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Le 11 septembre 2001 a failli faire tomber Bouteflika avant de le consolider

Radio M | 20/09/21 19:09

Le 11 septembre 2001 a failli faire tomber Bouteflika avant de le consolider

Par El Kadi  ihsane

Extrait inédit du manuscrit  “survivre à Bouteflika”

Les raisons pour lesquelles l’ANP a choisi Bouteflika vont rapidement disparaître après la nouvelle donne du 11 septembre 2001. Explications.

Le 11 septembre 1998 lorsque Lamine Zeroual annonce à la télévision sa décision de ne pas aller au bout de son premier mandat, le système de pouvoir en Algérie est au plus mal. L’insurrection Djihadiste est, certes, entrain de fléchir à grande allure. Elle s’est fracturée entre partisans de la trêve et « Takfiri » jusqu’au boutiste de la violence. Séquence terrible, marquée par les grands massacres de 1997-1998.

Dans le même temps, l’étendue des dégâts du contre-terrorisme organisé par les services de sécurité est remontée à la lumière.  La comptabilité, en milliers, des disparitions forcées du fait des agents de l’Etat, est effrayante. Les populations  péri-urbaine d’Alger, ancien électorat du FIS, n’ont pas été secouru pendant les massacres de l’été 1997, notamment à Bentalha ou l’armée était aux portes du périmètre du supplice. 

La pression de la communauté internationale sur les questions des droits humanitaires, n’a jamais été aussi forte depuis l’arrêt du processus électoral en janvier 1992. Le régime d’Alger sent le souffre. Déjà pressenti pour être installé par l’armée à la tête de l’Etat en janvier 1995, Abdelaziz Bouteflika est cette fois choisi non pas seulement pour son incarnation symbolique de l’époque de Houari Boumediene, référence populaire à un Etat socialement juste. Il l’est aussi parce qu’il  saura réinterpréter au profit des chefs sécuritaires de la contre-insurrection, l‘histoire des années 90 algériennes.

La continuité 2e mandat évidente

L’ancien ministre des affaires étrangères de l’après indépendance sait parler aux grands du monde.  Il peut les convaincre que les chefs militaires algériens ne sont pas des criminels de guerre candidats à la cours pénale internationale. Juste des « défenseurs » en première ligne du « monde libre » contre la barbarie djihadiste. 

Il est la personnalité protectrice qui peut donner le temps au système de se reconstruire un autre récit, une autre légitimité, qui le rende acceptable à l’intérieur, fréquentable à l’extérieur. Cet accord de septembre-octobre 1998,  protection contre présidence, aurait du fonctionner normalement durant les deux mandats présidentiels prévus par la constitution.  Il y avait beaucoup à faire pour « blanchir » le régime algérien et « civiliser » leurs méthodes de lutte anti-terroriste après le choix d’avoir annuler le vote populaire. Surtout, le sommet de l’Etat a connu une inhabituelle instabilité la décennie précédente (Chadli, Boudiaf, Kafi, Zeroual). Les chantiers de l’après guerre civile étaient si nombreux et la continuité d’une présidence Bouteflika pouvait, plus rapidement qu’une alternance interne, rétablir l’autorité du système dans l’opinion. 

Mohamed Lamari sonne la charge

C’est un autre 11 septembre qui a fait voler en éclat cette feuille de route de 1998. Les attentats aux Etats Unis ont totalement modifié la donne politique en dix huit mois.  L’Amérique de Bush junior et ses alliés occidentaux ont réorganisé leur approche du monde en fonction d’un critère transcendant : la lutte contre Al Qaeda et le terrorisme islamiste. Alger devenait, sans coup férir, un allié. Et les généraux brutaux et autoritaires du contre-terrorisme algérien, des personnes ressources à choyer et à débriefer. 

Cette rapide redistribution des cartes politiques sur l’échiquier de la région a donné le sentiment à une partie de la haute hiérarchie de l’armée algérienne qu’elle pouvait reprendre la main. Les nuages sombres des dérives du contre terrorisme algérien  s’éloignaient. Bientôt dans les rues de Baghdad, à Abou Gheraib, ou à Guantanamo, l’armée américaine allait réécrire la norme. La remise sous tutelle  que l’armée algérienne – politiquement fragilisée par les années 90 – était prête à concéder à un président – qui ne voulait pas être « un trois quart de président » –  ne se justifiait plus complétement après le 11 septembre 2001.  

Dès le 03 juillet 2002, l’homme qui incarne l’ANP, son chef d’Etat major, le général Mohamed Lamari esquisse publiquement une mise à jour de l’accord de 1998 avec Bouteflika dans un point de presse inédit, à l’académie de Cherchell. Il y défend le bilan de l’armée des années de lutte contre le terrorisme, déplore, entre les lignes, qu’elle ne soit pas défendue par le nouveau pouvoir politique des accusations « colportées » contre elle : assassinats, corruption,  cabinet noir … Il y fait alors ce reproche devenu fameux depuis :  « Nous avons vaincu le terrorisme. Seulement l’intégrisme est toujours là. Vous n’avez qu’à regarder la télé et certains prêches. Ce n’est pas le rôle de l’armée, de l’Intérieur ou de la Police. Que deviennent les textes de la Nidhara ? La lutte est d’abord politique, économique. Elle n’a malheureusement pas atteint ses objectifs ». Tout le monde comprend alors  l’étendue de la divergence avec le président de la république, sur la voie de gaspiller idéologiquement une victoire sécuritaire sur l’islamisme, dans le but  personnel d’élargir indument son périmètre de popularité.

Etat Major et DRS, division durable

Les 20 mois qui conduiront jusqu’aux élections d’avril 2004 vont donc être le théâtre d’un bras de fer sophistiqué. Bouteflika le remportera dans les urnes. Le premier moment constitutif de la présidence à vie se situe là. 

L’armée a joué contre Bouteflika et a perdu. En rangs dispersés, sans dissidence ouverte, dans les limites de la légalité. Elle ne s’est pas mise en péril pour empêcher un 2e mandat. Son processus de convalescence était encore trop précaire, son exposition dans la cooptation directe d’un nouveau président trop risqué. Un homme va finir de laisser la balance pencher en faveur de Abdelaziz Bouteflika.

Le patron du DRS, Mohamed Mediene, après avoir encouragé la candidature de Ali Benflis, entre temps devenu patron du FLN, a choisi de ne pas engager son puissant service pour infléchir le résultat auprès de l’administration. Les sondages étaient largement favorables au président sortant face à son ancien premier ministre. Risque de conflit ouvert contre-productif pour le cœur du système de pouvoir. Bouteflika devenu presque obsolète grâce à Al Qaada et à son attaque des Etats Unis s’est finalement retrouvé contraint d’engager un bras de fer imprévu, aussi tôt, avec ceux qui l’avaient intronisé en 1999. En le remportant – Mohamed Lamari prendra sa retraite avant la fin 2004 – il réussit à prendre le dessus sur la hiérarchie  de l’ANP durablement divisée entre Etat Major et DRS.