occasion » a-t-il noté. « La mémoire des bourreaux et celle des victimes n’ont pas encodé les faits de la même manière. Par conséquent, « leurs souvenirs respectifs s’actualisent différemment » a ajouté le sociologue.

Pour lui, une étape importante a manqué à ces politiques de réconciliation. Il trouve, qu’il aurait fallu que les coupables dûment ‎établis reconnaissent d’abord leurs torts, publiquement et devant leurs victimes, avant d’implorer leur pardon‎ pour être amnistiés. « Cette ‎théâtralisation n’ayant pas eu lieu, chaque partie est restée sur ses positions, convaincue de la justesse ‎de son point de vue et de son action vis à vis de l’autre » a signalé Abderrahmane Moussaoui.‎

Autoritarisme d’un système

Dans le même sillage, le spécialiste en psychologie sociale, Jugurtha Abbou, a souligné que ce phénomène est justifié d’une part, par « une violence plus forte exercée d’en haut, à savoir l’autoritarisme d’un système, à comprendre qu’il s’agit à la fois du système politique et du système social, réprimant l’individu ».

Pour le psychologue, cette répression « provoque une motivation d’affranchir le déni et l’injustice ressentis. Le fossé qui se creuse entre les couches sociales ne fait que provoquer la haine d’autrui, la volonté de l’abattre, l’anéantir ». « L’ensemble des frustrations contenues par le système social conduit à une autre volonté, celle de se rebeller contre l’ordre établi » a-t-il ajouté.

D’autre part, il explique que ledit système social « efface l’individu, à défaut de l’écraser ». Il y’a donc selon lui, comme « une compensation, une volonté de s’affirmer à travers la violence, « d’où son apparition sous plusieurs formes et dans différents segments de la société ». À cet effet, il ajoute que la violence se nourrit de plusieurs facteurs intrinsèques et sociaux.

Il s’agit de l’accumulation des connaissances requises dans la famille, à l’école et dans la société à travers ses différents canaux de transmission des savoirs et des savoir-faire.

Instabilité sociale et insécurité

« Lorsque la famille vit dans un climat de terreur, que l’enfant assiste quotidiennement à des scènes de violence, il acquiert une agressivité qui se traduit en comportement dès que l’occasion se présente. L’école sensée former un citoyen capable de s’interroger et de chercher des réponses à ses questions, ne fait que reproduire des générations d’êtres subissant la loi du plus fort, à travers un autoritarisme n’acceptant aucune idée de renouveau. Les médias contribuent à travers leur discours propagandiste, à la propagation de la violence à tous les niveaux, rue, lieux de travail, stades » a-t-il constaté.

Il explique également que, les masses subissent, rencontrent divers problèmes sociaux, l’instabilité sociale, renforçant le sentiment d’insécurité individuel et collectif.

« Une insécurité économique à cause d’un emploi précaire. L’instabilité renforce un sentiment d’insécurité affective, l’individu se sentant fragile et isolé du reste de la population. Ce sentiment d’insécurité engendre un esprit de violence tant chez l’individu que dans la société. Et c’est parfois une violence contre soi-même à laquelle on assiste et qui se traduit par le suicide, voir l’immolation. Au meilleur des cas, la délinquance, l’alcool et la drogue deviennent le refuge préféré de ces masses, juvéniles dans leur majorité » a soutenu le psychologue.

Violence caractérisée à l’égard de toute une région

Ce dernier dit qu’à voir de près, l’affaire Djamel Bensmail est emplie d’actes de violence, à commencer par la pyromanie, les commentaires sur les réseaux sociaux à l’encontre d’un accusé qui s’est avéré être une victime plus tard et l’acte criminel à son encontre.

« Je ne m’arrête pas là, les réactions à l’égard d’individus, dont l’innocence est garantie par la loi, jusqu’à preuve de leur inculpation, reflète le degré de violence sociale que nous avons atteint. Pire que ça, il y’a une violence caractérisée à l’égard de toute une région. Les Algériens ne donnent plus l’impression de faire partie d’une même communauté, de partager des rêves collectifs, des soucis communs, des causes communes. L’incapacité des autorités à venir à terme de ce fléau est avérée et la situation se complique davantage, mettant en péril les fondements, même de l’Etat » a regretté Jugurtha Abbou.

Des remèdes pratiques pour un mal ancré dans la société :

Le jeune le spécialiste en psychologie sociale, trouve, qu’on ne peut résoudre un problème aussi crucial par l’unique usage à la répression, « la politique du bâton a toujours enfoncé le clou au lieu de remédier au problème surgissant ».

Il faut bâtir les ponts entre toutes les franges de la société, apaiser les esprits. La société a besoin d’une école moderne, d’une université ouverte, et d’une structure familiale stable. Seules ces mesures assureront un avenir radieux aux générations futures.

Rétablir la confiance par des actes politiques

Pour lui, il n’est jamais tard pour bien faire, mais il est temps de renverser la vapeur, qui peut se faire par :  « une nouvelle approche des problèmes sociaux, qui favorise le dialogue, l’écoute et la médiation, et non la force et la répression », par « rendre à l’école sa valeur de lieu de formation et d’éducation citoyenne, faire de l’université l’endroit idéal de l’épanouissement et de l’émergence des futurs cadres de la nation » et qu’au lieu « de semer le régionalisme, les canaux d’information feraient mieux de véhiculer les valeurs communes à la société, en insistant sur la solidarité et le vivre ensemble ». Car selon lui, lorsque le vivre ensemble est menacé, la société risque de disparaître. « Alors, vivons ensemble ou disparaissons » a-t-il conclu.

De son coté, Pr Moussaoui, préconise pour freiner la violence à effet immédiat , de rétablir la confiance par des actes politiques à même de redonner à l’Etat et ses institutions la légitimité qui leur font défaut aux yeux de nombreuses couches de la population.

Il faut selon lui également, « une relative liberté d’expression, de circulation et d’entreprise, garantie par une justice indépendante entre les mains de magistrats compétents et n’obéissant qu’à l’éthique de la fonction ».

Enfin, pour consolider cette pacification dans la durée, l’anthropologue, estime qu’il faut « un projet de société crédible capable ‎de fonder une utopie viable qui réconcilie le passé et le présent en se projetant dans un avenir ‎probable.‎. »